Il y avait longtemps qu'il n'y était pas venu au premier, réalisa Harry.
Il s'était réveillé tôt, et, malgré l'envie de trainer un peu, il s'était levé pour s'occuper de l'aménagement de la chambre de Drago. Il ne serait pas amené à croiser le blond trop tôt s'il était occupé, ce qui l'arrangeait.
Il avança dans le long couloir étroit et poussiéreux donnant accès à quatre portes. Il sortit sa baguette de sa poche et alluma les luminaires anciens d'un sort. Les bulbes de verres rosés aux pattes recourbées en laiton s'illuminèrent d'un coup, baignant la petite pièce dans une lueur d'une autre époque.
Harry avait oublié la tapisserie pourpre aux lourds motifs verts d'eau. S'il aménageait sérieusement cette partie de la maison, il aurait un sacré travail de décoration à faire. Il ouvrit toutes les portes les unes après les autres pour faire le point sur la pièce qu'il allait choisir de déblayer. Sur la gauche, il y avait deux salles de taille moyenne, pleines de bric-à-brac divers, dont beaucoup de meubles. À droite, un grand bureau, à l'odeur bizarre, provenant peut-être de la tapisserie à la couleur indéfinissable et une pièce plus petite. Elles étaient, elles aussi, remplies de vieilleries, mais de choses plus facilement déplaçables.
Harry se décida pour la plus petite pièce, au fond à droite, juste avant l'escalier menant au grenier. Pas d'odeur suspecte dedans et relativement peu de bazar. Il referma les deux pièces de devant et laissa ouvertes les deux autres, afin de pouvoir faire léviter aisément les objets de l'une à l'autre.
Il prit son courage à deux mains et se mit au travail. Il avait d'abord pensé tout transporter, mais il s'était rapidement rendu compte qu'un certain nombre de choses étaient juste bonnes à jeter ou bien qu'il n'en aurait jamais l'utilité. Il soupira. Il opta finalement pour faire deux tas dans le couloir pour les choses qu'il ne voulait pas conserver et il commença à faire le tri. Il réalisa que les « premières couches » de bazar contenaient en fait beaucoup de ses propres affaires, notamment de Poudlard : anciens uniformes bien trop petits, livres, vieux parchemins de brouillon ou vierges, plumes…
Il se souvint que lors de son emménagement, il avait récupéré tout un tas de choses de la part des Dursley et du Département des Lignées Sorcières, qui avait enfin pu lui mettre la main dessus pour lui remettre le reste du legs de ses parents : du mobilier et divers objets. À l'époque, il avait rapidement parcouru le contenu et l'avait entreposé au premier.
À mesure qu'il avançait, de nombreux souvenirs le submergèrent. Il retomba sur de vieux vêtements larges et usés qu'il avait portés une fois que Dudley les avait délaissés (ou ne rentrait plus dedans). Ça lui rappela la désagréable époque de sa scolarité moldue et des nombreuses récréations passées seul dans un coin de la cour ou à vaguement traîner avec quelques autres moutons noirs de l'école. Aussi horrible que ça puisse paraître, il n'arrivait à se souvenir d'aucun de ces compagnons d'infortune, ni de leur visage, ni de leur prénom. La sensation qui lui collait à la peau constamment à cette époque lui revint comme un haut-le-cœur, celle de ne pas avoir de place, de se sentir comme un caillou dans une chaussure. Entre l'école et les Dursley, difficile de ne pas se sentir de trop.
Et puis Poudlard : la révélation... Que de souvenirs, de découvertes et de rencontres ! Il se remémora avec un sourire ses premières confiseries de chez Bertie Crochue, tous les devoirs faits à la dernière minute, les farces des jumeaux, les nombreux sermons d'Hermione, le piètre poème de Ginny, les Biéraubeurres aux Trois Balais, l'affreuse première robe de bal de Ron, les parties d'échecs dans la salle commune…
Quelle merveilleuse sensation que celle de se sentir enfin appartenir à un monde, de faire pleinement partie d'un tout… cela s'était révélé presque trop. À sa sortie de Poudlard, Harry s'était vite rendu compte qu'il était plus qu'une célébrité dans le monde sorcier, il y était une figure quasi-mythique. Et du gamin encombrant toujours mis de côté, il était devenu le centre de l'attention que tous voulaient approcher. Un véritable grand écart.
Il avait ainsi découvert qu'aucun des extrêmes n'est bon. À ce jour encore, il n'avait pas trouvé d'équilibre. En y regardant mieux, il avait même l'impression d'avoir actuellement les défauts des deux situations : la solitude, l'impression de ne pas avoir de place, mais, également, l'épiement constant de l'opinion publique et la diminution de liberté qui en découle. Quel constat déprimant !
Pas étonnant qu'il n'ait pas été pressé de remettre le nez dans toutes ces vieilleries si c'était pour arriver à un tel bilan.
Il continua néanmoins son labeur et il eut vite à faire face à des dilemmes de conscience : fallait-il donner ses équipements de Quidditch ? Il ne rentrait clairement plus dedans et n'en aurait plus jamais besoin, mais ils avaient une grande valeur sentimentale. Il se résolut à les garder. Idem pour ses divers livres de Poudlard. Il mit précieusement de côté ses anciens manuels d'astronomie, maintenant qu'il était disposé à les parcourir avec intérêt. Il retrouva ensuite d'autres éléments plus ou moins en lien avec ses études : la carte du Maraudeur, son dernier balai, quelques objets provenant de la boutique de farces des jumeaux… enfin des frères Weasley, maintenant.
En soulevant une pile de vieux vêtements qu'il comptait jeter, Harry fit tomber un objet qui roula derrière un carton. Il alla poser les habits sur le tas correspondant dans le couloir et revint. Il se mit à quatre pattes et tâtonna jusqu'à mettre la main sur l'objet mystérieux. Qui s'avéra ne pas être mystérieux du tout : c'était une baguette magique. Brune et noire, simple et sans distinction particulière, elle ne lui disait rien. Harry la mit de côté, dans un petit carton d'objets à étudier de plus près, et fouilla un peu l'endroit d'où elle semblait être tombée, mais il ne trouva pas d'indices pouvant révéler qui aurait été sa ou son propriétaire, seulement de vieilles affaires provenant des précédents propriétaires : des photos de famille très anciennes devenues immobiles, des livres pour enfants illustrés et animés qui semblaient avoir au moins 50 ans, des objets étranges et alambiqués que le brun préféra ne pas trop manipuler, connaissant les penchants obscurs des Black. Il rassembla le tout dans la chambre d'en face, en le faisant léviter précautionneusement.
Après encore quelques voyages, il avait bien déblayé la petite pièce, quand il entendit des cris provenant du rez-de-chaussée. Il posa prestement l'antique lampe en bronze qu'il avait en main et se précipita en bas, tous ses sens en alerte.
Il aperçut sa petite amie, rouge vif, sortir de leur chambre avec un regard d'horreur. Harry sentit immédiatement qu'il lui serait compliqué de se sortir de cette situation.
« – Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ? hurla la rousse, hors d'elle.
– Ginny, calme-toi, je t'en supplie. » lui intima le brun en essayant de s'approcher d'elle.
Elle se détourna de lui et désigna la chambre d'une main en dardant ses yeux furieux dans les siens.
« – Tu te fous de moi, ce n'est pas possible autrement ! dit-elle en secouant la tête. Je ne vois pas d'autre explication au fait qu'un Malefoy à moitié nu soit dans notre lit ! »
Harry tourna à regret la tête dans la direction pointée par sa compagne et, en effet, il aperçut le blond, manifestement réveillé en sursaut, en train d'enfiler à la hâte une chemise en ne sachant visiblement pas où se mettre. Le brun lui jeta un regard piteux, fit un petit geste pour lui dire de ne pas bouger et referma la porte doucement pour permettre à tout un chacun d'avoir un semblant d'intimité, à Drago pour sa vertu, et à eux, pour leur conversation.
« – Je peux t'expliquer Ginny… commença le Gryffondor.
– Tu sais quoi, je m'en fous, Harry. fit la rouquine d'un ton déterminé. Je revenais pour récupérer un manuel que j'ai dû oublier ici et également pour te parler, mais ce n'est plus la peine. » dit-elle d'une voix glaciale en fouillant frénétiquement dans les étagères du salon.
Si elle ne criait plus, ça n'était pas pour autant bon signe, Harry le savait. La colère froide n'était pas vraiment le genre de la jeune femme, sauf dans des cas extrêmes.
« – Ginny, je t'en prie, écoute-moi. implora le brun. Ne va pas t'imaginer des choses insensées.
– À vrai dire, j'ai dépassé ce stade. soupira-t-elle en se retournant, visiblement lasse. J'étais prête à jeter l'éponge, une fois de plus et à passer sur ton comportement, mais je voulais avoir une discussion importante avec toi avant. Je n'ai même pas eu besoin, j'ai eu ma réponse. » Elle reprit sa recherche et sembla trouver le fameux livre oublié.
– Quoi ? Quelle réponse ? Je ne comprends pas. » demanda le jeune homme en faisant à nouveau quelques pas pour rester près d'elle.
Ginny se tenait désormais droite, en face du brun, elle le dévisagea longuement, puis en baissant les yeux, elle fit retomber ses bras contre ses flancs.
« – Je le sais bien, tu es toujours le dernier à comprendre. Mais moi j'ai compris, ou du moins, je suis enfin prête à accepter : tu ne m'aimes pas Harry. lâcha-t-elle durement.
– Quoi ?! Mais enfin, arrête ! Ne dis pas n'importe quoi, évidemment que je tiens à toi ! s'emporta le brun. Si Malefoy est dans notre lit, c'est uniquement parce que je l'héberge quelques jours pour le dépanner. Ce n'est pas ce que tu crois ! » Il lui saisit les bras, mais elle se dégagea encore, plus fermement.
« – Laisse tomber Harry, épargne-moi tes excuses bidon. Garde-les pour toi si elles te convainquent.
– Mais ce ne sont pas des conneries, c'est la pure vérité ! Je dors sur le canapé ! se défendit le brun.
– Je t'ai dit de laisser tomber. répéta-t-elle plus fort. Tu peux bien faire ce que tu veux avec Malefoy… J'abandonne ! » assena la jeune femme, d'une voix blanche et monocorde.
Harry eut l'impression de recevoir une gifle, il accusa durement le choc de la déclaration de sa compagne.
« – Mais bordel, je ne fais rien avec Malefoy. » dit-il d'une voix désespérée.
La rousse le transperça de son regard brun durant deux longues secondes.
« – … Alors, c'est pire encore. Au moins, ça t'aurait donné une bonne explication pour m'avoir mise si facilement sur la touche. répliqua Ginny amèrement.
– Arrête, ça n'a rien à voir. supplia le brun, ne sachant plus comment raisonner sa compagne... son ex-compagne ?
– Tu ne fais que t'enfoncer davantage. J'imagine que tu es magiquement devenu encore plus distant qu'à ton habitude depuis qu'il a fait apparition dans ta vie, mais ce n'est pas lié, ce n'est qu'une pure coïncidence. » Le ton narquois s'était fait assassin, Ginny, les bras croisés sur sa poitrine, n'en pouvait plus. Il lui était déjà terriblement difficile d'admettre qu'elle quittait Harry, mais ce dernier ne faisait que rendre les choses plus pénibles encore en refusant de voir l'évidence.
« – Mais ça ne remet pas en cause ce que nous avons. On ne peut pas… ça ne peut pas se terminer comme ça… ça n'a aucun sens. » Harry se passa nerveusement les mains dans les cheveux en faisant les cent pas dans le salon, il ne pouvait concevoir ce qui était en train de se passer.
« – Tu sais, je commence à croire que c'est notre relation qui n'avait aucun sens… confia Ginny. De toute façon, j'étais venue te dire que j'allais accepter le poste au Pays de Galles.
– Je… Oh, c'est super. répondit le Gryffondor avec un entrain mitigé. Tu… On devrait en parler non ? tenta-t-il, désespéré.
– À quoi bon ? À la lumière des événements d'aujourd'hui, il parait évident que ce qu'il restait de notre couple n'aurait jamais pu endurer la distance et… »
La jeune femme s'arrêta, interpellée par quelque chose qu'elle avait aperçu au-dessus de l'épaule d'Harry.
« – D'où vient ce chat ? demanda-t-elle suspicieusement en désignant du menton Moon, qui furetait près de la cuisine.
« – C'est… C'est à lui. » admit Harry d'une toute petite voix, en détournant le regard.
Les yeux de Ginny trahirent le mélange de dégoût, de peine et de colère qui l'envahit à ces mots, à l'évocation de ce fantôme blond qui ne cessait de se placer entre elle et Harry avec une aisance écœurante. Ce crétin de Serpentard dont la seule présence suffisait, manifestement, à accaparer l'attention de l'homme qu'elle aimait. Cet enfoiré qu'Harry installait dans leur lit « pour le dépanner », en omettant d'évoquer ce « détail » lorsqu'il l'avait informée de la situation. Cela la rendit folle de rage.
« – Tu es quand même un sacré connard. grinça-t-elle entre ses dents avant d'exploser. Je suis sûre que tu n'as pas pensé à moi une seule seconde depuis que je suis partie ! Tu ne m'aimes pas, mais le pire, c'est que tu ne t'en rends même pas compte. » Elle planta fortement son index dans le torse d'Harry. « Tu t'accroches à moi comme un parasite parce que tu es incapable d'avoir une vie propre… » Elle expira bruyamment de dépit. « Et dire que j'ai espéré naïvement que ce besoin était de l'amour. Quelle conne ! » Deux larmes roulèrent sur ses joues rougies. « Je ne veux plus te revoir ! N'essaye pas de me contacter. Reste loin de moi et de toute ma famille. » finit-elle en se détachant de lui, menaçante, la voix tremblante de colère.
Elle serra contre sa poitrine le livre qu'elle avait récupéré et lança de la poudre dans la cheminée.
« – J'enverrai quelqu'un venir chercher mes affaires. » dit-elle froidement, sans un regard pour celui qui, il y a quelques minutes encore, était son petit-ami. Sa silhouette disparut prestement dans les flammes.
Harry resta pétrifié. Ginny avait l'art de décocher une dernière flèche mortelle, capable de vous achever. Il se laissa littéralement tomber sur le canapé, plus aucun muscle de son corps ne semblait capable de le soutenir. Il resta un moment ainsi affalé, comme un pantin désarticulé.
Il ne parvenait pas à penser. Pas la moindre chose, pas le moindre petit argument pour contrer la dernière saillie de la rouquine. Il était tout simplement vide. Une belle coquille de rien. Une fine couche de peau sur un grand néant. Il ne parvenait pas à réaliser.
Dans son champ de vision périphérique, Harry aperçut le blond ouvrir timidement la porte et passer sa tête décoiffée dans l'entrebâillement avant de l'ouvrir en grand, tout doucement et sans le moindre bruit. Il resta un moment dans l'encadrement, trop gêné pour oser bouger ou parler.
Le brun tourna la tête et le regarda franchement, Drago n'en menait clairement pas large dans ses vêtements enfilés à la hâte et avec sa mine défaite, moitié par l'embarras, moitié par le réveil brutal. Ce spectacle pathétique acheva de briser une digue en Harry qui éclata de rire, d'abord doucement, puis de plus en plus fort. Le blond le regarda comme s'il était devenu fou, mais le sourire le gagna aussi et rapidement il ne put échapper au fou rire nerveux qui semblait avoir contaminé la pièce. Cette situation improbable dura de longues secondes avant qu'ils n'arrivent à se calmer. Quand les derniers éclats de leur hilarité s'effacèrent, Drago le regarda une bonne minute, sans savoir comment l'aborder.
« – Je suis désolé, c'était tellement inapproprié ce fou rire. Je… Est-ce que ça va ? s'enquit le Serpentard en s'asseyant sur le canapé en face de lui.
– Franchement non. admit Harry sans détour en lui jetant un regard rapide.
– Je suis tellement désolé… de tout ça… Je…
– Drago, arrête. » le coupa le brun, las, mais doux. Il fixait le plafond désormais.
Le blond fut très surpris de l'entendre prononcer son prénom à nouveau. Il n'y comprenait véritablement plus rien. Harry devrait le détester avec ce qui venait de se passer. Ginny venait de le quitter, et, de ce qu'il avait pu entendre, il était ouvertement la cause de cette rupture. Il s'en voulait tellement d'avoir questionné le brun sur ses sentiments, il n'aurait pas pensé le sujet aussi explosif, ni à ce point d'actualité. Il était incroyablement mal à l'aise et avait envie de disparaître.
Les cris aigus qui l'avaient fait sortir de son sommeil lui avaient causé la peur de sa vie, puis, quand il en avait découvert la source, il avait cru mourir de honte. Il était nez à nez avec la petite-amie de son hôte, dans leur lit, avec simplement un bas de pyjama sur le corps. Elle avait commencé à jurer, lui s'était extirpé tant bien que mal des draps, qui, forcément, avec la précipitation, se comportaient comme de vicieux tentacules. Et Harry qui ne semblait être nulle part à l'horizon. Le supplice lui avait paru interminable, la situation était affreusement humiliante. Il en aurait embrassé le brun quand celui-ci apparut et eut la présence d'esprit de refermer la porte de la chambre avant d'entamer la discussion avec Ginny, le mettant ainsi autant à l'écart qu'à l'abri.
Plus que jamais, il avait envie de retrouver son foyer.
« – Je vais rentrer chez moi. annonça-t-il sobrement.
– Non, ce n'est pas la peine, tu peux rester. répliqua Harry. Et je doute que ce soit déjà dégagé, inutile de replonger dans l'œil du cyclone. dit doucement Harry, les yeux sur le plancher.
– J'aime autant rentrer… C'est le mieux, je crois. insista le blond en regardant le sol également.
– S'il te plaît, reste. » fit le brun d'une voix si ténue que Drago pensa d'abord l'avoir rêvé.
Il y eut un court silence.
« – Je… Je ne sais pas Harry. Ça rimerait à quoi ? demanda sincèrement le Serpentard en haussant les épaules.
– Le mal est fait de toute manière. » avança le brun avec un reniflement de dépit. Il ferma les yeux et renversa sa tête sur le canapé.
« – C'est tout l'effet que ça te fait ? » l' interrogea Drago, abasourdi.
Il détailla le brun, l'expression de son visage était relativement neutre, mais il devinait la tempête souterraine qui devait s'y jouer.
« – J'ai juste envie de crever. répondit simplement Harry sur le ton de la conversation, en posant sa main droite sur ses yeux clos.
– Ouais, je connais ça. » soupira-t-il.
Le Gryffondor n'était donc pas complètement insensible, plus probablement en état de choc.
Le brun lui jeta un regard par en dessous sa paume.
« – Vous connaissez les affres de la rupture, M. Malefoy ? » Le ton se voulait narquois et léger, mais il sonna lugubre.
Drago s'approcha et s'assit sur l'accoudoir au bout du canapé d'Harry.
« – Crois-le ou non, je ne suis pas toujours quelqu'un de facile à vivre. renchérit Drago, également caustique, mais en y mettant un peu plus d'entrain. Certaines personnes ont pu manifester le souhait de ne plus me côtoyer.
– Et la douleur passe ? » demanda Harry, immobile.
Le blond soupira et son regard se fit plus sérieux.
« – Oui, elle passe. Mais ça peut parfois prendre du temps. Le mieux c'est de rester occupé. C'est ce qui marche pour moi. répondit-il, sincère.
– Raison de plus pour que tu restes alors. » fit le brun timidement en redressant sa tête et le regardant. Ses yeux sinoples étaient deux abîmes de tourmentes. Le blond n'eut pas le courage de refuser.
« – Ok. » souffla-t-il.
Drago sentait qu'il venait de s'aventurer sur une pente terriblement glissante en acceptant cette demande. Le discours de Ginny avait mis en lumière un fait : la relation que lui et Harry entretenait était étrange, non définie et donc fortement propice à interprétation ou fantasme de la part de leur entourage. Ça n'était pas correct. Il avait refusé de regarder en face jusqu'à présent, mais il est vrai qu'ils ne jouaient pas franc jeu, ni l'un ni l'autre, en se satisfaisant de non-dits et en laissant les événements arriver, naturellement, quand bien même cela les mettait dans des positions inconfortables ou… compromettantes, comme ce matin.
Drago se demanda à nouveau s'il n'aurait pas mieux fait de refuser, pour leur bien à tous les deux, plutôt que de laisser perdurer ce grand flou dans lequel ils naviguaient à vue, aussi agréable puisse-t-il être parfois.
Le Gryffondor se leva pour prendre un verre d'eau dans la cuisine et revint s'accouder contre le chambranle de la porte.
« – Je n'ai pas très faim, dit-il, je vais retourner à l'étage, j'espère avoir terminé la chambre rapidement. Tu pourras y dormir ce soir, ça sera mieux comme ça. »
Le blond acquiesça.
« – Ok. Je me débrouillerai pour le repas et j'avancerai de mon côté sur le dossier. »
Drago ne souhaita pas s'éterniser dans la pièce et il partit faire sa toilette, laissant Harry seul avec son désarroi. Il savoura la douche qu'il étira volontairement plus que de raison, laissant l'eau dévaler le long de son corps tendu. Il se mit en boule sous le jet, s'abandonnant sous la cascade fumante, l'ouïe étouffée par le liquide, lui donnant la sensation d'être complètement coupé du monde, l'espace de quelques minutes. Il aurait aimé pouvoir faire durer cet état plus longtemps.
Entre-temps le brun était retourné à l'étage et s'était jeté à corps perdu dans le rangement, terminant progressivement de déblayer la petite pièce qui accueillerait désormais le blond. Il s'attaqua ensuite à l'aménagement en mettant ainsi à profit ses anciens manuels de métamorphose, retrouvés un peu plus tôt.
De son côté, Drago s'était fait un sandwich et avait commencé à travailler, seul, dans le salon. Moon recommença son cirque de la veille, en alternant les moments calmes et l'excitation, mais il ne parvint pas à dérider son maître cette fois-ci, ce dernier étant souvent perdu dans des pensées parasites qui venaient troubler sa légendaire concentration de fer.
Le Serpentard se sentait coupable. Il n'arrivait pas à se décoller cette sensation de la peau. Avait-il été la goutte d'eau de trop ou la raison centrale de la rupture ? Bien que son bon sens penche pour la première proposition, il ne pouvait s'empêcher de se demander si cette séparation serait arrivée sans sa présence. Harry aurait-il délaissé à ce point son couple s'il n'avait pas eu à l'aider ? Ou s'il avait eu à aider quelqu'un d'autre, car il ne doutait pas que ce cas de figure avait du se présenter à lui à plusieurs reprises… Le brun taciturne aurait-il trouvé en son ancien ennemi quelque chose de particulier, quelque chose qui le pousse à sortir de son repli ? Y aurait-il plus en jeu que ce qu'il ne l'imaginait ? Plus qu'une simple question d'aide et de service rendu. Drago ne savait plus quoi penser, il considéra l'inenvisageable.
Se pourrait-il qu'Harry soit… attiré par lui ? Il secoua la tête tant cette idée lui parut saugrenue. Le Gryffondor ne semblait pas vraiment attiré par qui que ce soit à vrai dire, ni quoi que ce soit, d'ailleurs. Même pour la rouquine, il lui avait semblé plutôt attaché qu'attiré.
Enfin… il l'avait tout de même supplié de rester. Mais cela pouvait s'expliquer par le violent choc qu'il venait de subir. Après tout, qui aurait envie d'être seul après avoir été quitté ? Et le brun ne semblait pas avoir conservé beaucoup de contacts amicaux. Drago semblait actuellement une parfaite épaule pour le soutenir, voilà tout.
Le Serpentard soupira bruyamment, il se prenait vraiment trop la tête. Il fallait qu'il se remette au travail, et il n'était pas sûr d'avoir véritablement envie de creuser plus loin toutes ces questions. Vu qu'il était encore chez Harry pour quelques jours environ, il était surement plus sage de laisser les choses décanter et de se concentrer sur sa plaidoirie. Il irait voir sa mère le lendemain et commencerait à surveiller son appartement pour estimer le moment idéal de son retour au bercail.
Drago se remit péniblement à avancer sur sa défense contre Barjow – c'était quand même moins sympa tout seul – et parvint à la boucler à la fin de l'après-midi, pas convaincu cependant de certains points qui auraient droit à une relecture le lendemain. Harry descendit alors qu'il rassemblait ses affaires sur un coin de la table. Il était particulièrement ébouriffé et avait des traces de poussières sur son visage et ses bras nus, son t-shirt et son jean n'étaient pas épargnés non plus. Il remonta ses lunettes sur son nez et s'adressa au blond :
« – Oh, tu as terminé, c'est parfait. Je vais pouvoir te montrer la chambre. Ce n'est pas du grand art, mais ça devrait être confortable. »
Drago acquiesça. Le brun reprit :
« –Tu pourras monter tes affaires ensuite, on va juste jeter un coup d'œil rapide. Suis-moi. » fit-il en se dirigeant de nouveau vers l'escalier.
Le blond marcha à sa suite et découvrit l'étage, ou plutôt il le redécouvrit, car des souvenirs lointains de la lourde tapisserie du couloir lui revinrent. Elle était si caractéristique du lieu : à la fois marquante, surannée et sinistre. Il avait soudainement sept ans à nouveau. Il se sentait rétrécir au fur et à mesure qu'il avançait sur le plancher sombre qui craquait sous ses pas, la silhouette devant lui semblant s'étirer encore et encore, tout comme le couloir qui se déroulait tel un long serpent. Sur son visage, il pouvait presque sentir les mouvements de la cape de l'adulte qui le précédait, dont la marche affectée soulevait le vêtement à chacun de ses immenses pas. Il devait trottiner derrière pour ne pas se laisser distancier, il n'était pourtant pas pressé de rejoindre la petite pièce du fond qu'il ne connaissait que trop bien pour y avoir fait un séjour à pratiquement chacune de ses venues. Il ne pouvait pas traîner les pieds, pleurnicher ou encore moins aller se cacher quelque part, les remontrances n'en seraient que plus terribles. Il luttait pour tenter de se tenir droit, de maintenir le port altier qu'il avait passé des heures à apprendre avec son maître de posture alors que tout son corps semblait vouloir s'arc-bouter.
L'ombre devant lui arriva près de la porte honnie, celle de la pièce de la honte, de l'humiliation publique, mais malgré tout, l'antichambre d'une liberté relative pour l'enfant qu'il était. La silhouette s'arrêta et se retourna lentement, l'attendant. D'un geste ample, elle ouvrit la fameuse porte. La lumière envahit le couloir.
Le souvenir éclata.
Drago, hébété, constata que la pièce n'avait plus rien à voir avec celle qu'il avait connue. Il fut touché par l'attention qu'Harry avait mise dans la décoration de la pièce. Bien que la tapisserie soit toujours terne et avec des motifs baroques, elle se rapprochait désormais de la teinte beige de son propre appartement, au lieu de son gris d'origine. Le plancher sombre était recouvert d'un grand tapis assorti. Le petit espace contenait un lit double au cadre en bois foncé, disposé près de l'unique fenêtre, et un petit meuble à tiroir assez ancien, qui faisait aussi bien office de table de chevet que de rangement, sur lequel le brun avait disposé une lampe.
Réalisant que le Gryffondor observait sa réaction, Drago estima bon de verbaliser son ressenti :
« – C'est parfait, merci beaucoup. dit-il doucement, préférant laisser sous silence les souvenirs déplaisants qu'il avait de cette pièce.
– Ouf, j'avais peur que ça ne te plaise pas. » souffla le brun, soulagé.
Drago lui fit un petit sourire.
« – Je vais m'installer, je reviens. dit le blond en se dirigeant vers la sortie.
– Ok, je vais te laisser prendre possession du lieu. On se voit tout à l'heure. » répondit Harry.
Le Serpentard prit le chemin des escaliers. Le brun laissa son regard naviguer dans la petite pièce une dernière fois, plutôt satisfait du travail abattu, puis il se dirigea vers le rez-de-chaussée à son tour pour prendre une douche bien méritée.
Il ne fallut que quelques petites minutes au blond pour s'installer dans sa nouvelle chambre, le temps de poser ses affaires sur le meuble, en fait, et de déplacer ce dernier un petit peu plus près du lit pour plus de praticité. Puis il redescendit. Constatant qu'Harry était occupé à sa toilette, il décida de prendre les devants concernant le dîner. Cela serait une petite manière de remercier le brun pour son travail dans la chambre, se dit-il.
Il farfouilla un peu dans les placards de la cuisine et commença à s'atteler à la préparation d'une fricassée de légumes et d'une omelette. Rien de bien compliqué, mais toujours plaisant à manger. Il dressa ensuite la table en continuant de surveiller les fourneaux d'un œil. Une fois que tout fut prêt, il couvrit les aliments pour les maintenir chauds, puis pris le temps de nourrir Moon qui se précipita en miaulant sur sa gamelle. Il se posta ensuite près de la fenêtre et se perdit dans la contemplation du soleil descendant sur la rue déserte.
Harry sortit de la salle de bain à peine une minute après, frais, rasé de près et portant un jean brut près du corps avec un sweat vert bouteille à manches longues. Il avait l'air d'un homme neuf. Il fut agréablement surpris de voir la table et le repas prêts dans la cuisine, n'ayant pratiquement rien mangé de la journée, il mourrait de faim. Il rejoint donc Drago, sortant ce dernier de sa rêverie, et ils se mirent à table sans attendre.
Harry engloutit rapidement les mets et soupira d'aise, sous le regard amusé du blond. Ça faisait tellement de bien de faire un vrai repas. Il réalisa seulement la tension qu'il avait accumulée depuis le matin, il avait fonctionné sur ses réserves d'énergie. Avoir enfin le ventre plein le détendit incroyablement, comme si tout son corps se ramollissait de bien-être. Drago entama timidement la conversation en lui posant des questions sur l'aménagement de la chambre : les sortilèges utilisés, le mobilier récupéré, la quantité de rangement effectué… Harry détailla volontiers le travail réalisé et les méthodes employées.
Ils mangèrent de simples fruits pour le dessert, Harry grignota en plus quelques carreaux de chocolat. Il fut d'ailleurs très surpris que le blond se montre raisonnable et ne cède pas à la gourmandise, lui ne pouvait jamais résister à une envie de chocolat, qu'il ait faim ou non.
Drago apprécia l'atmosphère détendue du repas, néanmoins il n'était pas dupe des tourments qu'Harry essayait d'occulter de son esprit. Il semblait que le brun fonctionne beaucoup comme cela, opérant une forme de déni des choses auxquelles il ne voulait pas se confronter. Le Serpentard pesa le pour et le contre, il n'avait pas à nouveau envie de mettre les pieds dans le plat, mais en même temps, c'était en partie de sa faute si son ami était dans cette situation, il ne pouvait pas le laisser comme ça. Lui-même avait beaucoup apprécié avoir la présence de Blaise pour l'aider à traverser des phases difficiles. Puis il décida, qu'après tout, il pouvait proposer au Gryffondor de se confier, ce dernier ferait ce que bon lui semblerait. Il prit donc la parole :
« – Harry, tu veux qu'on en parle ?
– Franchement, non… Par contre, j'ai envie de boire. » dit le brun en se levant brusquement.
Il attrapa deux verres, le reste de la bouteille de Whisky Pur-Feu et se dirigea vers le salon. Il s'installa dans son habituel canapé, entre la cheminée et la serre, et entreprit de remplir les verres. Drago arriva à son tour dans la pièce, lentement, et s'assit en face de lui, ne sachant s'il était bien raisonnable de l'accompagner sur ce terrain éthylique. Cela dit, il n'était pas sûr que le laisser boire seul soit mieux, et le blond aurait été bien hypocrite s'il avait nié avoir déjà essayé d'oublier des soucis avec du whisky. Il saisit donc son verre et trinqua avec Harry.
« – À ma solitude, » dit ce dernier en guise de toast, avec amertume.
Drago hocha simplement de la tête, ne désirant ni confirmer ni infirmer cette assertion. Il ne souhaitait pas fêter la rupture, mais il ne pouvait aller à l'encontre du constat de celle-ci non plus. Le blond pressentait la nécessité de laisser Harry prendre les rênes de cette soirée et il ne chercha donc pas à meubler avec une conversation.
Ils burent tranquillement et laissèrent un silence s'installer.
Le Gryffondor se sentait incomplet, il sortit sa baguette de sa poche et alluma un feu d'un geste. La vue et la tiédeur des flammes le réconfortèrent. Ils burent encore quelques gorgées.
Drago commençait déjà à sentir l'effet cotonneux de l'alcool se répandre dans tout son corps. La chaleur lui monta au visage, il retroussa les manches de sa chemise pour essayer de perdre quelques degrés. Harry fit de même avec son sweat, avec la journée bien remplie qu'il avait eue, l'alcool lui tombait durement dessus et il avait désormais très chaud. Il repensa aux événements qui s'étaient déroulés depuis le matin et se mit à parler :
« – J'avais oublié à quel point c'était crevant de mettre de l'ordre. Et je n'ai fait qu'une seule pièce. Je n'imagine même pas le travail pour refaire tout l'étage. Il en aurait bien besoin, cela dit, les tapisseries sont vraiment horribles. Et dans l'une des chambres, elle est même potentiellement moisie, il faudra que je fasse venir un professionnel rapidement, je pense. » dit-il pensivement, presque plus pour lui-même, en sirotant hâtivement le liquide ambré.
Il jeta un coup d'œil autour de lui et soupira.
« – Un rafraîchissement du rez-de-chaussée ne serait pas du luxe non plus. Maintenant que je regarde, c'est vrai que ce manoir est lugubre. » Il fixa une tâche grise au plafond. « C'était censé être provisoire en même temps, le temps que je me remette sur pieds, puis… le temps qu'on trouve un "chez-nous". »
Son regard se voila, il laissa ses avant-bras se poser sur ses cuisses, tenant son verre au-dessus de ses genoux. Drago, attentif, le laissait continuer ses réflexions à voix haute.
« – C'est de ma faute si c'est aussi moche… Ginny a voulu améliorer la décoration à de nombreuses reprises, mais je refusais à chaque fois. "C'est provisoire, pas la peine de se donner autant de mal" je lui répétais à chaque fois et je le pensais vraiment. »
Il se resservit et versa le fond de la bouteille de whisky dans le verre de Drago, encore à moitié plein. Harry continua de parler en avalant régulièrement une gorgée :
« – Ça m'agaçait qu'elle veuille à ce point tout changer, c'était peine perdue, cette baraque était glauque de toute façon. Mais je crois que… j'étais malhonnête. Je… Je ne l'ai jamais vraiment laissé s'installer, en fait... Si je fais le point sur ma vie, je me suis laissé enfermer dans un provisoire permanent, je n'avance pas. »
Il marqua une pause. « J'ai l'impression que quelque chose va arriver, alors j'attends. Il n'y a plus de prophétie, c'est terminé tout ça. Mais maintenant que j'ai une totale liberté, je n'arrive pas à m'en saisir. » Il ferma les yeux douloureusement. « Je n'arrive pas à réaliser que je suis déjà dans ma nouvelle vie, je continue d'attendre. C'est complètement con… »
Drago ne répondit pas, il n'y avait rien qui pourrait soulager le brun et ce dernier avait besoin de mettre des mots sur les courants d'émotions qui le traversaient. Le blond but un peu.
Harry tendit le bras vers le whisky, mais se rappela que la bouteille était à sec, alla à la cuisine chercher une carafe qu'il remplit d'eau et revint la déposer sur la table basse. Il formula un charme de remplissage sur le Whisky Pur-Feu, utilisant l'eau comme catalyseur au sort. Une fois son méfait accomplit, il se servit un autre verre et goûta la boisson ambrée fraîchement créée :
« – Ça fera la job, dit-il en grimaçant.
Il ne se sentait pas de continuer sur sa lancée sans le soutien moral de l'alcool même s'il commençait sérieusement à émousser ses sens. Après un moment à défier son verre du regard, il énonça la pensée qui le torturait :
« – Ginny sera mieux sans moi. »
Il se pencha sur ses genoux, en se pinçant l'arête du nez du bout des doigts.
Drago crut un instant qu'il allait éclater en sanglots et se figea, ne sachant que faire. Il se décida à sortir de son mutisme et alla s'asseoir à côté du brun pour lui montrer son soutien.
« – Je ne suis pas forcément d'accord Harry. On ne se connaît pas beaucoup, mais tu es une personne foncièrement bonne, qui vaut le coup d'être connue et fréquentée. » dit le blond doucement, en frottant nerveusement ses mains sur ses cuisses, ne sachant qu'en faire.
Harry renifla et tourna la tête vers lui avant de se laisser retomber sur le dossier du canapé, le regard au plafond, il jeta ses lunettes sur la table basse, négligemment.
« – On ne se connaît pas du tout tu veux dire. Je peux vraiment être difficile à vivre, tu n'as pas idée à quel point. Quand Ginny s'est imposée dans ma vie, dans mon quotidien, puis dans ma maison, j'étais encore tout juste un être humain. Je pouvais passer pratiquement des semaines complètes sans parler, en étant même à peine présent. Et je pouvais boire vraiment beaucoup. » Il avala une longue rasade, comme pour illustrer son propos. « Je crois que je n'étais pas sûr d'être encore vivant. Après tout, j'ai reçu assez de sorts de morts pour plusieurs vies. » termina-t-il, ironiquement.
Il but encore, fit à nouveau le plein et resservit Drago également, faisant monter davantage le niveau d'alcool dans le verre du blond qui peinait à suivre le rythme. Ce dernier prit une gorgée à son tour afin de ne pas se laisser distancer. Son palais de fin connaisseur tiqua en goûtant le mélange entre le whisky d'origine et celui, bien moins bon, qu'Harry avait fait apparaître, mais il continua de boire tout de même.
Le brun l'observa du coin de l'œil. Drago était pensif, considérant ce que le Gryffondor venait de lui dire, essayant d'ajouter ces informations au drôle de puzzle qu'il représentait pour lui. Ses longs cheveux blonds pales, qu'il s'acharnait à vouloir porter attachés, reflétaient la lueur changeante des flammes qui continuaient de danser dans l'âtre. Cela rappela à Harry le concert et les éclairages mouvants de la scène. Tout comme ce soir-là, Drago était tout proche de lui, et c'était étrange de le voir et de le sentir si près. Délesté de ses lunettes, le Serpentard apparaissait dans son champ de vision comme un îlot de netteté dans un horizon flou et coloré.
Il s'en voulait un peu de lui imposer tout ce monologue déprimant, mais il y avait tant de choses qui lui obstruaient l'esprit, il ne voyait pas comment s'en débarrasser. Et puis, il n'était pas non plus pressé de se retrouver dans son grand lit, seul avec l'absence de Ginny. Et il savait que, quand il se serait tourné et retourné pendant de longues minutes, et qu'il abandonnerait l'espoir de trouver le sommeil, il se réfugierait dans le salon, où il serait tout aussi seul. À ce moment, il regretta d'avoir terminé la chambre de l'étage et d'avoir éloigné Drago, alors qu'il ressentait justement le besoin d'être entouré.
Le blond partageait des pensées un peu similaires. S'il ne savait pas vraiment comment soulager le brun, il n'était pas non plus spécialement pressé de rejoindre l'étage et la petite pièce dans laquelle il avait vécu tant de moments de solitude infantile. Avec un peu de chance, en continuant l'espèce de conversation qu'ils avaient commencée, il parviendrait à aider le Gryffondor, et peut être même – on a le droit de rêver – à finalement trouver le courage pour aller rejoindre sa chambre isolée au premier étage.
Voyant qu'Harry continuait sa descente vertigineuse dans la bouteille de whisky, il termina son verre d'une traite pour l'accompagner. Il eut chaud à nouveau, il secoua la tête pour essayer de se débarrasser des rougeurs qu'il devinait sur ses joues.
Il y eut un long silence, Harry était songeur, Drago lui essayait de rassembler ses pensées qu'il sentait se déliter doucement sous l'action de son dernier verre. Le bois dans la cheminée craqua.
« – Peut-être que tu avais raison en fait. dit le brun subitement.
– De quoi ? fit le Serpentard peu élégamment très manifestement perdu et en lutte pour se concentrer.
– Peut-être que vous avez raison, peut être que ce n'est pas de l'amour. » compléta Harry tristement.
Drago se figea et ne répondit rien. Le brun continua :
« – En fait, ce n'est pas tant que je ne vois pas ce qu'elle attendait de moi, c'est plutôt que je sens bien que je ne pouvais pas le lui offrir. Elle veut quelque chose que je n'ai pas. Je passe mon temps à la décevoir, tant dans la relation que nous avions que dans la vie que je mène. Et pourtant elle a été patiente, vraiment… Je me suis convaincu que je finirais par y arriver, par retrouver cette flamme qui existait quand je la fréquentais à Poudlard. Je pensais simplement qu'avec du travail et de la volonté, c'est ce qui arriverait. Que c'était simplement une question d'efforts.
Maintenant, sincèrement, je ne sais plus, murmura-t-il. Peut-être qu'effectivement je me mens à moi-même et que je ne ressentais pas pour elle ce que j'étais censé ressentir. Peut-être que c'était simplement une très grande affection que j'ai voulu prendre pour de l'amour en devenir. » Il parlait désormais tout bas. « Mais dans ce cas… sa voix se brisa. Dans ce cas, je n'ai plus rien. Je n'ai jamais rien eu. Je pensais réellement qu'avec elle j'étais vivant, mais je suis peut-être bel et bien mort ce jour-là, à Poudlard, et je suis comme cet affreux manoir, irrécupérable et foutu. »
Deux larmes roulèrent sur ses joues, il les balaya rageusement.
Drago se rapprocha légèrement, il fit apparaitre un mouchoir de soie blanche du bout de sa baguette et le lui tendit.
« – Ne dis pas ça. Ce n'est qu'un début. » lui dit-il d'un ton rassurant.
Harry se saisit du petit carré de tissu et se moucha brièvement.
« – Ça fait sept ans que c'est un début. » répondit-il, maussade.
Il jeta le mouchoir sur la table et celui-ci se volatilisa.
« – Il te reste des tonnes de choses à vivre, Harry. Regarde d'où tu viens et le chemin parcouru, ce n'est pas rien, c'est même énorme. Peu de gens accomplissent en une vie ce que tu as fait jusqu'ici. Tout cela a un coût, laisse-toi du temps pour encaisser. lui intima le blond.
– Pendant toutes ces années, je me détestais pour ce que mon entourage avait à endurer à cause de la prophétie qui me concernait, je voulais plus que tout que mes proches arrêtent de payer pour essayer de me protéger. Je voulais affronter tout ça en solitaire pour ne plus risquer de perdre quiconque. Mais maintenant que je suis véritablement seul, je réalise que je n'ai jamais eu les épaules pour faire face à quoi que ce soit. Je suis même incapable de faire front à mon quotidien, c'est absolument au-dessus de mes forces, je n'ai de prise sur rien. J'ai l'impression d'être Alice qui tombe sans fin dans le terrier du lapin blanc… »
Drago le regarda avec un drôle d'air. Il s'expliqua.
« – Ça fait référence à un livre moldu très célèbre. Désolé. »
Harry ressentit la morsure de la solitude, d'autres larmes vinrent, malgré son combat pour ne pas les laisser sortir. Il pleura silencieusement. Le blond se rapprocha encore, il passa son bras par-dessus ses épaules et lui frotta doucement le dos.
Dans la chaleur de son accolade, le Gryffondor se sentit mieux, il aurait eu envie d'y rester toute la nuit. Il se laissa aller un peu plus contre lui, profitant de ce cocon éphémère. Quand il perçut que son visage était à nouveau présentable, il se détacha, en évitant le regard de son voisin qu'il remercia, en s'excusant pour son moment de faiblesse.
Il se recroquevilla dans son coin de canapé et reprit son verre, qu'il entreprit de vider à nouveau consciencieusement. Drago acquiesça simplement avec pudeur, comme il le faisait si souvent, respectant la gêne de son hôte. Il regretta néanmoins la fin de ce court moment suspendu durant lequel il avait senti le brun se relâcher et s'apaiser. Cela avait un goût de trop peu, il était convaincu qu'il aurait pu soulager davantage le Gryffondor et qu'avec quelques minutes supplémentaires, Harry se serait pleinement abandonné. Et il avait apprécié tenir le Gryffondor dans ses bras, lui apporter du réconfort. Il n'avait pas eu beaucoup d'occasion dans sa vie d'être un bon ami, d'être proche de quelqu'un et de pouvoir le soutenir sincèrement. Il aimait se sentir utile et percevoir qu'il avait pu aider le brun, même un tout petit peu. Il aurait simplement souhaité trouver des phrases plus apaisantes et les mots qu'il fallait pour soutenir davantage son ami.
Ils restèrent longtemps sans parler, laissant mourir les flammes, à avoir froid de l'éloignement de l'autre et à se demander s'il était normal de vouloir retrouver cette tiédeur perdue.
Ils n'eurent pas de réponse à leurs questions, car le sommeil, aidé par le poids du whisky, s'abattit sur eux violemment. Ils s'assoupirent, chacun affalé sur l'un des bras du canapé en un tableau cocasse. Moon, qui s'était fait discret jusque-là, sembla trouver l'image à son goût et donna sa bénédiction à cette nouvelle pratique en venant s'installer en ronronnant entre eux deux.
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