Harry sortait d'un rendez-vous avec le nouveau Ministre de la Magie, Philippus Roadsings, un homme inconnu avant la guerre, élu quelque peu dans l'urgence, mais qui avait su faire ses preuves. Sa grande humanité avait su séduire Harry, à qui il demandait régulièrement des conseils. N'était-il pas, après tout, la personnalité la plus influente du monde magique ? Il était devenu Celui-Qui-A-Survécu-Deux-Fois-Et-Qui-A-Vaincu, patronyme encore plus long que les autres et venant s'ajouter à un déjà lourd palmarès dont il se serait bien passé.
Aujourd'hui, le Ministre venait lui demander son appui dans sa campagne sur le développement de foyers sorciers pour les orphelins de la Guerre. Il ne voulait pas que l'histoire puisse se répéter et prendre le risque qu'un autre Tom Jedusor ne voit le jour dans un orphelinat moldu.
Avec son passé et ce qu'il connaissait de la vie de l'ancien mage noir, Harry était le porte-parole parfait pour ce projet, le premier ministre en était persuadé. Ensemble, ils avaient déjà fait instaurer des thérapies de psychomagie obligatoires pour tous les Mangemorts condamnés ou encore en instance de jugement. Cette ironie faisait d'ailleurs sourire le jeune homme, lui, le grand vainqueur et eux, les vaincus, en arrivaient finalement au même traitement.
La réunion l'avait épuisé et il avait envie de décompresser un peu, c'est pourquoi il choisit de faire un détour par un glacier afin de se changer les idées, côté moldu, bien entendu, pour ne pas être importuné sans arrêt. Il avait pris l'habitude de se promener sans but précis du côté moldu, savourant le fait de n'être pas dérangé, ni même dévisagé avec crainte, respect ou admiration, et pouvant ainsi profiter pleinement de l'architecture, des gens et de l'atmosphère si particulière de la ville.
Il profita de la marche pour repenser à sa situation, il vivait confortablement, avait le soutien des personnes qui l'aimaient : ses amis, sa compagne Ginny ; cependant il se sentait toujours comme à moitié vide, las. Il mettait cela sur le compte de la guerre, comme si quelque chose en lui avait été brisé. C'est aussi ce que lui disait sa psychomage, même si elle se gardait bien de trop creuser, au grand dépit d'Harry qui avait parfois l'impression de faire du sur-place dans son suivi. En fait, il se sentait globalement frustré, mais il n'aurait su dire pourquoi et les rares fois où il avait voulu en parler avec Ginny, il s'était vite rendu compte qu'il était incapable d'exprimer ce qu'il ressentait, comme s'il y avait un mur d'incompréhension entre eux.
Il lui avait fallu du temps avant de pouvoir être à nouveau longtemps en présence des Weasley sans se sentir gêné ou happé par des idées noires. Bien sûr, le fait qu'il soit maintenant avec Ginny avait facilité la situation, sa thérapie aussi, même si la culpabilité maladive continuait de le tirailler par moment. C'est d'ailleurs pour cela qu'il continuait d'éviter les invitations au Terrier autant que possible, il lui était encore trop difficile d'être entourée de toute la tribu de rouquins en même temps
Après avoir un peu déambulé dans Londres, il s'arrêta à une terrasse ensoleillée et, abandonnant ses pensées sombres, il commanda une énorme glace à la cerise et s'assit au soleil. Il s'apprêtait à commencer la dégustation tant attendue quand une voix traînante et qui ne lui avait pas manqué, l'interpella :
« – Potter… »
Il tourna la tête pour visualiser ton interlocuteur.
« – Malefoy ? il était vraiment surpris de le revoir après tant de temps. Que me vaut l'honneur du dérangement ?
– Je vois que la politesse t'étouffe toujours, répondit-il l'air ennuyé. À vrai dire je passais par là, mais ça m'arrange de te croiser, il fallait que je te parle.
– Vraiment ? répondit Harry en le dévisageant avec attention.
– Oui vraiment, mais permets que je m'asseye », dit-il en joignant le geste à la parole, s'installant tranquillement, dos au soleil.
Harry en profita pour le détailler, il avait changé depuis leur dernière « rencontre », alors qu'il tentait de lui échapper et de trouver le diadème, il avait mûri, bien sûr, mais il y avait un je-ne-sais-quoi dans son expression qui semblait plus détendu, plus …humain, comme si son masque de froideur s'était un peu ramolli. Il portait des vêtements moldus, classes, mais décontractés, adaptés à la température clémente : un simple pantalon de toile noir, un t-shirt de la même couleur et une veste bleu marine. Le soleil donnait à ses longs cheveux, attachés en queue de cheval basse, une sorte d'aura surnaturelle, ce qui fit sourire Harry, comme quoi, si certaines choses changent, d'autres moins. Il sortit de sa contemplation en réalisant qu'un silence désagréable et pesant s'était installé entre eux.
« – De quoi voulais-tu me parler ? lui demanda-t-il, afin de rompre le malaise.
– C'est un peu délicat, à vrai dire. »
Le regard de Drago se fit fuyant. Harry le fixa plus intensément :
« – C'est marrant, dans mes souvenirs, il ne t'était pas difficile de dire des tonnes de choses et surtout des choses désagréables.
– Parce que cette fois-ci, comme tu t'en doutes, c'est pour moi que c'est désagréable. répliqua l'ancien Serpentard sèchement.
– Alors peut-être que tu commences à m'intéresser Malefoy. »
Ce dernier le regarda d'un air dur, comme s'il essayait de le jauger, puis sembla abdiquer en soupirant :
« – Écoute… commença Drago qui semblait chercher ses mots. Je viens te demander un service. » finit-il dans un souffle.
Harry ouvrit des yeux ronds, non seulement croiser un Malefoy dans le Londres moldu désirant lui parler tenait de la 4e dimension, mais que celui-ci lui demande en plus de l'aide lui paraissait carrément inconcevable.
« – Tu veux… que je te rende service ? Pourquoi ? demanda Harry, méfiant.
– Je voudrais que tu aides ma mère, je sais ce qu'elle a fait pour toi durant la dernière bataille et j'avais espéré que tu t'en souviendrais et qu'éventuellement, tu voudrais bien… témoigner. »
Il avait dit tout cela d'un ton hésitant, loin de celui assuré qu'il employait autrefois à Poudlard, dans ce qui semblait être, à présent, une vie antérieure. Harry fut décontenancé.
« – Je m'en souviens très bien, je t'avoue que je ne sais pas trop… Je… Tu me prends un peu au dépourvu. »
Le blond le regarda dans les yeux et, pendant une seconde, une étrange atmosphère s'installa entre eux, comme s'ils sublimaient toute la rancœur passée pour essayer de voir le présent. Harry finit par détourner le regard, gêné à la fois de la situation et de la demande. Il savait que le procès des Malefoy était pour bientôt, ce qui pouvait expliquer la présence de Drago. C'était un peu facile de venir lui demander de l'aide maintenant, sous prétexte qu'ils avaient plus ou moins retourné leur veste quand les choses avaient commencé à sentir le roussi. Il était partagé entre le désir de l'envoyer paître et celui d'écouter cette sincérité qu'il sentait dans la demande, parce qu'il savait que Malefoy ne venait pas le voir de bon cœur et qu'il devait vraiment avoir besoin d'aide pour le faire. Il n'eut pas le temps d'aller plus loin, car le blond l'interrompit.
« – Je me disais que peut-être tu te souvenais aussi de… enfin… pour moi. » Son ton était de plus en plus incertain.
« – Je me souviens surtout que tu as failli me tuer avec les deux abrutis qui te servaient d'amis pour essayer de me livrer à Voldemort ! » s'énerva Harry.
En entendant prononcer le nom du lord noir, Drago se tassa sur sa chaise avec un léger tressaillement que le brun ne manqua pas de remarquer.
« – Je suis désolé. » murmura le blond.
Cette fois-ci, Harry ne pouvait y croire et il fut vraiment tenté de se pincer le bras. Drago Malefoy venait de s'excuser, et ce, sans avoir de baguette sous la gorge.
« – Ok Malefoy, stop ! Je … tu …non ! Sept ans après la Bataille de Poudlard où tu as essayé de me tuer avec tous les potes de tes parents, tu viens me voir et me demandes de t'aider pour que toi et ta famille soyez acquittés. Famille qui, il faut le dire, n'a rien fait d'autre que d'essayer de me pourrir la vie depuis que je la connais. Comment tu veux que je réagisse à ça, c'est trop insensé ! »
Le blond ne répondit rien et Harry put se délecter une seconde de son malaise. Malaise qui, malheureusement, commença à le contaminer. C'était exactement pour ça qu'il se tenait loin de tous, pour ne pas être pris à partie, pour ne pas avoir à s'impliquer, jamais. Il avait reçu tellement de lettres de personnes lui demandant de l'aide pour leur procès, leurs dossiers de demandes de pension de guerre ou même des choses saugrenues comme leurs demandes d'augmentation, qu'il avait fermé tout bonnement la porte à tous. Il se radoucit cependant quelque peu.
« – Bon, écoute, reprit-il après un silence, laisse-moi y réfléchir. Je t'enverrai un hibou pour te donner ma décision. Je ne peux pas te répondre maintenant. Dans combien de temps exactement est le procès ? »
« – Deux mois et demi, répondit Malefoy. Prends tout ton temps. » Ajouta-t-il, d'un ton sarcastique.
Il avait repris ses manières froides, son regard polaire, et, même si l'apogée du style restait à l'époque de leur scolarité, cela continuait de faire son petit effet.
Il jeta un mouchoir de soie sur la table et partit d'une démarche élégante.
Harry, perturbé, regarda le mouchoir un moment sans comprendre, avant de constater l'état de la glace dans sa main droite. Il ne l'avait pas touchée depuis le début de la conversation et elle lui avait fait payer son désintérêt en dégoulinant partout. Il essuya comme il put les dégâts en repensant à la conversation qu'il venait d'avoir avec son vieil ennemi. Il se sentait toujours tiraillé par de vieilles rancœurs ajoutées à des faits graves et bien réels, mais il avait, en même temps, la farouche volonté de comprendre, de savoir. Savoir ce qui avait pu pousser Malefoy à mettre sa fierté de côté pour venir lui demander de l'aide.
Il enrageait, car il savait qu'il ferait mieux de laisser le blond et sa famille de peroxydés crever la bouche ouverte. Au vu des actes qu'ils avaient commis, juridiquement parlant, ils étaient pratiquement condamnés d'avance. Ceci dit, il avait une dette envers Narcissa et, même s'il savait qu'elle l'avait protégé dans l'unique but d'avoir des nouvelles de son fils, ça ne pouvait que lui rappeler le geste de sa propre mère, dans une moindre mesure.
Il resta un long moment à réfléchir avant de se lever précipitamment pour se rendre chez ses deux meilleurs amis, le jeudi était le jour de congé d'Hermione, avec un peu de chance se dit-il, il arriverait même à rentrer à l'appartement avant que Ginny ne soit rentrée de la fac de médicomagie.
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Le vendeur sorti de l'arrière-boutique en entendant résonner le carillon de la porte d'entrée. Il fut étonné de revoir son habitué préféré si vite.
« – Ben alors Drago, un problème ? Ce n'est pas souvent que mon meilleur client vient deux fois en même pas trois heures.
– Une rencontre fortuite, et pas des plus agréables. Tu n'aurais pas un truc pour me détendre, un truc nouveau, sans prise de tête et que je ne vais pas jeter dès demain ? demanda Drago.
– Je crois que le plus difficile sera de trouver quelque chose de nouveau, mon stock commence à se faire étriqué pour toi… Quoique… Ha, je sais ! Un petit truc qui nous vient du nord, tu devrais aimer et ça sera parfait pour ce que tu me décris. »
Le vendeur fit un rapide aller-retour jusqu'à un bac au bout du comptoir avant de tendre son acquisition à Drago.
« – Tiens.
– Merci Stan t'es un ange, je te dois combien ? demanda le blond en fouillant dans une des poches de son jean.
– Laisse, c'est cadeau pour cette fois, tu viendras m'en acheter d'autres si ça te plaît. Passe une bonne soirée. »
Drago Malefoy remercia le vendeur et quitta la petite boutique. Stan le regarda sortir du magasin et eu un sourire en coin. Quel drôle de personnage, aussi passionné par ses produits qu'il était mystérieux et secret, se dit-il. Malgré qu'il le connaissait et échangeait avec lui depuis quelques années, il ne savait pour ainsi dire rien de sa vie. Il remit une mèche échappée de sa queue de cheval désordonnée derrière son oreille, puis, voyant qu'il n'y avait plus personne dans les rayons, retourna dans l'arrière-boutique pour terminer son archivage.
Drago marcha jusqu'à son appartement qui n'était qu'à une quinzaine de minutes, l'air de l'extérieur l'aidant à réfléchir. Lui aussi bouillonnait, il ne s'était pas attendu à croiser Potter si tôt il avait seulement décidé qu'il devait lui parler deux jours plus tôt.
Il se dit qu'une fois de plus il haïssait la providence, mais d'un autre côté, il voyait ça comme un signe qu'il avait fait le bon choix, même si ce n'était pas le plus facile. Il voulait que sa mère s'en sorte et, si possible, lui aussi, pour veiller sur elle, car il savait que son père n'échapperait pas à une condamnation.
Le jeune homme avait bien changé depuis Poudlard, il avait complètement revu ses idéologies. Sa thérapie obligatoire, laborieuse au début, lui avait permis de se rendre compte que suivre la volonté des autres n'était pas une façon de diriger sa vie, il s'était donc éloigné de ses parents et avait pris un appartement. Cette distance lui avait été nécessaire pour lui permettre d'explorer son identité propre. Sa thérapeute lui avait parlé de reconstruction nécessaire, mais il lui semblait plutôt qu'il était né à ce moment-là, qu'il n'y avait rien de lui qui préexistait ce nouveau départ tant il avait grandi en essayant d'être une copie de son père.
Il avait été très réticent au début avec la psychomage, mais celle-ci avait réussi à le mettre à l'aise et était parvenue à l'ouvrir à lui-même. Cela faisait maintenant un an et demi que ça avait commencé et la relation avec la psychomage était devenue presque amicale. Il réalisait maintenant qu'après les deux dernières années de ses études à Poudlard, vécues dans le stress et l'angoisse, ça n'avait pu que lui faire du bien. Il ne s'en serait probablement pas sorti seul, même s'il n'aimait pas l'admettre.
Il pénétra dans un petit immeuble cossu du centre-ville, salua le concierge qui balayait le hall carrelé et se rendit dans son appartement, au deuxième et dernier étage.
Enfin chez lui. Il avait décoré lui-même et était plutôt satisfait du résultat. Comme sa psy le lui avait conseillé, il avait essayé de rendre le lieu agréable et chaleureux, ce qu'il pensait assez réussit, même si, objectivement, le résultat était un peu impersonnel. L'ensemble clair, moderne et sobre contrastait assez avec les boiseries et décorations qu'il avait connues au manoir, et c'était d'ailleurs le but. Dans cet environnement il se sentait chez lui, il avait choisi la plupart des meubles et il avait apporté le minimum avec lui. Ici, pas de tableaux d'ancêtres, d'objets familiaux ou d'armoiries pour lui rappeler qu'il était un Malefoy avant tout, pour autant que cela veuille dire quelque chose.
Il jeta sa veste sur une patère de l'entrée et alla s'affaler sur son canapé beige avant de se rappeler qu'il avait la dernière fournée de Stan en attente. La thérapie avait été efficace au point de lui faire revoir ses a priori sur les moldus et leurs technologies, ainsi que d'emménager dans le Londres non sorcier. Ceci agrandissait encore plus la distance qu'il avait prise vis-à-vis de son père et de son lourd héritage familial de Sang-Pur. Il n'était pas à proprement parler en froid avec son paternel, mais il ne partageait plus sa vision du monde et ne souhaitait plus s'encombrer des protocoles aristocratiques auxquels Lucius tenait tant, même dans leur actuelle situation de disgrâce au sein de la population sorcière. Drago prenait cependant bien soin d'aller voir sa mère régulièrement pour s'enquérir de sa santé fragile et pour s'occuper d'elle.
Il se résigna donc à se lever et à aller chercher le cadeau du vendeur dans la poche de sa veste : un disque … Il regarda la peinture sur la pochette et déchiffra le nom du groupe : Sigur Ros. Il plaça le disque sur la platine du salon, astucieusement camouflée dans une armoire qu'il pouvait fermer à clé. Quand enfin la musique résonna dans l'appartement – qu'il avait magiquement modifié pour diffuser le son dans toutes les pièces –, il s'autorisa à s'affaler à nouveau sur le canapé et à souffler. Il se demanda ce qu'Harry avait bien pu penser de sa requête, de lui aussi. Il avait confiance dans l'esprit Gryffondor du brun, mais ne pouvait s'empêcher de craindre un refus, il ne pouvait se permettre d'être présomptueux. À vrai dire, il n'avait pas vraiment de plan B, si ce n'était l'exil, mais il doutait que sa mère ne le supporte. Il se laissa aller à rêvasser, porté par la musique atmosphérique et planante. Il était tout à fait perdu dans ses pensées quand Morphée le surprit. |