Une semaine passa, lentement, pour Drago et Harry. Trop remplie pour le premier, pas assez pour le second. Le blond était très occupé entre ses rendez-vous avec les avocats, le sien, mais également celui de sa mère et de son père auprès desquels il jouait désormais le rôle de relais, il y avait aussi la gestion administrative quotidienne des affaires familiales – l'entretien d'un patrimoine, même tronqué, cela demande du travail – ainsi que l'intendance du manoir afin de ne pas laisser les elfes de maisons et les quelques employés ponctuels livrés à eux-mêmes. Le Sang-Pur passait donc quelques heures seulement au square Grimmaurd pour travailler. Ces petites séances lui permettaient de ne pas se sentir trop enfermé dans la demeure familiale.
Comme Harry l'avait craint, le départ du blond lui avait donné plus de temps qu'il n'en fallait pour broyer du noir. Mais cela lui avait néanmoins permis de prendre du recul. Il avait hésité à plusieurs reprises à recontacter Ginny, pour essayer d'arranger la situation ou au moins pour tenter d'enterrer la hache de guerre. Il s'était ravisé chaque fois, considérant qu'il aurait été malvenu de la revoir alors qu'il était désormais sûr de ne plus être amoureux d'elle. Il risquait d'envoyer un message ambigu.
La jeune femme méritait de l'honnêteté et surtout elle méritait de trouver quelqu'un qui pourrait lui apporter ce dont elle avait besoin. Harry étant arrivé à la conclusion qu'il n'était pas cette personne, il avait gardé ses distances avec la rouquine jusqu'à présent. Mais l'envie égoïste de ne pas être seul l'avait tiraillée plusieurs fois durant la semaine. Il avait aussi été tenté d'inviter Ron ou Neville, mais n'avait jamais passé le cap non plus, car au fond de lui, ce n'était pas vraiment eux qu'il avait envie de voir.
Drago et Harry n'avançaient plus aussi bien sur la défense, le blond était distrait et préoccupé, tandis qu'Harry, qui attendait avec impatience ces moments, censés être conviviaux, parvenait difficilement à se concentrer, notamment parce que la distance du Serpentard avait tendance à lui peser.
Jusqu'à présent, ils étaient parvenu péniblement à terminer le travail de défense face aux témoignages de Slughorn, Rosmerta, Katie Bell et Barjow. Ils planchaient désormais sur les accusations d'introduction illégale d'objet contrôlé et de personnes dangereuses au sein d'une enceinte protégée qui pesaient contre Drago, suite à l'apport de l'armoire magique et à l'intrusion des Mangemorts à Poudlard. Ils essayaient de lier cela à ce qu'ils avaient pu rédiger précédemment en réponse aux témoignages. Une fois cela terminé, ils pourraient se pencher sur la dernière partie de leur travail, la plus dure : la mise en lumière des pressions exercées sur Drago lors des évènements, mais également son obéissance à un ordre direct du Lord. Cette fameuse partie qu'ils avaient mise de côté par manque d'éléments. Ils n'auraient plus d'autre choix que de faire avec ce qu'ils pouvaient soulever et articuler tout cela de la manière la plus cohérente et la plus solide possible.
Comme à son habitude, Drago arriva par Cheminette chez Harry et s'installa sur la table du salon avec ses dossiers et documents, pendant que le brun préparait et apportait du thé. Moon, trop heureux de retrouver son maître pour quelques heures lui sauta immédiatement sur les genoux pour une longue séance de câlins. Il était toujours difficile au Serpentard de renoncer à l'emmener avec lui, mais dans l'immense manoir des Malefoy, il y avait bien trop de bêtises à faire, et il était de toute manière bien trop occupé pour donner au chat toute l'attention dont il avait besoin. Ce dernier était donc mieux chez Harry. Les deux se tenaient ainsi mutuellement compagnie.
Le brun revint de la cuisine précédé par une théière, deux tasses et une coupelle de biscuits qui lévitaient devant lui et allèrent se poser au centre de la table. Il s'assit et commença à rassembler ses éléments de travail en prenant des nouvelles de la situation de Drago.
Ce dernier lui fit le point sur sa visite du matin à Sainte Mangouste. Narcissa commençait doucement à remonter la pente, elle avait regagné un peu d'énergie et de force, mais sa magie était toujours extrêmement faible. Glwadys Lanckerter, la Guérisseuse en Chef leur avait parlé du travail d'un certain Nelson Davis, un Médicomage américain qui faisait de la recherche sur les cancers magiques. Ce dernier avait théorisé un protocole de soin qui, adapté, pourrait peut-être convenir à Narcissa. Ce serait un long et dur labeur de le mettre en place, de le faire valider et de pouvoir l'expérimenter, mais cela valait le coup de creuser cette piste estimait la Guérisseuse. Une petite lueur d'espoir donc, qui avait redonné du courage à Drago. Lucius, bien que fortement intéressé, était resté plus méfiant et moins enthousiaste que son fils.
Harry demanda ensuite au blond comment il allait, ce dernier haussa simplement les épaules et proposa de se mettre au travail. Le brun n'insista pas et servit le thé, Drago avait déjà le nez dans ses documents.
Ils avaient commencé depuis à peine un quart d'heure qu'un hibou beige avec de grands yeux jaunes frappa avec insistance à la fenêtre de la cuisine. Harry alla lui ouvrir et nota une petite bague au logo de Sainte-Mangouste sur une de ses pattes. Dans l'autre, il tenait un morceau de parchemin, visiblement découpé à la va-vite. Le nom du blond figurait dessus.
Ce n'était pas possible, pas encore ! Le brun se mit à maudire ces satanés volatils. Il donna une croquette au rapace qui s'envola juste après l'avoir grignoté puis il porta le message au Serpentard. Ce dernier leva la tête de son travail en l'apercevant. Il eut l'air d'avoir exactement la même pensée qu'Harry en voyant le parchemin qui lui était destiné. Il saisit le petit rouleau, inspira fortement par le nez et le déplia avec beaucoup d'appréhensions. Ses craintes se virent confirmées, son père requérait sa présence au plus vite au chevet de sa mère. Il ne donnait cependant pas davantage d'informations.
Le Sang-Pur s'excusa auprès d'Harry, lui expliqua la situation et la nécessité de reporter la séance au lendemain. Il rassembla ses affaires à toute vitesse, salua rapidement et reprit la Cheminette.
Le Gryffondor avait renoncé à lui proposer de l'accompagner, sentant qu'il aurait juste essuyé un refus. Néanmoins, il priait Merlin, Dieu, Bouddha, et tous les types un peu puissants de sa connaissance pour que Narcissa ne soit pas en danger.
Quand Drago arriva, essoufflé, devant la chambre 43, son père attendait, adossé au mur, exactement là où il l'avait trouvé une semaine plus tôt. Il avait l'air particulièrement soucieux, plus encore que la première fois.
« – Que se passe-t-il ?! demanda Drago dès qu'il fut à portée de conversation.
– Je ne sais pas, une nouvelle crise, je pense. souffla Lucius sans énergie.
– Mais… elle était bien ce matin. C'est insensé ! Comment est-ce possible ? » fit le fils sans comprendre.
Son père le regarda d'un œil vide et passa une main dans ses cheveux.
« – Je ne sais pas… » répéta-t-il moins fort. Il semblait sur le point de se briser.
Le jeune homme détourna les yeux, gêné, et vint s'installer à côté de lui, tout comme la semaine précédente.
« – Et où en est-on maintenant ? demanda-t-il doucement en fixant un point sur le mur en face de lui.
– L'équipe de Guérisseurs est à l'intérieur et nous… on attend. » Lucius baissa la tête et s'agenouilla. Il reprit :
« – Tu l'aurais vu Drago, elle avait l'air si mal… » sa voix s'étrangla.
Le fils s'agenouilla à son tour et posa une main sur l'épaule de son père.
Le chef de famille respira longuement et sembla se ressaisir quelque peu, ses traits se durcirent, la colère venant y remplacer la tristesse.
« – Et je viens de recevoir la réponse du Ministère de la Justice Sorcière, gronda-t-il. Ces moins que rien ont encore refusé la suspension du procès de Narcissa, ils ne veulent pas même envisager de report de la date. Faudra-t-il qu'on l'amène à la barre en civière ?! » finit-il plus fort, la rage au ventre et les poings serrés.
Drago laissa retomber sa main, dépité, et enserra ses genoux. Il n'arrivait pas à croire qu'on puisse refuser une telle demande en voyant le dossier médical de sa mère. Il n'essaya pas de reparler de l'absolution possible si elle plaidait coupable, car il savait qu'il n'allait rencontrer qu'un refus catégorique et attiser la colère de son père. Ce dernier ne voulait pas considérer cette solution, puisqu'elle était innocente et elle n'avait, selon lui, pas à s'avilir de cette façon pour pouvoir être absoute de sentence. Si Drago partageait cette opinion, en théorie, il aurait néanmoins été prêt à tout pour libérer sa mère de toute tension et angoisse.
Les épaules de Lucius s'affaissèrent à mesure que l'attente et son abattement grandissaient. Il tourna la tête vers son fils, l'air grave.
« – Drago, nous allons devoir sérieusement envisager l'organisation des procès sans la présence et les témoignages de Narcissa… » commença-t-il.
Le jeune homme le regarda avec colère.
« – Je refuse de parler de ça dans un moment pareil ! » s'énerva-t-il, choqué encore une fois par le pragmatisme indélicat de son père. Il planta son regard acier dans celui, légèrement plus clair, de Lucius et son expression emportée affronta celle résignée de son interlocuteur.
Il allait l'exhorter à un peu plus de foi lorsque la porte de la chambre s'ouvrit, laissant passer Glwadys et son équipe. Les deux Sang-Purs se redressèrent rapidement et la femme se posta devant eux, tandis que les autres Guérisseurs disparaissaient déjà dans le couloir.
« – Allons dans mon bureau, j'ai à vous parler. » dit-elle aux deux blonds avec sérieux.
Ils acquiescèrent et la suivirent alors qu'elle partait dans la direction empruntée par ses collègues. Le père et le fils échangèrent un regard lourd de questionnements et d'appréhension. Elles les fit entrer dans une pièce de taille moyenne et invita les deux hommes à s'installer dans les deux fauteuils de cuir rouge qui s'y trouvaient. Elle s'assit en face d'eux, parmi les instruments mystérieux et anciens qui ornaient son bureau. Elle reprit la parole sans attendre, les deux Malefoy, anxieux, étaient pendus à ses lèvres.
« – Messieurs, les nouvelles que j'ai à vous annoncer ne sont pas bonnes. Narcissa a refait une crise tout à l'heure. Nous avons pu mettre un frein à la perte de magie, mais ça n'a pas été facile. Il semblerait que ses barrières naturelles soient très diminuées et elle ne parvient désormais plus à résorber ses hémorragies magiques seule. C'est très grave car sans assistance, la dispersion d'énergie ne s'arrêterait pas... »
Elle marqua une longue pause pour permettre aux deux hommes, immobiles et interdits, d'assimiler ces informations. Elle posa ses coudes sur le bureau, croisa les doigts puis reprit, concentrée :
« – Elle ne pourra donc plus se passer de surveillance médicale. Il est important qu'elle reste sous suivi permanent et je déconseille fortement qu'elle quitte l'hôpital.
– Mais… Mais, elle va bien sinon ? Je veux dire, elle ira mieux, n'est-ce pas ? » demanda Drago prudemment.
Le regard de Mme Lanckerter se tourna vers lui et s'emplit de compassion, mais aussi de tristesse.
« – Avec son incapacité à "colmater" ses failles magiques, elle ne pourra pas aller mieux… » elle marqua une nouvelle pause, plus courte. « Et c'est même pire que ça… » elle sembla chercher ses mots. « Les tests réalisés tout à l'heure nous ont révélé que la magie de Narcissa est désormais trop faible pour la maintenir en vie. Elle n'en a plus pour très longtemps. Nous… Nous ne pouvons nous prononcer avec précision, mais nous évaluons qu'il ne lui reste plus que quelques jours, potentiellement moins… Peut-être quelques heures seulement. »
La nouvelle fit l'effet d'une bombe. Le jeune homme ferma douloureusement les yeux, l'autre ne broncha pas mais prit néanmoins la parole :
« – Elle semblait pourtant en bien meilleure forme et sur la voie d'une possible rémission ce matin encore. pointa Lucius, le visage impassible et la voix égale.
– C'est exact, appuya Drago en se penchant vers le bureau. Et vous nous parliez d'un traitement expérimental, qu'en est-il ? »
Ses prunelles vacillantes cherchaient une lueur d'espoir dans celles de la Médicomage. La femme dut lutter de toutes ses forces pour se montrer ferme et ne pas lui donner de fausse joie. Elle serra la mâchoire et répondit gravement :
« – En effet, mais la crise d'aujourd'hui l'a beaucoup affaiblie et son corps a subi un contrecoup très violent. Concernant le traitement évoqué par Nelson Davis, il faudrait compter plusieurs semaines au moins avant de trouver une adaptation possible à la pathologie spécifique de votre mère et de réussir à ajuster les soins, sans mentionner les nombreux dossiers à réaliser pour pouvoir faire avaliser un tel protocole innovant… En sachant que dans tous les cas, les retombées envisageables restent inconnues. Narcissa ne dispose malheureusement plus de tout ce temps. Je suis sincèrement désolée. » Elle réajusta le col de sa robe verte.
Les deux hommes s'enfoncèrent dans leurs fauteuils, ils semblaient lutter intérieurement. Glwadys Lanckerter savait qu'ils auraient de nombreux stades à traverser avant de pouvoir accepter – ou au moins concevoir– cette fatalité. Elle préféra enchaîner rapidement sur un autre sujet déplaisant, elle leur laisserait ensuite le temps de tout digérer.
« – Excusez-moi d'avance pour la rudesse de mes propos, mais je vous conseille de commencer à réfléchir aux dispositions à prendre pour elle… Croyez-moi, aussi désagréable que cela puisse être, il reste beaucoup moins pénible de faire ce genre de démarches avant la… disparition du proche. dit-elle sur un ton doux. Je vais vous laisser un peu de temps seuls. Vous pourrez retourner dans la chambre de Narcissa quand vous vous sentirez prêts. Nous avons déjà échangé avec elle à propos de sa situation, elle avait préféré que je sois celle qui vous en informe. Je reste à votre disposition si vous avez des questions ou besoin de précisions. » termina-t-elle avec délicatesse avant de se lever calmement et de quitter la pièce.
Drago prit sa tête entre ses mains, il ne pouvait pas croire les mots de la Guérisseuse. Ces derniers ne faisaient pas sens dans son esprit. Le matin même, il avait vu sa mère refaire un sourire franc pour la première fois depuis près d'une semaine. La douleur avait perdu du terrain. Il laissa son regard hagard errer sur le mobilier de la pièce sans le voir et finit par croiser celui de son père qui le fixait, visiblement depuis un moment. Lucius ouvrit la bouche, s'apprêtant à lui parler, mais il n'avait pas envie de l'entendre, surtout qu'il devinait que ses propos ne seraient pas pour lui plaire. Il se leva rapidement et le coupa :
« – Non, ne dites rien ! Pas maintenant. » trancha le jeune homme en sortant du bureau.
Lucius ferma les yeux à son tour. Il avait craint cette annonce tant de fois, il avait tenté de s'y préparer en s'imaginant toujours le pire dans chaque situation, à chaque rechute de sa femme, à chaque complication. Mais rien ne pouvait vous préparer à cela.
Néanmoins, il n'était pas vraiment surpris par la nouvelle. Quelques heures plus tôt, lorsque la crise s'était déclenchée, au moment où celle qu'il aimait avait commencé à trembler et à être saisie de convulsions jusqu'à en perdre connaissance, il avait ressenti dans ses tripes que quelque chose s'était rompu, que cette fois l'espoir n'était plus de mise. Il n'avait pas voulu écouter ce pressentiment funeste, il l'avait mis de côté.
Lorsque l'équipe médicale avait fait irruption dans la chambre, comme au ralenti, il les avait vus s'emparer de l'espace de la petite pièce puis du corps tressaillant de sa femme. Il avait été poussé au-dehors et il avait éprouvé un arrachement inconnu, un détachement douloureux. D'une certaine manière, il l'avait perçu partir, renoncer. À moins qu'elle n'ait simplement perdu ce combat qu'elle menait depuis si longtemps maintenant. Et il avait compris que rien ne serait plus pareil.
Mais il n'était pas prêt.
Il n'était pas du tout prêt pour ça. C'était beaucoup trop tôt, trop soudain.
Drago pénétra dans la chambre de sa mère. Les propos de Mme Lanckerter résonnaient encore dans ses oreilles mais la réalité s'abattit sur lui comme un couperet lorsqu'il aperçut Narcissa. Sa dernière lueur d'espoir fut soufflée sans ménagement. L'aristocrate n'était plus la même que celle qu'il avait quittée le matin. Elle n'avait pas à proprement parler maigri, mais elle semblait vidée, comme si une force aspirait son énergie de l'intérieur. Elle tourna lentement la tête vers lui et le fixa de ses iris bleus clairs. Chacun de ses gestes paraissait être une torture et ses traits tirés trahissaient une douleur importante.
Il se sentait déchiré, il n'avait pas envie de lâcher prise, d'abdiquer, mais son esprit réalisait bien que sa mère vivait ses derniers moments, que cette fois, son corps ne pourrait pas gagner. Il n'arrivait pourtant pas à se résoudre à cette idée.
Il s'assit à son chevet, abattu, et lui saisit la main comme il aimait tant le faire. Elle était glacée et les ongles fins étaient violacés. Narcissa tenta de refermer ses doigts sur ceux de son fils, sa poigne était si faible qu'un esprit un peu distrait ne l'aurait pas perçu. Malgré le regard rassurant et déterminé que sa mère lui adressait, la poitrine du jeune homme se pinça, et il ne put empêcher une larme amère de rouler sur sa joue. La frêle main de Narcissa esquissa un mouvement pour venir la lui retirer, mais il ne la laissa pas faire, elle ne pourrait pas l'empêcher de pleurer.
Elle prit une longue inspiration.
« – Vous avez parlé avec Mme Lanckerter. » dit-elle d'une voix ténue. Ce n'était ni une question, ni une affirmation, simplement l'énonciation d'un fait.
Drago hocha la tête, la gorge trop nouée pour répondre.
« – Alors, vous savez… fit-elle gravement. Je sens… Je sens que c'est pour aujourd'hui, souffla-t-elle.
– Ne dit pas ça. » coupa la voix de Lucius qui se tenait près de la porte, les surprenant tous les deux.
Le jeune homme prit le temps d'essuyer sur sa joue l'unique trace de sa faiblesse avant de se retourner. Son père s'approcha avec raideur et se saisit du second fauteuil qu'il disposa près du lit, en face de Drago. Narcissa le regarda faire.
« – Ne pas le dire n'y changera rien, murmura-t-elle. Je suis désormais prête. »
Son ton ferme détonnait avec sa silhouette gracile et pâle. Elle paraissait minuscule au milieu des immondes draps verts. Sur la table de nuit, la Vitalys semblait lui donner raison. Tout comme celle dont elle affichait l'état de santé, la plante, recroquevillée sur elle-même, semblait vampirisée par une force intérieure, elle avait pratiquement perdu toute couleur.
Lucius attrapa l'autre main de sa femme et y déposa un baiser silencieux. Il avait la mâchoire serrée à s'en faire presque grincer les dents. Tout autant que son fils, il aurait voulu faire disparaître l'épée de Damoclès sur le point de s'abattre sur sa famille.
Les minutes s'égrenèrent lentement et l'après-midi défila au pas. Drago parla, beaucoup, pour tenter de combler les vides, à moins que ça ne soit pour essayer de tromper la mort. Mais cette dernière planait dans la pièce, tapie dans les moindres recoins, prête à se fondre sur sa proie. Le jeune homme voulait s'abreuver de la présence de sa mère, il ne la quittait pas des yeux. Lucius non plus ne parvenait pas à détacher son regard de celle qu'il aimait. Tous deux devaient cependant se rendre à l'évidence, elle semblait diminuer à vue d'œil, le froid la gagnait, bleuissant ses lèvres, asséchant sa gorge, cassant sa voix. Son attention se faisait plus flottante, elle mettait plus de temps à réagir, fixait des points dans le vide et répondait parfois à côté des questions. Son expression était plus tendue également, ses muscles plus raides et sa respiration saccadée.
Lucius regarda gravement son fils pendant un petit moment et, à regret, actionna le bouton de la petite sonnette magique implantée dans le cadre du lit. Aucun d'eux ne souhaitait voir de Guérisseur dans la chambre, mais Narcissa souffrait visiblement beaucoup et il ne pouvait pas la laisser sans médication.
Cette dernière surprit le geste de son mari et le dévisagea avec fermeté. Elle déglutit péniblement.
« – Je ne veux pas de potions, dit-elle faiblement.
– Narcissa, tu ne peux pas rester comme ça à souffrir le martyre. Il est inutile de t'infliger ça. » supplia Lucius avec peine en se rapprochant d'elle et lui caressant le front.
Un homme blond en robe verte fit irruption dans la pièce. Drago se leva pour s'entretenir avec lui, légèrement à l'écart.
« – Serait-il possible de soulager la douleur de ma mère ? » demanda-t-il à voix basse.
Derrière lui, sa mère s'agitait.
« – Je ne veux pas de potions. répéta-t-elle plus fort pour que le Médicomage entende. Elles me font délirer. Je n'en veux pas ! »
Cet effort sembla l'épuiser et elle lutta pour reprendre son souffle, la main sur la poitrine. Son mari essayait de l'apaiser.
Le Guérisseur regarda Drago, gêné.
« – Ce ne sont pas les potions qui font divaguer votre mère… c'est sa maladie. » dit-il contrit. De sa baguette, il fit apparaitre le suivi des soins prodigués à la patiente, puis consulta rapidement l'heure d'un sort. Il reprit :
« – Je peux lui administrer une nouvelle dose d'antidouleur, mais pas contre son gré…
– Je vois. fit Drago en réfléchissant. Ne bougez pas. »
Il revint au chevet de sa mère et lui parla à voix basse, tout près de son oreille, pour lui demander d'accepter le traitement. Narcissa refusait de l'écouter. Résigné, il tenta le tout pour le tout :
« – Mère, dit-il en la fixant d'un air grave. Nous ne pouvons pas empêcher les hallucinations, elles sont inhérentes à votre état, mais nous pouvons arrêter la douleur, ne refusez pas, je vous en prie. »
Sa mère abdiqua, vaincue par cet argument implacable. Elle quitta son fils des yeux pour faire un signe au Médicomage qui alla lui chercher de la potion. Durant le court laps de temps qu'il lui fallut pour revenir, aucun des trois Malefoy ne bougea ni ne parla. L'homme en robe verte, armé d'une petite fiole, réapparut et la tendit directement à la mourante. Elle l'attrapa faiblement et en but lentement le contenu, soutenue dans ses gestes par un Lucius attentif.
Elle soupira d'aise en sentant la potion faire effet et la douleur refluer. Le praticien récupéra la fiole vide et quitta les lieux.
Désormais moins gênée par la souffrance et l'esprit plus clair, Narcissa souhaita parler avec son mari. Drago leur laissa donc de l'espace et attendit dans un coin de la chambre tandis que les deux autres s'entretenaient à voix basse.
Le jeune homme culpabilisa de n'avoir pas été plus présent au chevet de sa mère ces derniers temps, de n'avoir pas été davantage soutenant pour elle. Il s'en voulut d'avoir passé des moments agréables avec Potter alors que celle-ci vivait ses ultimes semaines. Dire qu'avec Harry il avait aimé oublier le reste du monde. Quel égoïsme ! C'était avec elle qu'il aurait dû resserrer les liens plutôt qu'avec ce satané Gryffondor. Il aurait dû la protéger, il aurait dû revenir au manoir, il n'aurait pas dû laisser son père gérer seul la situation.
Il aperçut Narcissa poser sa main sur l'avant-bras de Lucius avant que celui-ci se relève et sorte d'un pas raide, les poings serrés, le regard dur. Elle lui fit un signe discret pour qu'il se rapproche et elle lui parla à voix basse, dès qu'il fut installé de nouveau près du lit.
« – Drago, je suis prête, tu sais. lui dit-elle. Je ne suis plus qu'un fardeau pour vous deux actuellement, c'est probablement mieux comme ça. déclara Narcissa de but en blanc, de sa voix frêle.
– Ne dites pas ça, ce n'est pas vrai. contra-t-il, choqué, en lui enserrant la main.
– Même après ton acquittement, pour lequel je n'ai aucun doute, je n'aurais pas pu reprendre ma vie d'avant, tu le sais. Et il en aurait été de même pour toi, tu n'aurais pas pu mener une vie normale avec tout cela à gérer. détailla-t-elle calmement.
– Mère…
– Laisse-moi finir. le coupa-t-elle. Je t'aime Drago, et, plus que tout, je souhaite que tu sois heureux. Je veux que tu laisses le passé derrière toi et que tu vives pleinement. Gagne ce procès et va de l'avant. » sa voix s'essouffla.
Le jeune homme ne dit rien, il ne parvenait pas à imaginer sa vie sans la présence et la bienveillance de cette femme qui, toujours, l'avait accompagné et soutenu. Lui serait-il seulement possible d'être heureux après ça ?
« – Promets-le-moi. » insista Narcissa.
Il se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas se laisser submerger par la peine et acquiesça simplement, essayant d'être fort, pour elle.
« – Bien, tu peux rappeler ton père. » lui intima-t-elle faiblement.
Elle ferma les yeux alors qu'il se levait pour s'exécuter. Elle était vidée. Tenir ces deux conversations lui avait coûté, tant émotionnellement que physiquement. Narcissa sentait bien qu'elle ne serait pas présente encore longtemps, que son esprit se faisait peu à peu fuyant, que son corps commençait à l'abandonner. Elle avait su depuis le début qu'elle ne pourrait pas gagner ce combat et une part d'elle était soulagée que celui-ci touche à sa fin. Néanmoins, elle aurait aimé pouvoir assister à la sortie de son fils, libre, du tribunal et le savoir prêt à entamer réellement sa vie d'adulte.
Elle espérait simplement que lui et Lucius parviendraient à surmonter sa disparition, que cette dernière ne les emprisonnerait pas dans le passé et ne les empêcherait pas de s'épanouir.
Les deux hommes revinrent s'asseoir en silence. Narcissa s'autorisa à somnoler par intermittence. L'après-midi se coulait désormais lentement dans la soirée. Progressivement, la douleur réapparut, déformant les traits de la malade qui recommença à délirer, parfois même dans son sommeil. Son souffle devint rauque, sa respiration sifflante et des tics nerveux se propagèrent dans certains de ses membres. La Vitalys se recroquevilla encore un peu dans son pot. Ne sachant que faire, Lucius sonna à nouveau les Médicomages. Un homme et une femme, tous les deux bruns, arrivèrent dans la pièce. On pouvait lire Anaïs Lepage et Henry Quills sur leur badge.
Lord Malefoy se leva pour leur demander une nouvelle dose de potion contre la douleur. Ils vérifièrent le dossier de suivi, tout comme leur collègue plus tôt et se regardèrent, puis la femme parla à voix basse :
« – Je suis désolée Monsieur Malefoy, mais nous ne pouvons pas lui en donner à nouveau, sa dernière prise est trop récente. lui expliqua-t-elle à regret en faisant disparaître le dossier.
– Mais enfin, vous voyez bien que ma femme souffre énormément ! » éclata le blond, plus fort.
Drago tourna la tête en direction de la conversation. Henry prit le relais.
« – Monsieur, calmez-vous. dit-il avec sang-froid. Nous avons bien conscience de la situation, mais une forte dose lui a déjà été administrée i peine trois heures, il serait inconscient de lui en fournir une nouvelle maintenant. Cela pourrait la tuer. »
Lucius perdit cette fois complètement son calme et son visage passa au rouge d'un seul coup. Son fils eut le réflexe de se lever à toute vitesse pour l'empêcher de s'en prendre physiquement aux deux Guérisseurs.
« – Vous n'êtes pas foutus de sauver ma femme, vous n'êtes même pas capables de l'empêcher de souffrir ! Je me demande bien à quoi vous servent vos diplômes en carton. Dégagez d'ici ! Dégagez avant que je vienne vous exprimer en détail le fond de ma pensée. » hurla le chef de famille tandis qu'Anaïs et Henry déguerpissaient promptement.
Drago n'avait jamais vu son père perdre à ce point contenance, pas même dans les moments les plus critiques. La colère de Lucius retomba aussi brutalement qu'elle était venue et il se laissa choir sur son fauteuil, complètement effondré. A côté, sa femme à demi-endormie murmurait des mots qu'elle seule comprenait.
Le soleil continua sa lente descente et la luminosité diminua petit à petit. Narcissa s'éveilla en sursaut, raconta à mi-voix des passages de L'épopée du Dragon, dans le désordre. Les deux hommes l'entouraient du mieux qu'ils pouvaient. Son discours était de plus en plus décousu à mesure que la douleur s'amplifiait. Elle écarquilla les yeux et les dévisagea sans les reconnaître. Ils tentèrent de la rassurer autant que possible. Drago et Lucius échangèrent un regard éteint et résigné. Ils la serrèrent dans leur bras. Elle évoquait des souvenirs d'une jeunesse qui n'était pas la sienne de sa voix ténue qui s'amenuisa doucement avant de s'essouffler tout à fait, laissant place à un silence criant. Sur le chevet, la fleur, sèche et complètement repliée, s'était fanée.
Ils détachèrent prudemment leur étreinte et le corps sans vie de Narcissa vint s'étendre contre les coussins, ses cheveux se répandant autour de son visage clos. Ses traits fins semblaient enfin apaisés. Drago recula lentement, faisant tomber son fauteuil sur le côté.
C'était fini.
Tout était fini.
Il abandonna son père dont le visage crispé et les trainées de larmes trahissaient l'intense détresse, et sortit en trombe de la pièce. Il courut droit devant lui, sans rien voir, sans faire attention à ceux qu'il bousculait, jusqu'à ce que ses jambes l'aient porté en dehors de Sainte-Mangouste. Il bifurqua dans la première ruelle qu'il vit et transplana directement dans son appartement.
Il avait perdu.
Une fois de plus, il avait été incapable de sauver sa mère. |