Après mures réflexions, Drago avait fini par accepter la proposition d'aide de Harry. Ce dernier avait terminé de préparer ses témoignages et, bien qu'un peu factuels, les documents était minutieux et détaillés, ils pourraient constituer un point solide dans la défense du blond et de sa mère.D'autre part, le seul ami avec qui Drago était encore suffisamment proche, Blaise, avait un emploi prenant et une compagne enceinte. Il ne voyait pas comment, même avec toute la bonne volonté du monde, il serait en mesure de l'aider. Par ailleurs, il ne voulait pas peser trop lourdement sur son ami et il ne lui en fit donc pas la demande. Restait donc Harry, qui ne semblait pas travailler et qui avait spontanément proposé de lui prêter main-forte. Objectivement, il aurait été stupide de refuser car cela restait la meilleure option à sa disposition.
Les deux hommes organisèrent donc une espèce de routine de travail. Le matin, chacun vaquait à ses occupations, notamment Drago qui avait fort à faire entre les rendez-vous avec son avocat, les rencontres avec ses parents et leur avocat respectif, les rendez-vous avec les spécialistes de la santé qui suivaient sa mère et diverses affaires administratives relatives à la gestion des biens familiaux – affaires devenues beaucoup plus compliquées depuis leur mise en examen à cause de l'instauration d'une tutelle gouvernementale jusqu'au procès de Lucius.
Harry, pour sa part, s'occupait tant bien que mal et essayait d'être plus prévenant envers Ginny à travers de petites attentions quotidiennes : laisser des repas prêts pour elle quand elle rentrait le soir, être plus attentif sur le rangement et le ménage du manoir, être également plus disponible en sa présence. Il se faisait violence pour ne pas se laisser retomber dans ses travers et son apathie habituels. Même si parfois il sentait la chatouille de ses démons tentaculaires et tapis dans l'ombre, il refusait de se laisser happer. Il se forçait à être toujours en mouvement pour échapper à leur emprise.
Quand enfin les rendez-vous de travail arrivaient, Harry était presque soulagé de pouvoir enfin sortir et s'occuper à faire autre chose que de tourner en rond dans son foyer. Il avait pris goût à ces sessions qui lui apportaient le cadre bienvenu d'une occupation, la sensation d'être utile et nécessaire, mais également la chaleur d'une présence… amicale ? Il s'était donc tout naturellement investi davantage dans cette activité, à la surprise de Drago qui appréciait à sa juste valeur l'aide de Potter. Il aurait, dans le cas contraire, été très rapidement submergé par l'ampleur du travail.
Harry était rarement le premier à proposer de terminer les sessions, Drago avait même parfois l'impression qu'il trainait pour rentrer. Ils dînèrent plusieurs fois ensemble durant les deux premières semaines de travail. Drago allant chercher des plats à emporter tout à fait délicieux dans le petit restaurant asiatique moldu au coin de la rue. Il raffolait de la cuisine simple mais subtile de ce petit lieu. S'il avait définitivement converti Harry en une seule bouchée de soupe Bo Bun, ce dernier s'amusait néanmoins régulièrement à le taquiner sur son nouvel « amour » pour les choses non sorcières. Ils traînaient parfois davantage encore en prolongeant leurs discussions autour d'un verre de Whisky Pur-Feu. Harry prenant alors le soin de faire parvenir un hibou à Ginny pour qu'elle ne l'attende pas. Cette dernière ne semblait pas lui tenir rigueur de ces quelques absences, mais il avait du mal à déchiffrer les ressentis profonds de la rouquine. Dans le doute, il redoublait d'attentions le lendemain et essayait de passer davantage de temps avec elle. N'ayant pas essuyé de nouvelles remarques, il se sentait sur la bonne voie.
Le samedi de la deuxième semaine, la séance fut particulièrement éprouvante, tous deux bloquant sur un élément de la défense qu'ils n'arrivaient pas à résoudre par manque de preuves. Ils avaient tourné le problème dans tous les sens, ils ne parvenaient pas à trouver d'élément factuel prouvant que Voldemort avait bel et bien donné à Drago des missions à accomplir et que ce dernier n'avait pas agit de son propre chef.
Alors que les yeux des deux hommes commençaient sérieusement à les picoter de fatigue et leur concentration à baisser dangereusement, deux filaments de lumière orange arrivèrent dans le salon et vinrent jusque sous le nez de Drago pour produire deux petites explosions colorées. Le regard du blond s'agrandit et il esquissa un sourire avant de sortir précipitamment de la pièce. Harry l'entendit vaguement ouvrir la porte de la chambre d'ami et s'installer sur le bureau.
« – Dra… Malefoy ? Tout va bien ? demanda-t-il en se rapprochant du bruit.
– Oui, oui. Rien de grave, au contraire. J'en ai pour une minute, je te rejoins. »
Le blond sortit son ordinateur portable d'un tiroir du bureau et commença à s'affairer. Alors qu'il allait pousser la porte de la pièce, Harry se ravisa, de peur d'interrompre quelque chose de personnel. Comme il l'avait appris à ses propres dépens, Drago semblait susceptible sur ce point et il préféra donc retourner s'asseoir dans la cuisine.
Il ne fallut effectivement qu'une poignée de minutes pour que Drago revienne avec à la main deux courts morceaux de papier et un sourire franc.
« – Allez, ça suffit, on est en train de se tuer à la tâche et ça fait déjà plus d'une heure que nous ne sommes bons à rien. On va aller s'aérer. Déclara le blond sur un ton qui n'acceptait aucun refus.
– Heu … Ok ? J'imagine que tu as quelque chose de précis en tête vu ton air décidé.
– Effectivement. Son sourire s'agrandit et devint plus narquois. Il y a ce soir un concert secret de Portishead, on va aller voir ça.
– Un concert ? Ok… pourquoi pas. » Harry était extrêmement surpris, au-delà de l'incongruité de la proposition, il ne voyait pas le Sang-Pur comme un grand amateur de sorties. Le nom du groupe lui disait vaguement quelque chose, mais sans plus. Il ne savait pas si la perspective d'une virée avec Malefoy devait le réjouir ou non. Sa semi-motivation n'entama cependant en rien celle de son collègue.
– Potter, c'est officiel, tu es un cas désespéré. Ce groupe est énorme, quelqu'un comme toi devrait connaitre. »
Harry ne releva pas la remarque, ne voyant pas pourquoi il aurait dû connaitre ce groupe. Être le foutu Sauveur ne donnait pas la science infuse, surtout concernant ce genre de domaine. Ça l'agaça, d'ailleurs, que Drago fasse encore ce genre de remarque sur son irritant statut. Il préféra changer de sujet et interrogea le blond sur les étincelles orange pour apprendre qu'il s'agissait en fait d'un petit sortilège d'alerte pour être mis au courant dès que le concert d'un groupe qu'il aimait était annoncé.
Les deux hommes ne prirent pas la peine de ranger la table de la cuisine. Après avoir rapidement avalé des sandwichs, ils enfilèrent des vestes chaudes. Drago insista pour qu'Harry laisse sa cape sur place et ils se rendirent à la zone de transplanage la plus proche. Une fois qu'ils eurent transplané à la station voulue, ils marchèrent encore un peu, Drago le guidant à travers les rues, d'un pas décidé.
Le soir tombait tranquillement sur Londres, les rues humides semblaient pressées de s'endormir et se vidaient progressivement à mesure que les deux sorciers approchaient de leur destination. Harry découvrait une zone de la ville qu'il ne connaissait absolument pas, tout à la fois envoûtante et repliée sur ses secrets.
Après avoir tourné un peu dans des allées de plus en plus tordues et à l'architecture disparate, le blond s'arrêta devant une large porte en bois en dessous du niveau du sol. Il descendit les trois marches qui l'en séparaient et y frappa. Une petite lucarne s'ouvrit sur un morceau de visage qui les détailla avec circonspection. Drago donna une espèce de mot de passe sans queue ni tête. La paire d'yeux fut remplacée par une main tendue dans l'ouverture qui réceptionna les deux billets. La lucarne se referma alors en claquant et la porte s'ouvrit pour leur permettre d'accéder à un étroit couloir avec un éclairage tamisé. Harry se dit que les sorciers avaient quand même de drôles de manière d'organiser des concerts. Ils arrivèrent finalement dans une salle un peu plus grande, déjà remplie de monde.
Il s'immisça dans la foule pour se rapprocher de la scène, le blond le rejoint avec deux gobelets de whisky qu'ils vidèrent rapidement avant de les faire discrètement disparaître. C'est à ce moment seulement qu'Harry réalisa qu'il était entouré de gens en vestes et pantalons, pas une seule robe sorcière à l'horizon ... Malefoy venait de le traîner dans un concert MOLDU ! Il n'eut pas le temps de lui demander des explications, car la lumière venait de diminuer dans la salle pour se concentrer sur scène. Et ils furent dès lors enveloppés de son.
L'ambiance s'échauffa rapidement et, au fur et à mesure de la soirée, il put observer le blond se transformer à côté de lui. Ce dernier se mouvait désormais en suivant le rythme, ses cheveux, s'étant affranchi de leur bride, rebondissaient lestement sur ses épaules. Harry ne put s'empêcher d'être captivé par cet étonnant ballet, mais aussi gêné par l'étrange métamorphose dont il était le témoin. Débarrassé de ses habituelles manières sophistiquées, le Sang-Pur semblait une toute autre personne, un homme libre, pleinement en harmonie avec le monde. Le brun en fût un peu jaloux. C'était comme si, peu importe où il allait, Drago prenait possession des lieux, imposant avec naturel sa présence, comme s'il était chez lui. Les lumières ondoyantes faisaient chatoyer ses cheveux clairs en un tableau aussi singulier que surréaliste. Harry aperçut aussi les joues du blond, légèrement rosies par la danse, ce qui le fit rougir à son tour, comme pris en faute d'avoir mis à jour quelque chose qui n'était pas censé l'être, un détail purement humain, une petite faille. Si on lui avait dit, il n'y a même pas deux semaines, qu'il allait voir Malefoy danser durant un concert moldu, il aurait ricané comme un possédé, déjà pour l'absurdité de l'idée, mais également à la perspective amusante de voir le Sang-Pur ébaucher des mouvements gauches et raides.
Il n'avait plus du tout, du tout envie de rire. L'homme devant lui n'avait rien de gauche et il était beau dans son attitude d'abandon… et même beau tout court, s'il voulait être complètement honnête. Le pincement de jalousie se fit plus fort, il semblait que même un ex-futur Mangemort en disgrâce avait plus de place dans ce monde que lui.
Un regard en biais de Drago lui fit perdre le fil de ses pensées. Le blond leva un sourcil en apercevant son air renfrogné et se retourna pour le regarder franchement.
« – Tu n'aimes pas ? » lui cria-t-il en se rapprochant de son oreille. La proximité subite fit tressaillir le brun de surprise.
« – Si, si ! Beaucoup. J'avais juste la tête ailleurs.
– Potter, arrête donc de penser, ce n'est pas le moment. Profite, laisse-toi porter. »
Il dévisagea le blond avec un air indéchiffrable, puis essaya de mettre en application son conseil. Le brun ne put s'empêcher malgré tout de jeter régulièrement de furtifs coups d'œil à son voisin, bien que la musique ne soit pas spécialement joyeuse, elle semblait animer l'autre jeune homme d'une vie et d'une énergie nouvelle. Harry ne l'avait jamais vu comme ça et il était mal à l'aise de scruter autant – il n'était quand même pas en train de mater Malefoy. Cependant, dérouté et hypnotisé, son regard aimanté revenait régulièrement glisser sur lui, emplissant le Gryffondor d'une drôle de sensation, pas franchement désagréable, mais étrange. Il passa le reste du concert à osciller d'un pied sur l'autre en suivant la musique, mais sa tête refusait de lâcher prise, et il du se concentrer sur les paroles pour parvenir à ne plus conjecturer sur l'énigme Malefoy.
Harry et Drago suivaient le flot de la foule qui se vidait doucement dans la petite rue, puis s'éparpillait tranquillement dans Londres. Ils marchèrent sans un mot, chacun savourant la douce torpeur laissée par la musique et qui s'envolait progressivement. À peine eurent-ils mis un pied dans l'ancienne patinoire désaffectée qui servait de station de transplanage qu'un petit hibou argenté bien connu se jeta sur Harry pour lui remettre un mot.
« – Oh merde ! Ginny ! »
Le brun ouvrit la missive avec empressement, il n'avait pas besoin d'en connaître le contenu exact pour savoir que la rousse était en colère de sa nouvelle et longue disparition inexpliquée. Il avait complètement oublié de la tenir au courant. Mortifié, il lut rapidement la note et salua le blond de manière expéditive avant de le quitter pour transplaner précipitamment dans une station près de chez lui.
Drago resta un moment interloqué par l'abrupte clôture de cette virée, plutôt agréable pour le reste. Etait-ce une habitude de Potter d'amputer ainsi les fins de soirée ? Il avait du mal à comprendre ses agissements par moment.
Il transplana à son tour près de son domicile et termina le chemin en repensant à l'air contrit du brun durant le concert. Il l'avait senti l'observer par moment, et bien qu'il en avait d'abord été gêné, notamment à l'idée de dévoiler une facette de lui peu connue, il avait finalement préféré profiter pleinement de la musique et de l'ambiance. Un concert secret de Portishead, au-delà d'être excessivement rare, était un moment unique. Il n'arrivait pas à croire que Potter ne connaissait pas ce groupe, c'était censé être lui le moldu-friendly. Avait-il vécu à ce point dans une grotte pour n'avoir jamais entendu la moindre chanson d'eux ?
Drago avait également été surpris de voir le brun si mal à l'aise, lui, le Gryffondor impulsif et adoré de tous semblait une toute petite chose au milieu de cette foule d'inconnus. Il avait presque semblé s'excuser d'être là. Malgré son conseil, il ne l'avait pas vu se détendre beaucoup, conservant longtemps un visage renfermé et la mâchoire serrée. Le brun lui avait pourtant assuré apprécier la musique. Et le problème ne pouvait tout de même pas venir de la foule moldue et indifférente du concert. Alors d'où venait-il ?
Il avait pensé qu'une sortie de ce type plairait au brun, mais il réalisait qu'il ne le connaissait pas tant que ça. Où était donc passé le Potter au sang chaud, le vif attrapeur de l'époque de Poudlard ?
Une fois rentré, le blond décida de ne pas se coucher immédiatement et s'affala sur son canapé, accueillant Moon sur ses genoux et lui grattant doucement le dessus de la tête pour le faire ronronner bruyamment. Il sourit faiblement réalisant qu'Harry n'avait pas dû avoir un retour à la maison aussi agréable, à moins que la colère de la Weasley fille ne soit pour le lendemain matin si celle-ci dormait déjà.
Il trouvait ce couple tristement prévisible. L'amour de collège qui se concrétise à la sortie des études, on aurait dit une de ces séries moldues pour adolescents. Cependant, Drago sentait son collègue de galère assez peu investi auprès de la rousse, il en parlait peu et sans ardeur. Cela l'étonnait d'ailleurs – mais Harry l'étonnait beaucoup. Il aurait supposé que son instinct de Saint-Potter le Sauveur l'aurait plutôt conduit à couver sa moitié de milliers d'attentions – mièvres, bien évidemment – et que son cœur de lion lui vouerait une passion brûlante. Non, le Potter qu'il observait semblait plutôt froid et distant – adjectifs qui pourtant correspondaient mieux à l'adolescent aristocrate que lui-même avait été. Le brun semblait… détaché, en fait, de sa petite-amie et Drago trouvait cela un peu cruel. Bien qu'il ne porta pas spécialement Ginny dans son cœur, il ne lui souhaitait pas d'être mal accompagnée. De ce qu'il connaissait de la jeune femme, elle possédait une sacrée force de caractère, un esprit fonceur et une énergie solaire. Il voyait mal comment tout cela pouvait s'accorder avec le Harry qu'il côtoyait actuellement et qui lui semblait si effacé, voire même terne par rapport à elle. Il n'arrivait pas à imaginer le brun capable d'apporter la chaleur et le soutien nécessaire à la survie d'un couple. Que pouvait-il y avoir de pire que d'être dans une relation avec un fantôme ?
Il secoua la tête, après tout, l'équilibre de leur couple ne le regardait pas. Il avait déjà vu de bien étranges associations fonctionner à merveille durant toute une vie, et d'autres, évidentes, voler en éclat au bout de quelques mois. Qui était-il pour juger l'amour ? Lui qui avait choisi de mettre cela entre parenthèse pour le bien de son avenir, et qui donc, depuis plusieurs années, avait fait le choix de privilégier l'amour filial à celui conjugal. Il laissa donc ces questions de côté pour sombrer dans le sommeil. |