Le soleil était déjà très haut quand un bruit insistant se fit entendre depuis la cuisine. Harry décolla une de ses paupières avec toutes les peines du monde. Il parvint à la soulever de quelques millimètres avant de se raviser. Il lui fallut plusieurs minutes avant de parvenir à ouvrir les deux yeux. Durant ce laps de temps, le reste de son corps s'éveilla progressivement lui aussi, retrouvant peu à peu des sensations au fur et à mesure que les plaintes de chacun de ses groupes musculaires parvenaient à son cerveau saturé d'informations diverses : douleurs, raideurs, lourdeurs, nausées… Un véritable festival de souffrances.
Il se maudit pour tout ce qu'il avait bu. Il y avait longtemps qu'il n'avait pas ingurgité une telle quantité d'alcool. Cette gueule de bois faisait littéralement passer sa dernière pour une croisière aux Bahamas.
Au ralenti et avec des gestes gourds, il démêla ses jambes entremêlées à celles du blond. Il ne se souvenait pas vraiment de toute la soirée de la veille et il ne parvenait pas à resituer le moment où Drago avait investi « son » canapé. Moon, allongé sur celui d'en face, le regardait émerger du divan d'un œil placide. Harry fut presque sûr d'y percevoir une pointe de moquerie, mais il mit cela sur le compte de la fatigue.
Le bruit parasite qui l'avait tiré de son sommeil, cette espèce de petit claquement en série, continuait de se répéter de manière irrégulière et particulièrement agaçante. N'y tenant plus, il trouva le courage de se mettre sur ses jambes et de parcourir péniblement les quelques mètres qui le séparaient de la cuisine. En s'approchant, il commença à distinguer un oiseau brun à la fenêtre qui frappait le carreau de son petit bec crochu, ce dernier redoubla d'ailleurs ses efforts en voyant Harry. En évitant les gestes brusques – afin de ménager son estomac fragile –, il ouvrit la fenêtre pour laisser rentrer l'oiseau, avec une désagréable sensation de déjà-vu. Il saisit la lettre que ce dernier lui tendit et laissa repartir le volatil sans même lui donner de friandise, ne se sentant pas le courage d'aller lui en chercher.
La missive était adressée à Drago, ce qui lui fit lever un sourcil, mais son cerveau n'avait vraiment, vraiment pas envie d'y réfléchir à cet instant. Il se dirigea vers la salle de bain en priant pour qu'il lui reste de la potion dégrisante. Il remercia tous les dieux qu'il connaissait quand il trouva un ultime flacon dans un tiroir. Il inspira profondément, en but une large rasade en luttant pour la conserver à l'intérieur de son organisme. Les effets se firent ressentir assez vite, diminuant progressivement son malaise général. Il revint ensuite dans le salon et déposa la fiole ainsi que la lettre sur la table basse avant de s'assoir dans le canapé « de Drago ». Il observa ce dernier dormir quelques secondes.
Il eut un sourire en coin en considérant ses cheveux ébouriffés autour de son visage anguleux. Malgré un teint un peu verdâtre, le blond semblait serein. Tandis que la potion redonnait prise à Harry sur son corps et son esprit, des bribes de la soirée lui revinrent. Il se souvint de sa phase d'abattement, de ses larmes. Et il rougit au souvenir de la longue accolade partagée. Il ne savait pas trop comment il se sentait vis-à-vis de cet échange plutôt intime. Il remercia mentalement Drago pour sa retenue, son soutien et pour savoir si souvent trouver ce juste équilibre dont il avait besoin.
Il laissa son regard courir sur le Serpentard encore affalé dans le sofa. Il constata que l'angle de son cou ne devait pas être des plus confortables et, même s'il était un peu tard pour rectifier le tir, il alla replacer délicatement sa tête. La douceur de la joue diaphane du blond sous son pouce le surprit et il laissa son doigt glisser doucement jusqu'en bas de son visage pour en goûter la texture un peu plus longtemps. Harry se ressaisit en réalisant que si ce dernier avait ouvert les yeux, il aurait eut l'air au mieux d'un parfait crétin, au pire d'un inquiétant maniaque.
Il s'éloigna donc de son invité et retomba sur la lettre reçue un peu plus tôt et eut un mauvais pressentiment. Il hésita quelques secondes, puis décida d'ouvrir la missive pour en vérifier le contenu, estimant que le blond comprendrait. Il enfila ses lunettes, restées sur la table basse, et alla dans sa chambre où il décacheta le courrier avec précaution, après avoir formulé un sort de silence. Il souffla sans retenue de soulagement quand il aperçut le parchemin tout à fait ordinaire qui était plié à l'intérieur de l'enveloppe.
Dans le salon, Drago esquissa un mouvement, une grimace de dégoût lui déforma la bouche un moment, puis il ouvrit les yeux brusquement et se leva avec précipitation pour se presser dans les toilettes où il débarrassa bruyamment son estomac du poids de sa cargaison éthylique.
Harry, alerté par le bruit, sortit de la chambre et échangea sur la table basse la lettre ouverte avec la potion qu'il apporta au blond, accompagnée d'un verre d'eau. Ce dernier sorti des toilettes, hagard et déconfit. Il eut un regard de remerciement à la vue du remède qu'Harry lui tendait et qu'il but avec concentration. Son front était brillant de sueur et la teinte verdâtre de son visage avait empiré. Il saisit ensuite le verre d'eau qu'il ingurgita lentement dès que son corps le lui permit.
« – Ça va mieux ? demanda le brun.
– Oui, merci, répondit Drago entre deux grandes inspirations. Tu es réveillé depuis longtemps ?
– Non, quelques minutes. Un hibou m'a sorti de mon coma. Il y a une lettre pour toi. », répondit le Gryffondor.
Le blond se figea et le considéra avec un regard inquiet.
« – Ce n'est pas une Beuglante, rassures-toi. Je me suis permis de l'ouvrir pour vérifier. », dit calmement le brun.
Le regard gris se fit alors perçant et suspicieux. Harry devança sa question.
« – Je ne l'ai pas lue, pas la peine de t'énerver. Je souhaitais simplement t'épargner la désagréable surprise matinale de la dernière fois… Bien que je doute qu'il soit encore le matin. », finit-il en lançant un Tempus rapide qui confirma en indiquant treize heures passées. Il reprit :
« – Elle est sur la petite table du salon. »
Drago le remercia et alla la chercher en ménageant son corps encore douloureux. Il parcourut rapidement le parchemin des yeux et Harry put voir son expression s'assombrir, redoutant l'annonce de la nouvelle. Qu'avait-il pu arriver ? Le Serpentard leva les yeux et s'adressa à lui, comme à regret :
« – As-tu la Gazette du Sorcier d'aujourd'hui ? »
Le brun fit signe que non d'un mouvement de tête. Encore Skeeter ? Qu'avait-elle pu trouver de nouveau ?! Drago n'avait pas bougé de chez lui, il était impossible qu'elle ait pu dénicher un nouveau scoop sur lui. Alors, quoi ?
Il proposa à Drago d'en acheter un exemplaire rapidement par Cheminette. Depuis quelques années, il était possible de le faire dans une sorte de guichet rapide mis en place à cet effet.
Harry plongea donc sa tête dans la cheminée une fois la poudre lancée et annonça l'adresse concernée. Après quelques secondes de voyage dans le réseau, un tout petit comptoir apparu en face de lui, derrière, un sorcier peu aimable et à la tête fripée comme un bouledogue lui demanda combien d'exemplaires il souhaitait en le regardant à peine. Harry n'en commanda qu'un seul et entra un bras dans les flammes pour lui donner les quelques Mornilles qu'il avait préparées à côté de lui, il reçut en échange une édition fraîche du journal. Il le salua brièvement et ressortit son corps du foyer.
Il déplia les feuillets de papier avec appréhension, Drago s'était placé juste au-dessus de son épaule, tous deux retenaient leur souffle.
Sur la première page, le gros titre apparut : « Du nouveau dans l'affaire Malefoy ». Cela ne présageait rien de bon. Un cliché de la famille du Serpentard trônait en grand, cela avait l'air d'une photo réalisée durant un événement officiel, de type gala de charité, et les trois membres se tenaient droits et fiers devant l'objectif en bougeant peu. Ils lurent les quelques lignes figurant en dessous :
« Rebondissement surprise dans l'histoire du procès de la famille Malefoy. Lucius, à la tête de ce qui reste de cette lignée de Sang-Pur, fait aujourd'hui l'objet de révélations fracassantes. En effet, une source sûre nous a confié des détails passionnants sur le fait divers qui avait agité la communauté sorcière il y a des années, lui faisant craindre le pire pour ses progénitures en scolarité à Poudlard. Souvenez-vous des terribles pétrifications en série qui avaient touchées plusieurs élèves de l'école au cours de l'année 1992-1993, ainsi que des rumeurs concernant l'ouverture de la Chambre des Secrets.
Notre source, qui souhaite rester anonyme, affirme avoir surpris Lucius Malefoy glisser un livre dans les affaires de la jeune Ginny Weasley, l'actuel talent montant du Quidditch anglais, peu avant la rentrée scolaire de septembre 1992. Le livre en question aurait été un journal intime magique ayant appartenu à Celui-Dont-On-Ne-Prononce-Plus-Le-Nom.
Ce terrible volume, loin d'être un simple recueil de souvenirs de jeunesse, aurait contenu une partie de l'âme du redoutable Mage noir. Cette dernière aurait ainsi pris progressivement possession de la frêle adolescente qu'était alors Ginny Weasley pour l'amener à réaliser des actes terribles, et notamment, à rouvrir la Chambre et réveiller la créature qui y dormait, mettant ainsi grandement en danger sa sécurité ainsi que celle de ses camarades. Rappelons que si personne n'est décédé à l'époque ce fut grâce à beaucoup de chance, car cinquante ans plus tôt, l'ouverture de la chambre avait causé la mort d'une élève : Mimi Elizabeth Warren, née de parents moldus. Quatre élèves furent néanmoins pétrifiés suite à des contacts visuels indirects avec le monstre de la Chambre. L'âme de Celui-Dont-On-Ne-Prononce-Plus-Le-Nom prévoyait ensuite de sacrifier l'énergie vitale de la pauvre enfant pour retrouver une enveloppe charnelle. Ginny n'a dû son salut qu'à l'intervention d'un ami proche qui a pu la libérer de l'emprise monstrueuse de cette âme damnée.
Notre source affirme par ailleurs que la remise du livre à la jeune fille aurait été parfaitement délibérée et faite en pleine conscience des événements qui pouvaient en découler : les attaques à l'encontre des enfants nés moldus tout comme la résurrection du Mage noir. Ce sont donc des affirmations très graves qui sont portées à l'encontre de l'ancien Mangemort déjà visé par de nombreux chefs d'accusation accablants.
Le procès de Lucius Malefoy se voit ainsi repoussé le temps que la justice étudie ces nouveaux éléments et qu'elle puisse évaluer le bien-fondé de ces affirmations.
Nous attendons toujours la réponse de l'intéressé qui n'a pour le moment pas souhaité faire de commentaire.
Restez à l'affut pour toujours plus de révélations sur les procès de la famille Malefoy et n'oubliez pas que la Gazette couvrira les trois procès de Lucius, Drago et Narcissa en exclusivité.
Rita Skeeter »
Harry était estomaqué, Rita Skeeter avait rédigé un article complet sans mensonges éhontés, c'était tout bonnement du jamais-vu. Il était par-dessus ça interloqué que Ginny – qui d'autre ? – se soit tournée vers cette abominable femme par vengeance et dépit, dans le but de le faire souffrir. Même si tout ce qu'elle avait pu mentionner était la pure vérité, il n'aurait jamais pensé cela de la rouquine et il était terriblement déçu. L'estime qu'il lui portait se fêla quelque peu. Comment avait-elle pu ?
Le souffle court de son voisin dans son cou le fit frissonner, ce dernier devait probablement fulminer de rage. Harry ne savait pas exactement ce qu'il savait de toute cette histoire et il craignait sa réaction. Le brun se retourna lentement et tomba sur les lèvres pincées et la mâchoire serrée de Drago, il réalisa seulement à ce moment que le blond le dépassait d'une petite dizaine de centimètres. Il leva les yeux vers lui, le Serpentard était livide et visiblement en colère, ses iris onyx fixaient un point loin devant. Drago s'éloigna du Gryffondor et se mit à faire les cent pas dans le salon. Harry ne dit rien et lui laissa un moment pour assimiler et faire le point sur la situation en suivant du regard la silhouette élancée de son invité.
Le blond était tiraillé, il était furieux contre cette nouvelle publication et contre la rouquine, mais il pressentait un fond de vérité dans l'article, ce qui ne faisait que l'énerver davantage. Son père ne lui avait jamais parlé de cet épisode directement et en détails, mais il avait souvenir de discussions entendues avec d'autres partisans où le sujet avait été abordé avec satisfaction. Il s'arrêta de tourner en rond et se tourna vers Harry, son expression fit vaciller le brun qui ne l'avait jamais vu si dur et fermé.
« – C'est vrai tout ça, n'est-ce pas ? demanda le blond avec détermination.
– Oui, souffla le Gryffondor avec appréhension
– Ça n'est pas bon du tout… Mon avocat souhaite une réunion d'urgence pour revoir la stratégie de la défense. » Il réfléchit un instant. « Je sais pourquoi maintenant. »
Le brun comprit qu'il mentionnait le contenu de la lettre reçue plus tôt et acquiesça.
« – Harry ? interrogea Drago.
– Oui ? répondit l'intéressé, surpris par le ton grave.
– À un moment, il faudra qu'on ait une vraie discussion sur les choses dont je n'ai pas connaissance dans toute cette histoire, si tu veux bien, dit le blond avec sérieux.
– Je…Ok. », consenti le Gryffondor, même s'il n'était pas pressé de faire le point sur toutes les fois ou Lucius s'était mis en travers de sa route ou sur les nombreuses tentatives du Lord Noir de lui faire perdre la vie. Il n'avait pas une idée précise de l'étendue de ce que Drago connaissait, mais il pressentait déjà que cette discussion serait en plusieurs tomes.
Le Serpentard, toujours debout au milieu du salon, en face d'Harry, prit congé de ce dernier pour aller chercher quelques affaires dans sa chambre et faire sa toilette. Le brun de son côté grignota vaguement quelques tartines. Le blond sorti de la salle de bain avec une meilleure mine, vêtu d'un pantalon noir et d'une chemise blanche, sobre, mais à la coupe soignée, il s'adressa à Harry directement :
« – Je vais aller rencontrer Me Coaslowth et je passerai ensuite voir mes parents, je ne sais pas combien de temps que ça me prendra, dit-il simplement.
– D'accord, tu auras besoin que je te laisse un repas ? demanda Harry, toujours décontenancé par la fermeté du ton employé par son invité depuis la réception de la lettre.
– Non, c'est gentil, mais ne t'embête pas, je n'ai aucune idée de quand je reviendrai. », conclut-il en enfilant une veste noire, elle aussi bien taillée.
Il attrapa les divers dossiers de travail sur la table du salon et fila aussi sec par la cheminée, laissant le brun seul dans la pièce, mal à l'aise. C'était comme si une nouvelle facette de Drago était apparue, une qu'il n'avait encore jamais vue, efficace, distante et lisse. C'était encore différent du traitement reçu à Poudlard, car il n'y avait pas d'animosité, simplement du détachement. Il n'aimait pas beaucoup cet aspect de sa personnalité, il appréciait les échanges amicaux et directs qu'il avait habituellement avec lui. Il était étrange de se retrouver de ce côté de la barrière.
Il profita d'avoir le champ libre pour faire un brin de ménage. Moon le suivait avec curiosité d'une pièce à l'autre, semblant perturbé par l'absence de son maître dans ce lieu inconnu. Harry fit la poussière et le sol aussi dans la chambre occupée par Drago, car, même si cette dernière avait été nettoyée il y a peu, il savait qu'un lieu inutilisé longtemps pouvait conserver de la saleté dans ses recoins pendant un moment. Ça lui faisait encore bizarre de voir cette salle aménagée et investie de la sorte. Le blond n'avait déposé que quelques affaires sur le petit meuble à tiroir et le lit était parfaitement fait – quoiqu'impeccablement non défait aurait été plus exact. Il semblait prêt à partir à tout moment. Mais cela n'était pas vraiment surprenant, puisqu'il se trouvait en situation temporaire. Harry réalisa que lui aussi vivait avec cette sensation d'être en position provisoire, mais sans réelle justification, et que c'était l'une des raisons pour lesquelles il n'arrivait pas à investir quoi que ce soit.
En soulevant les quelques vêtements et la trousse de toilette posés sur le meuble pour permettre à la lingette ensorcelée de lustrer la surface, Harry détecta la fragrance caractéristique du blond qu'il avait déjà sentie par-dessus son épaule l'autre matin dans la cuisine. Il se demanda s'il portait un parfum, et, en essayant de se convaincre qu'il ne risquait rien et que ça n'était pas vraiment une intrusion grave dans l'intimité de Drago, il jeta un coup d'œil dans la petite trousse de cuir noir contenant son nécessaire de toilette. Il n'y trouva aucun flacon ressemblant de près ou de loin à du parfum et la seule potion d'après-rasage qu'il trouva avait une odeur différente, plutôt mentholée, qu'il n'avait jamais sentie sur Drago.
Il trouvait fascinante la senteur unique du Serpentard, elle lui rappelait le chatouillement des cheveux rebelles du blond sur son visage ce fameux matin au manoir, mais aussi la douceur de sa joue pâle sous la caresse de son pouce. Il eut un pincement dans l'estomac, il avait envie de l'avoir avec lui à ce moment. Et malgré la présence de Moon, resté dans l'entrebâillement de la porte à le surveiller, il se sentit bien seul dans le grand manoir. Il déglutit pour essayer d'atténuer le serrement de sa gorge, puis remis bien à leur place toutes les affaires qu'il avait manipulées. Il descendit ensuite, l'animal gris sur ses talons, pour s'attaquer aux dernières pièces du rez-de-chaussée qu'il n'avait pas encore nettoyées : la salle de bain et sa propre chambre.
De son côté, Drago ressortait du bureau aux boiseries sombres de son avocat et retourna dans le grand hall en marbre du cabinet, l'air soucieux. Il entra dans l'imposante cheminée centrale, sans même avoir à se baisser – quatre personnes y auraient tenu aisément –, et indiqua l'adresse du manoir Malefoy. Le rendez-vous avec Me Coaslowth s'était en soi bien passé, mais les nouvelles n'étaient pas très bonnes : le procès de son père avait été effectivement repoussé et tombait désormais après le sien, ce qui changeait leur stratégie. Il avait été convenu que Lucius, condamné de toute façon, pourrait, en passant devant la justice en premier, éponger une part de la rancœur publique et calmer les souhaits de vengeance de la communauté sorcière, permettant ainsi à son fils de bénéficier plus facilement de la pitié du jury. Le Magenmagot, bien que supposé impartial, aurait du mal à ne pas céder, même un tout petit peu à la pression sociale. Mais maintenant que cet ordre de passage avait été chamboulé, Drago arrivait désormais en première ligne et l'avocat craignait que cela ne joue en sa défaveur.
Par ailleurs, le blond n'avait toujours pas trouvé de défense capable de soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité, contre un chef d'accusation important reposant contre lui : celui de complicité d'homicide sur Dumbledore. Accusation que le Serpentard avait d'ailleurs retirée du dossier de travail et cachée à Harry jusqu'ici. Bien que le brun ait connaissance de la charge de tentative de meurtre, il n'avait pu se résoudre à lui parler de cet élément complémentaire. En premier lieu parce qu'il n'avait pas de raison de le faire lorsque le Gryffondor devait simplement témoigner, ensuite parce qu'il redoutait que cette annonce ne lui fasse tourner les talons et enfin, car il ne voyait plus comment aborder ça sans que cela paraisse bizarre après tout ce temps. Il avait donc renoncé en se disant qu'Harry pourrait aussi bien ne jamais être au courant.
Cela pouvait paraitre anodin cette nuance entre tentative de meurtre et complicité d'assassinat, car il avait bel et bien essayé d'attenter à la vie de son ancien directeur, mais cela ne l'était pas pour lui. C'était toute la différence entre l'intention et l'acte, il n'avait PAS tué Dumbledore et il n'avait pas non plus participé au geste qui l'avait conduit au trépas. Il n'avait pas pu, il n'aurait jamais pu. Et si à une époque il s'était maudit pour cette faiblesse, il reconnaissait aujourd'hui que c'était en fait une force, celle de la compassion et de la capacité d'empathie, c'était ce qui faisait de lui un être humain et une personne intègre malgré tout. Enfin, toujours est-il qu'il n'avait rien pour étayer son innocence, Severus décédé, il n'y avait personne pour témoigner en sa faveur, et vu comment les choses s'auguraient, il serait plus difficile de faire appel à la clémence du Magenmagot.
C'est avec ces sombres réflexions en tête que Drago arriva dans le hall du manoir Malefoy. Il foula le carrelage de marbre noir et blanc et demanda à l'elfe qui lui apparut d'annoncer sa présence à son père, comme à son habitude. Il alla dans le petit salon d'hiver, la pièce préférée de sa mère, mais il constata que ce dernier était désert.
« – Elle se repose à l'étage, fit la voix bien connue de Lucius, derrière lui.
– Bonjour Père, » répondit le jeune homme en se retournant.
Le chef de famille portait, comme à son habitude, une de ses robes sombres et élégantes, ainsi que ses cheveux longs attachés en catogan.
« – Drago, ravi de te voir. J'imagine que tu as pu lire le récit tire-larme de Skeeter sur la Weasley. », dit Lucius maussade et vaguement cynique.
Mais le jeune homme n'avait pas le cœur à ce genre de plaisanteries. Il toisa le Sang-Pur d'un regard dur.
« – La situation est grave, Père, décréta-t-il
– Je sais. », assura Lucius d'un ton ferme en laissant mourir le coin de sourire qu'il avait esquissé.
Le chef de famille tendit un bras vers les fauteuils près de la cheminée pour inviter son fils à s'assoir. Il claqua des doigts et un elfe de maison, différent de celui de l'entrée, apparut avec une petite révérence. Sans que le maître de maison n'ait besoin de prononcer un mot, il se chargea d'allumer un feu dans le foyer avant de disparaître. Les deux hommes s'installèrent confortablement. Drago attaqua directement :
« – Pourquoi ne m'en avez-vous jamais parlé ? »
Lucius le regarda sans ciller et lui répondit :
« – Enfin Drago, je ne t'ai pas parlé de tout ce que j'ai pu faire, il y en aurait pour des heures. Et tu étais très jeune à l'époque, il valait mieux que tu restes en dehors de tout ça. Je continue de le penser d'ailleurs. Il est inutile que tu portes toute notre histoire sur tes épaules, je me charge de mon fardeau, contente-toi du tien, répondit le plus âgé avec un geste de la main évasif.
– Disons que j'aimerais autant connaître les "fardeaux" qui risqueraient de me tomber dessus par surprise. Y aurait-il d'autres éléments qu'il serait bon que je sache ? »
Lucius soupira et s'enfonça davantage dans son siège, les coudes sur les bras du fauteuil et les doigts entrecroisés. L'elfe réapparut dans un craquement sonore et approcha magiquement une petite table disposée dans un coin de la pièce pour pouvoir déposer le plateau en argent ouvragé qu'il tenait entre ses mains. Dessus se trouvaient une théière, deux tasses raffinées en porcelaine blanche, ainsi qu'une petite assiette de biscuits secs des plus appétissants. Il servit la boisson brûlante et se volatilisa à nouveau après une autre petite révérence.
« – Je ne pense pas qu'il y ait de nouvelles choses qui risquent d'éclater, répondit Lucius, d'ailleurs cette histoire de journal intime n'est qu'un feu de paille, la Weasley n'a probablement aucune preuve de ce qu'elle avance puisque l'objet a été détruit il y a longtemps et que de toute manière, elle ne peut pas démontrer que je suis celui qui l'a placé dans ses affaires. C'est donc sa voix contre la mienne.
– La vôtre ne vaut pas grand-chose actuellement, pointa Drago avec justesse.
– C'est vrai, mais si elle n'a pas quelque chose de plus accablant, je doute que cela puisse être ajouté à mes charges. Mon avocat est plutôt confiant sur le sujet, conclut son père.
– Alors que le mien ne l'est plus vraiment, répliqua le fils. La modification de la date de votre procès change la donne pour le mien. Il va falloir jouer plus serré pour pouvoir faire entendre ma possible innocence, dit Drago amer. Et moi qui trouvais la situation assez pénible comme ça. Skeeter n'a-t-elle donc pas d'autres chats à fouetter ?
– Je suis navré que cette histoire te porte préjudice, fit Lucius sincèrement, les lèvres pincées de dépit. Je t'avoue que nous ne nous attendions pas du tout à cet imprévu. »
Le jeune homme le fixa puis se pencha pour se saisir de sa tasse et d'un petit gâteau, n'ayant rien mangé encore, son estomac le titillait. Lucius le suivit également et but prudemment le liquide bouillant. Drago changea un peu de sujet :
« – Comment est la situation ici ? Comment va Mère ?
– C'est un peu compliqué. » Lucius marqua une pause. « Il y a actuellement de nombreux journalistes qui tournent autour de la propriété dans l'espoir d'immortaliser quelque chose de croustillant ou de pouvoir me soutirer quelques mots. Et je suis immédiatement poursuivi par ces fouineurs si j'ai le malheur de m'aventurer dans un lieu public, résuma-t-il, ennuyé. Je crains ne de plus pouvoir accompagner Narcissa dans ses rendez-vous médicaux à l'extérieur. Pourras-tu t'en charger le temps que cela se tasse ? interrogea-t-il.
– Oui, bien sûr. Mais je suis aussi une cible d'intérêt, cela ne sera pas de tout repos, répondit Drago. Comment Mère vit-elle tout ça ? » s'enquit le jeune homme, préoccupé.
L'aîné détourna la tête vers la fenêtre.
« – Cela l'a éprouvée, comme je te disais, elle se repose en ce moment même. Je crois que toute cette situation commence vraiment à lui peser. Elle stresse beaucoup, même si elle refuse de l'admettre en pensant me protéger, mais je ne suis pas aveugle. », répondit Lucius, las.
Drago savait que dans la bouche de son père, ce genre de propos nuancés voulait dire que sa mère n'allait pas bien. Une ridule lui barra le front.
« – Je vais aller la voir, déclara le jeune homme en reposant sa tasse à moitié vide sur le plateau en argent.
– C'est une bonne idée, ça lui fera plaisir, appuya son père avec un demi-sourire et un petit hochement de tête. Repasse ensuite, il faudra que nous voyions quelques points concernant l'organisation de ses prises en charges médicales ainsi que quelques affaires administratives.
– Bien. », termina Drago.
Il se leva et pris congé de son père. Ce dernier, au moment où il s'apprêtait à sortir du petit salon, lui lança une petite pique sans animosité, depuis son fauteuil :
« – Tu aurais au moins pu faire l'effort de mettre des vêtements décents pour venir, plutôt que ces fripes moldues. Ca m'aurait fait plaisir.
– Cette époque est révolue, vous le savez bien. », répliqua Drago, sans se retourner et sans animosité non plus, mais avec fermeté.
Les épaules de Lucius s'affaissèrent légèrement. Il regrettait l'époque où son fils et lui étaient plus proches, où il le comprenait encore et où il pouvait encore l'atteindre. Si leur entente s'était grandement améliorée depuis que Drago avait déménagé, ce dernier était toujours en colère contre lui, contre les actes qu'il avait faits par le passé, contre ses choix de vie et d'éducation. Il pouvait comprendre ça, mais il déplorait qu'il rejette tout son héritage familial en bloc. Drago refusait d'envisager un mariage stratégique, qui permettrait de laver leur nom, il refusait également de reprendre la gestion de la fortune familiale, préférant envisager des études et un emploi. Il avait mis de côté tous les usages et protocoles qui attenaient à son rang. Lucius ne pouvait s'empêcher de penser que tout cela était un grand gâchis, mais il ne pouvait plus forcer son fils à agir comme il l'aurait souhaité, et il devait donc se conformer à ses choix. Il regarda ce dernier disparaître dans l'encadrement de la porte du salon.
Le jeune homme se dirigea à l'étage, il suivit un petit couloir prolongeant le grand escalier de droite, sous le regard de ses nombreux ancêtres qui chuchotaient ou l'invectivaient depuis leur tableau, et pénétra dans la pièce légèrement en retrait qui avait été dédiée à sa mère pour ses périodes de repos. La chambre était dans la pénombre, rideaux tirés, et une petite silhouette se détachait dans les draps de l'immense lit à baldaquin qui trônait en son centre. Elle semblait si menue au milieu des larges tentures vertes et blanches de la literie et des colonnades de bois sombre et sculpté, semblables aux barreaux d'une cage.
Le blond s'approcha doucement, alors qu'il n'était plus qu'à un mètre environ, il put distinguer les traits de sa mère. Elle respirait calmement, les couvertures remontées jusqu'à la poitrine. Il trouva les mots de son père bien en dessous de la réalité, Narcissa avait l'air épuisée, nul doute qu'elle était très affectée par la situation. De larges cernes gris gisaient sous ses yeux et elle lui sembla plus pâle qu'à l'accoutumée, bien qu'il soit difficile d'être sûr avec le peu de luminosité. D'un mouvement de baguette, il approcha un siège et s'installa à son chevet. Elle ouvrit un œil et aperçut son fils, elle lui adressa un mince sourire qui ressembla presque à une grimace sur ses traits tirés.
« – Drago, c'est si bon de te voir. Comment vas-tu ? demanda-t-elle faiblement, la voix légèrement enrouée.
– Bien Mère, mais c'est plutôt à vous qu'il faut poser la question. Comment vous sentez-vous ? s'enquit le Serpentard inquiet, en scrutant ses expressions.
– Disons que j'ai connu mieux, fit doucement Narcissa, avec un nouveau petit sourire. Cette nouvelle publication de la Gazette, c'est un coup dur. Comment cela se passe de ton côté d'ailleurs ? Lucius a profité de mon repos forcé pour me tenir à l'écart de l'évolution de la situation. », l'interrogea-t-elle en essayant de se redresser légèrement.
Le jeune homme l'aida à s'installer confortablement, dans une position demi-assise. Puis il se rassit et lui répondit :
« – Ça complique un peu les choses. », admit Drago honnêtement, puis, voyant une expression soucieuse naître sur le visage de sa mère, il ajouta : « Mais mon avocat a déjà réorienté la stratégie de défense pour faire front. Ne vous inquiétez pas. »
Narcissa le regarda longuement, il lui saisit une main pour la serrer entre les siennes et constata qu'elle était à peine tiède. Il s'attacha à la réchauffer et chercha un Onguent de Chaleur sur la table de chevet proche du lit. Attrapant le petit pot en grès orange en question, il en retira le bouchon de liège.
« – Qu'ont dit les Médicomages à propos de votre état actuel ? demanda Drago en se saisissant d'un peu de pommade sur le bout de ses doigts.
– Oh, tu sais, rien de bien nouveau, qu'il faut que je me repose beaucoup si je souhaite éviter de faire une rechute, qu'il faut que je continue mes traitements, qu'il faut que je reste en dehors de toute situation de stress. Bref, toute la liste des "Il faut…" habituelle. », répondit-elle en soupirant quand le blond commença à lui étaler de la crème sur le dos de la main.
Elle ferma les yeux et apprécia ce moment de partage avec son fils. Drago resta longuement avec elle en lui massant délicatement les mains, l'une après l'autre, frictionnant et faisant rouler doucement la peau pour diffuser de la chaleur dans ses extrémités froides. Ils parlèrent un peu de choses et d'autres, de la météo clémente, du quotidien du jeune homme, Narcissa voulant en savoir un peu plus sur sa cohabitation avec le Gryffondor. Le Serpentard resta quelque peu évasif, mais lui raconta la surprise de Blaise d'apprendre qu'ils ne s'entretuaient pas. Il mentionna également l'attrait d'Harry pour l'astronomie et sa méconnaissance de la musique aussi bien sorcière que moldue, ce qui fit sourire sa mère. Cette dernière, quelque peu rassurée du bien-être de son fils malgré ces temps difficiles, finit par se rendormir, épuisée.
Drago resta encore un peu à l'observer avec attention et descendit rejoindre Lucius pour voir les choses qu'ils avaient à régler ensemble.
Pendant ce temps, Harry terminait le nettoyage de la salle de bain. Il s'épongea le front, un peu fatigué par le grand ménage qu'il avait déjà réalisé. Il s'apprêtait à s'attaquer à sa chambre quand la tête rousse bien connue de Ron apparut dans la cheminée. Ce dernier l'aperçut et son regard s'agrandit, le reste de son corps suivi rapidement, rejoint par Hermione qui se matérialisa à son tour dans le salon.
« – Salut vieux, comment tu vas ? demanda le rouquin précautionneusement.
– Salut vous deux, » répondit Harry, surpris mais content de les voir. Il les invita à s'asseoir en désignant les canapés d'un geste de la main et les accompagna en s'installant dans celui de Drago, le plus proche de lui. Il déposa les chiffons et lingettes qu'il avait en main sur la table basse et répondit à la question de Ron :
« – Ça peut aller, enfin je crois. », fit-il en réfléchissant sincèrement. Il n'avait concrètement aucune idée de ce qu'il ressentait actuellement. Il se sentait seul, c'est vrai, mais curieusement plus si malheureux. Ce constat lui fit naitre un petit pincement de culpabilité. N'aurait-il pas dû se sentir encore misérable de sa rupture avec Ginny ?
Il renvoya la politesse au couple :
« – Et vous, comment allez-vous ?
– Bien, dit Hermione. Même si c'est un peu compliqué au Terrier, », précisa-t-elle avec au regard lourd de sens vers Harry puis vers son conjoint.
Ce dernier se tortilla un peu et se jeta finalement à l'eau :
« – Oui, nous ça va, il hésita. Je suis vraiment désolé de ce qui s'est passé avec Ginny, la rupture… L'article… » Il jeta un coup d'œil au brun.
« – Ne le sois pas, répliqua Harry en passant une main dans ses cheveux, tu n'as rien à te reprocher, je suis le seul à blâmer pour ce qui est arrivé. Même si je dois avouer que je suis quelque peu… déçu de la réaction de Ginny. Je ne la pensais pas spécialement portée sur la vengeance. »
Ce fut au tour d'Hermione de prendre le relais, quelque peu choquée par le manque d'empathie de son ami.
« – Mais enfin Harry, elle est terriblement blessée. Et elle est en colère, elle agit donc de manière irrationnelle, qui ne le serait pas à sa place ? » Elle eut un regard irrité, elle avait pourtant mis en garde le brun contre cette terrible éventualité, il semblait que ce dernier n'avait pas été capable de se reprendre à temps pour éviter la catastrophe. Par-dessus cela, il critiquait son ancienne compagne, quel manque de sensibilité !
Penaud, Harry tenta une réponse :
« – Je le sais bien, je peux comprendre… mais Skeeter, sérieusement ? Il n'y a pas pire être humain, déclara le brun en levant les bras d'incompréhension.
– Laisse-lui un peu de temps, conseilla la jeune femme d'un ton maternel. Il faut que tout cela décante, pour toi comme pour elle.
– Vous pensez que je devrais essayer de la recontacter, demanda Harry, à tout hasard.
– Franchement non, trancha Ron en se redressant sur le canapé. Elle est juste furieuse actuellement, elle ne veut plus entendre parler de toi. Elle veut même interdire à toute la famille de te voir. Dis-toi que nous sommes supposés être là uniquement comme déménageurs, elle nous a chargés de lui ramener des affaires. », fit-il en sortant une petite liste d'une des poches de sa robe bleu nuit. Il eut un haussement d'épaules.
« – Ok », répliqua platement le brun en baissant la tête. Il se sentait découragé. L'espace d'une seconde il avait envisagé la possibilité de revoir son ex-petite amie, mais visiblement celle-ci était plus que catégorique.
« – Tu veux nous en parler Harry ? proposa Hermione sur un ton plus doux, sentant la carapace de son meilleur ami vaciller quelque peu.
– J'imagine que Ginny vous déjà raconté toute l'histoire, décréta le jeune homme sans entrain en se tordant les mains.
– Oui bien sûr, confirma la brunette, mais ce n'est qu'une partie. Et tu as peut-être besoin de l'évoquer, non ? fit-elle en le détaillant intensément, l'incitant à se confier avec un regard amical.
– Je ne sais pas… »
Le brun fixa le sol, perdu. Il tenta de rassembler ses pensées et ressentis pour essayer de résumer son vécu de la situation :
« – Vous saviez déjà que nous étions en phase de pause avec Ginny. Hier matin, elle est venue au manoir pour récupérer des affaires oubliées. J'étais à l'étage en train de déblayer une pièce pour pouvoir y installer Malefoy qui dormait dans la chambre en attendant. Bref, je ne l'ai pas entendue arriver et elle est tombée nez à nez avec lui qui dormait dans notre lit. Elle s'est mise dans une colère noire en s'imaginant des choses insensées et je n'ai pas réussi à la raisonner…
– Attends, tu ne lui avais pas mentionné le fait que Malefoy vivait ici temporairement ? », le coupa Ron, interloqué. Il échangea un regard entendu avec Hermione.
Ce fut au tour d'Harry de hausser les épaules.
« – Non, je n'en voyais pas l'intérêt, sa présence est de toute façon provisoire et vu qu'elle semblait déjà se faire des idées sur le type de relation que nous entretenions, je n'ai pas estimé judicieux de lui détailler exactement les modalités de la présence de Drago ici.
– Mais c'est la pire idée au monde ! constata le roux atterré, oubliant même de tiquer à l'utilisation du prénom du Serpentard.
– Oui, je m'en suis rendu compte hier. », conclut Harry amèrement en se tassant sur le canapé.
Le couple de Gryffondor regardait le brun avec une expression mélangeant la compassion et le désarroi, il aurait voulu disparaître sous un meuble. Ils savaient leur ami potentiellement maladroit sur le plan émotionnel, mais là, il avait atteint des sommets.
Hermione était néanmoins gênée par un point, elle semblait percevoir une ambivalence dans le comportement d'Harry et elle se retint donc de prodiguer des conseils pour tenter d'améliorer la situation avec Ginny. Elle n'arrivait pas à déceler exactement ce qui se jouait chez son ami, mais elle sentait qu'il fallait qu'elle le laisse se débrouiller et démêler tout cela par ses propres moyens.
Un silence s'étira. Harry réalisa qu'il n'avait rien proposé à boire à ses invités et se rattrapa en leur apportant des Biéraubeurres fraîches ainsi que quelques biscuits d'apéritif en accompagnement.
Ils enchaînèrent sur d'autres sujets de conversation plus légers, puis le brun apporta quelques snacks supplémentaires pour faire patienter ses deux meilleurs amis, le temps qu'il rassemble les divers éléments figurant sur la liste élaborée par Ginny. Il découvrit que cette dernière avait beaucoup plus d'affaires qu'il ne le pensait. Accomplir cette tâche le déprima, rendant la rupture subitement bien concrète. Chaque chose qu'il mettait dans le sac de toile à destination de son ex-petite amie était un petit morceau de leur histoire qui lui était arraché. Il se sentait dépossédé et il réalisa que, même s'il commençait à douter que ses sentiments soient à proprement parler de l'amour, il tenait beaucoup à la jeune femme.
Il revint dans le salon la mine fermée et tendit le sac à Ron qui l'attrapa sans un mot après s'être rapidement essuyé les doigts sur sa robe, sous le regard réprobateur de sa compagne. Harry se rassit lourdement sur le canapé en soupirant. Hermione allait lui demander s'il se sentait bien quand des flammes vertes scintillèrent dans la cheminée alors que Drago faisait son apparition.
Il y eut un moment de flottement. Le blond marqua une hésitation en voyant les deux invités et il les salua brièvement avant de se diriger vers les escaliers. Ron et Hermione répondirent à son salut, un peu surpris. Quand il passa au niveau d'Harry ce dernier se leva et le saisit par l'avant-bras pour l'arrêter dans sa course. Drago stoppa et le regarda, étonné. Le brun, qui avait remarqué son visage hermétique et qui le devinait soucieux, lui demanda si tout allait bien. Le regard du blond se fit gêné, il jeta un coup d'œil furtif sur les deux spectateurs derrière lui et fit une réponse évasive en reportant la discussion à plus tard. Harry lui signala qu'il restait de quoi grignoter dans la cuisine s'il le désirait, le Serpentard acquiesça et le remercia. Il bifurqua vers la pièce en question où il trouva du pain et du fromage frais sur la table. Il commença à manger, seul, pour soulager la faim qui le tiraillait depuis maintenant un moment.
Harry se rassit en le suivant des yeux tandis qu'il sortait de la pièce. Ron et Hermione notèrent de cet échange, a priori anodin, qu'une profonde relation de confiance s'était tissée entre les deux hommes. Ce n'est pas tant les mots qui avaient été dits que leur façon d'être l'un avec l'autre qui n'avait plus rien à voir avec ce qu'ils avaient connu.
La jeune femme commença à percevoir les raisons de l'ambivalence du brun et de sa relative sérénité par rapport au désespoir total qu'elle s'attendait à voir en venant chez lui. Il avait tout simplement quelqu'un sur qui s'appuyer dans cette phase difficile. Elle n'essaya pas de deviner quel était exactement le type de lien qu'ils avaient, elle supposa d'ailleurs à raison que les deux hommes ne le savaient pas non plus. Elle comprit mieux la jalousie maladive de Ginny vis-à-vis du blond, car il avait effectivement su atteindre et se rapprocher d'Harry plus rapidement et plus facilement que quiconque dans ces dernières années.
Elle eut de la peine pour sa belle-sœur, il était possible que cette nouvelle relation aide Harry à se révéler à lui-même, à devenir la personne qu'il avait refusé de laisser s'exprimer jusqu'à présent, celle que son angoisse maintenait prisonnière d'un passé toxique et d'un présent végétatif. Et, dans l'avenir de cette personne, épanouie, indépendante et pleine de vie… peut-être que Ginny n'y avait pas de place... Peut-être que cette rupture était inéluctable et qu'elle était simplement la marche du temps à l'œuvre, la fin d'une ère et le commencement d'une nouvelle.
Ron, lui, ne savait que penser et jeta un coup d'œil à sa moitié, il vit qu'elle avait sa tête des réflexions intenses et qu'elle devait donc avoir plus d'indices que lui sur ce qui se passait. Il ne l'interrompit pas – il n'était jamais bon de le faire – et se résolut à lui demander ses lumières une fois qu'ils seraient rentrés chez eux. Il attrapa un petit four sur l'un des bols présents sur la table basse et parla un peu à Harry des dernières idées de George pour le magasin afin de briser le silence.
Hermione se leva sans un mot, sous le regard surpris des deux hommes, et se dirigea vers la cuisine. Ron haussa les épaules et poursuivit sa description des Bécotantes, une sorte de version « romantique » de la Beuglante qui poursuivait son destinataire pour le couvrir de baisers et de traces de rouge à lèvres rose fuchsia. Harry rit devant la créativité sans bornes de George en matière de bêtises.
Drago leva le nez de la tartine qu'il se confectionnait en voyant approcher la Gryffondor, il reposa son couteau. La jeune femme s'assit au bout de la table, non loin de lui. Il leva un sourcil.
« – Tu t'es perdue Granger ? attaqua-t-il, perdu face à son intrusion inopinée.
– Laisse tomber Malefoy, j'ai passé l'âge de ces enfantillages. », dit-elle en le transperçant de son regard noisette.
Le blond, décontenancé, garda un visage impassible et ne dit rien. Ne sachant sur quel pied danser, il préféra attendre qu'elle annonce d'elle-même l'objet de sa venue. Hermione reprit :
« – Ça se passe bien avec Harry, n'est-ce pas ? », demanda-t-elle sans animosité.
Néanmoins méfiant, le Serpentard répondit prudemment en reprenant la répartition de fromage sur son morceau de pain :
« – Oui, on peut dire ça, marmonna-t-il.
– Bien. Je ne sais pas quel miracle de la création a fait que vous puissiez vous entendre aussi bien après des années de querelle, mais, quoi qu'il en soit, Harry apprécie ta présence… Fais en sorte de ne pas le lui faire regretter, s'il te plait, énonça-t-elle calmement.
– Je… » Le blond tombait littéralement des nues. « Ça n'était pas vraiment mon intention, fit Drago rapidement.
– Après le procès, ne fais pas comme si tout ça n'était pas arrivé. », insista la brunette avec un ton ferme.
Le Sang-Pur s'immobilisa et la regarda, sidéré, à la fois parce qu'elle sous-entendait qu'il pourrait être en train d'utiliser Harry comme un vieux chiffon, mais également parce que tout cela ne la regardait aucunement. Il comprenait néanmoins son souhait de protéger son ami et il évita donc de monter sur ses grands chevaux. Il prit conscience qu'il ne s'était encore jamais projeté si loin et qu'il n'avait aucune idée de comment serait sa relation avec le brun une fois l'échéance du procès derrière eux.
« – Si j'arrive à ne pas finir à Azkaban, je te promets de ne pas redevenir un odieux connard. Ça te va ? proposa-t-il, non sans ironie, à sa voisine.
– Pas vraiment. Disons que même si tu finis incarcéré, tu resteras l'ami que tu es devenu pour Harry et là ça m'ira. », rétorqua Hermione, sur le même ton et en lui faisant un regard éloquent.
Elle attrapa elle aussi une tranche de pain, lui vola son couteau qu'il avait oublié d'utiliser depuis plusieurs minutes et se prépara une tartine.
Drago fut étonné qu'elle mentionne cette amitié aussi ouvertement et légèrement, cela lui fit une drôle de sensation, une sensation agréable. Et la familiarité avec laquelle elle l'avait dépossédé de son couvert lui donna l'impression de se sentir intégré dans le cercle très fermé des proches d'Harry. Il eut un petit sourire amusé et reprit le couteau juste avant que la Gryffondor n'ait pu terminer son encas, ce qui la fit rire. Elle le regarda avec douceur, rassurée : ils avaient un accord. Elle termina d'étaler son fromage du bout de l'index et quitta la cuisine avec un dernier sourire en croquant dans le pain. Elle rejoint le salon où la conversation de farces et d'inventions farfelues battait son plein.
La discussion dériva quelques minutes encore, mais le couple sentait qu'Harry devenait quelque peu distrait et ils écourtèrent la visite pour le laisser tranquille. De toute manière, ils travaillaient tous deux le lendemain et ils devaient encore repasser au Terrier déposer les affaires de Ginny, il valait donc mieux qu'ils ne s'attardent pas trop.
Le brun n'était pas fâché de se retrouver « seul », il appréciait énormément ses deux meilleurs amis, mais il avait envie de passer le reste de la soirée dans le calme. De plus, il avait remarqué que le blond était rentré tendu et il voulait faire le point sur sa journée avec lui, pour savoir ce qui le tracassait. Une fois qu'il eut terminé de manger et de ranger la cuisine, ce dernier le rejoint dans le salon.
« – Ça va ? lui demanda immédiatement Harry dès que son invité fut assis en face de lui, sur ce qui était d'habitude « son » canapé.
– Oui, souffla Drago peu convaincant.
– Raconte-moi, comment ça s'est passé ? insista le brun gentiment.
– Le rendez-vous avec l'avocat, pas trop mal, consentit à développer le Serpentard en s'affalant contre le dossier du sofa et appuyant ses bras sur le haut de l'assise. Mais il va falloir redoubler de travail pour ne pas se laisser coincer, le Magenmagot sera probablement sur les dents et vu que le procès de mon père est reporté après le mien et celui de ma mère, il n'aura pas eu sa ration de viande fraîche. Je serai donc en première ligne.
– Mince. Mais si ta défense est bonne, il n'y a pas de raison de s'inquiéter, non ? Je veux dire, en continuant de plancher sérieusement, tu devrais t'en sortir. », fit Harry, sur un ton qui se voulait confiant.
Le blond le regarda et acquiesça sans certitude. Dire qu'il ne lui avait pas parlé de toutes les charges et qu'ils bloquaient toujours sur certains points. Il ne savait pas quoi penser de sa situation. Il faudrait qu'il prenne le temps de faire le point de son côté, ils n'étaient désormais plus qu'à un mois de la date fatidique, c'était donc la dernière ligne droite, il ne fallait pas se louper.
« – Et tes parents ? demanda Harry. Comment vont-ils. »
Le visage du blond s'assombrit, il frotta ses paupières du bout des doigts et laissa retomber lâchement sa main sur ses genoux.
« – Mon père survit, comme à son habitude, décréta-t-il mollement. Mais ma mère… elle ne va pas bien. Elle est épuisée, j'ai peur qu'elle ne fasse une rechute. »
De la tristesse imprégna ses traits. Il continua :
« – Et mon père ne peut plus l'accompagner dans ses rendez-vous médicaux à l'extérieur, il est assailli par les journalistes. Je vais devoir prendre le relais. Mais ce n'est pas comme si j'étais complètement tranquille de mon côté non plus, je ne sais pas encore comment je vais m'organiser. » Ses épaules s'affaissèrent, il semblait abattu. « D'ailleurs, si cela te va, nous avons convenu avec l'avocat qu'il serait mieux que je reste quelques jours encore ici, si cela ne t'embête pas, le temps que tout cela se tasse davantage. »
Il eut un regard implorant vers Harry qui approuva de la tête avec un petit sourire.
« – Il n'y a aucun problème, tu es plutôt un colocataire agréable, fit ce dernier avec un ton espiègle.
– Merci… vraiment, murmura Drago soulagé.
– Ta mère, elle est à l'abri au Manoir Malefoy ? s'enquit le brun plus sérieusement.
– La propriété est un peu retirée, mais ces saletés de fouineurs se sont postés tout autour, il faut donc éviter certains endroits pour ne pas se retrouver dans leur champ de vision. Ça oblige à être vigilant et c'est donc stressant. Quant aux probablement nombreux hiboux qu'ils doivent recevoir, j'imagine que mon père fait le tri lui-même, la volière à l'avantage d'être un peu excentrée, c'est plus discret. Bref, ce n'est pas l'idéal, mais ce qu'il y a de mieux pour elle actuellement, je pense.
– Je suis tellement désolé pour tout ça, toutes ces complications. Je n'aurai jamais pensé que Ginny réagirait de la sorte, dit le Gryffondor, piteux.
– Tu m'aides beaucoup Harry, ne t'en veut pas. Personne n'aurait pu prévoir une chose pareille. Et d'une certaine manière, ce n'est que justice, mon père est coupable de ce qui s'est passé avec la Chambre des Secrets. C'est juste dommage que cela se passe de cette manière. », répondit Drago doucement.
Il y eut un petit miaulement et Moon descendit de l'escalier pour rejoindre les deux hommes, il sembla hésiter entre les deux canapés et grimpa finalement sur celui où se trouvait son maître pour quémander des caresses sur ses genoux. Harry sourit.
« – Il avait l'air malheureux de ton absence aujourd'hui tu sais, il m'a suivi partout. », informa-t-il.
Drago rit doucement en grattant la tête et le dos de l'animal qui se mit rapidement à ronronner.
« – Il ne t'a pas trop embêté ? demanda le blond en retirant une patte griffue de son pantalon avec une petite grimace.
– Non, pas du tout. C'est agréable d'avoir sa présence dans le manoir à vrai dire. Je devrais peut-être en adopter un, » dit Harry en réfléchissant à cette idée tout en terminant sa bouteille de Biéraubeurre.
Il réalisa que le Serpentard n'avait rien à boire et il montra du menton sa boisson pour en proposer à son invité qui accepta volontiers de changer du whisky, surtout après la nuit dernière. Le brun se leva pour aller chercher deux nouvelles bouteilles dans le réfrigérateur.
Constatant qu'il n'était que vingt et une heures passées, Harry décida d'allumer un petit feu, sachant que cela ferait plaisir à Drago. Il déposa les bouteilles sur la table basse, les ouvrit d'un coup de baguette et se réinstalla confortablement dans le canapé. Ils se laissèrent bercer quelques minutes par le crépitement du feu et le ronronnement du chat, visiblement très heureux de retrouver le blond. Harry savourait l'instant. La solitude qu'il avait ressentie tout l'après-midi commençait à se dissiper, il appréciait lui aussi le retour de Drago dans le manoir. Ce dernier brisa le silence :
« – Au fait, tu n'as pas du tout parlé de ton après-midi, il s'est bien passé ? demanda-t-il avant de reprendre une gorgée de Biéraubeurre.
– Oui, j'ai fait du ménage, vois-tu, rien de bien transcendant. Et je n'ai pas tout à fait fini d'ailleurs, Ron et Hermione sont arrivés en tout début de soirée, répondit le brun, lui aussi entre deux gorgées, en désignant les chiffons toujours présents sur la table.
– Ils voulaient quelque chose en particulier ? », interrogea Drago, curieux.
Harry se renfrogna. Le blond se gifla mentalement pour sa bêtise, c'était probablement en rapport avec la rouquine. Il n'eut pas le temps de prononcer un mot, car le brun répondait déjà à sa question.
« – Ils venaient prendre de mes nouvelles suite à la rupture… et ils venaient également récupérer des affaires de Ginny, dit faiblement le Gryffondor.
– Je suis désolé Harry, je n'ai pas réfléchi avant de parler. », fit le Serpentard, contrit.
Le brun lui adressa un pauvre sourire pour lui faire comprendre qu'il ne lui en voulait pas pour sa maladresse.
Il y eut un moment de flottement. Drago décida de changer complètement de sujet :
« – Tu sais, j'ai eu la plus étrange des conversations avec Granger tout à l'heure, dans la cuisine, lâcha-il d'un ton badin.
– Ah oui ! Je me demandais bien ce qu'elle avait pu fabriquer tout ce temps. De quoi t'a-t-elle parlé ? », demanda Harry, véritablement intrigué.
Drago poussa le chat à côté de lui sur le canapé, car ce dernier était une véritable bouillotte et il lui donnait chaud. L'animal eut un petit miaulement de mécontentement de se voir ainsi dérangé, mais se réinstalla un peu plus loin.
« – Et bien, je crois qu'elle est venue me jauger en fait. Je ne sais pas vraiment ce qu'elle pense de tout ça, mais elle avait l'air satisfaite de ce qu'elle a perçu. J'imagine que j'ai réussi une sorte de test. », répliqua le Serpentard incertain.
Harry rit, ça ne l'étonnait pas trop d'Hermione.
« – Oui, c'est tout à fait son genre. Mais si tu passé le test alors tout va bien. » Il tendit sa bouteille de Biéraubeurre devant lui. « À cette petite victoire », déclara-t-il amusé.
Le blond répondit à son geste avec un hochement de tête.
« – Elle sont toutes bonnes à prendre », compléta-t-il.
Avec un sourire de connivence, ils burent à leur santé, ouvrant officiellement le début d'une autre longue soirée de discussion faite de sujets légers, de feu de cheminée et de complicité retrouvée. |