Chapitre de Torajio !
Bonne lecture
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Après lui avoir proposé un rapide repas, une sorte de purée brunâtre au goût indescriptible, Ethan Yale quitte son refuge. Laissant son invité seul dans sa planque miteuse, summum du luxe pour l'Allée des Embrumes, il ne doit revenir selon lui que plusieurs heures plus tard. Harry profite de cette solitude temporaire pour s'asseoir quelques instants, et étudier les papiers qui traînent sur la table noircie par la graisse, tâchant d'en apprendre plus sur celui qui est désormais son nouvel et unique appui. En plus de l'exemplaire de la Gazette du Sorcier, il trouve de nombreuses coupures de presse sur l'enquête du massacre des Potter, depuis ce fameux jour d'été où tout a commencé, jusqu'à son évasion de Sainte-Mangouste. Figurant au-dessus de la pile, ils dissimulent non sans mal un nombre bien plus conséquent de papiers, de notes et de photos d'anciens Mangemorts. Des listes de noms. Harry en reconnait une partie, pour avoir lui-même contribué à les appréhender. Des symboles indéchiffrables sont dessinés à côté de certains. Qui est cet Ethan, et pourquoi s'intéresse-il de si près aux Mangemorts ? La situation lui parait soudainement inquiétante : un homme qui côtoie leur monde, dont la table présente comme premier document sa photo avec la prime associée à sa capture, lui fait dévoiler ses plans, et lui demande ensuite de rester chez lui en attendant son retour plusieurs heures plus tard. Ethan pourrait être un chasseur de prime tout compte fait, ou un Mangemort lui-même... si tel est le cas, Harry est désormais à sa merci.
La nuit blanche qu'il vient d'endurer s'ajoute à la fatigue accumulée depuis des mois, qu'aucun sommeil ne peut vraiment réparer. Aussi cette angoisse de trahison de la part d'Ethan s'envole-t-elle rapidement, avec ses derniers espoirs de rester éveillé jusqu'à son retour. Harry décide de profiter du confort relatif de la chambre miteuse, et quitte sa chaise pour se traîner jusqu'au lit sans forme dans lequel il se laisse tomber. Allongé sur le dos, les bras croisés sur le torse, il sent son esprit divaguer de plus en plus, comme chaque soir avant que le sommeil ne le prenne. Le souvenir du professeur Rogue, cet allié que tout accusait jusqu'à la dernière seconde, le rassure un peu sur Ethan avant qu'il ne s'endorme. Puis l'image de son fils lui vient à l'esprit. En sécurité. Chez ses amis. Entouré... Enfin il se laisse tomber dans les bras de Morphée, un sourire au coin des lèvres et une larme au coin de l'œil.
Harry est réveillé en début de soirée par des bruits de pas dans la ruelle adjacente, celle par laquelle jamais personne ne semble pourtant passer. Il se lève en silence et resserre fermement ses doigts autour de sa baguette encore dans sa poche, juste au cas où. La porte s'ouvre sur Ethan. Sans savoir pourquoi, Harry relâche la pression sur son arme. Ethan entre, suivi par un jeune homme de bonne carrure, tout juste la vingtaine, un grand sourire étirant ses lèvres. Derrière lui, une femme plus menue a pour elle un regard lumineux et assuré malgré la fragilité de sa silhouette. Cinq autres personnes entrent encore l'une après l'autre. La plupart paraissent avoir autour de la trentaine, excepté le premier entré, et un garçon qui doit avoir seize ou dix-sept ans. Tous portent des capes d'un brun douteux qui dissimulent des vêtements plus ordinaires. Aucun n'est du coin, de toute évidence.
- Harry Potter, je vous présente quelques amis, lance Ethan d'un ton enjoué, puis il désigne les nouveaux venus un à un. Noah, Mona, Kevin, Russell, Kitty, Joanna et David.
Chacun affiche un sourire plus ou moins marqué. Le plus jeune, David, ne semble pas vouloir regarder Harry dans les yeux. Il lui rappelle Albus... Les autres le fixent avec plus ou moins d'insistance, avec un regard parfois ébahi, parfois admirateur, parfois les deux. Harry les salue d'un signe de tête, puis lance un regard interrogateur à Ethan.Qui sont ces gens ?
- Ils ont eux aussi une dent contre Travers, explique Ethan. Ils mettront leurs talents à votre disposition pour réussir à le coincer.
L'Élu prend à part son allié enjoué, lequel fait signe aux sept personnes à côté de l'entrée d'y rester :
- Pourquoi est-ce que je devrais faire confiance à ces gens ? demande Harry, l'air grave.
- Kitty, Russell et Noah sont frères et sœur, commence Ethan. Travers a fait brûler leur boutique familiale avec leur petit frère dedans pour avoir dénoncé un des revendeurs qu'il a à sa botte. Mona a failli subir le même sort pour l'avoir menacé de le livrer s'il continuait à la harceler. David a vu ses parents mourir sous ses yeux de la main de Travers lui-même. Quant à Kevin, il a beaucoup d'intérêts dans la disparition de Travers. Et Joanna connaît les magouilles des Mangemorts presque aussi bien que moi. Elle serait ravie de voir couler le sang de quelques pourritures de leur espèce...
- Peut-être, mais ils savent qui je suis, murmure Harry.
- Raison de plus pour leur faire confiance, objecte Ethan. Ils vous connaissent, et malgré les événements récents, ils ont foi en vous. Eux, ils vous font confiance. Ces gens qui se tiennent ici à quelques mètres de nous sont loyaux et se fichent pas mal de la récompense à la clé de la capture du grand Harry Potter. Ils ont souffert à cause de Travers ou de ses acolytes. Comme vous maintenant, ils exigent réparation. Et ce n'est pas de l'argent qu'ils attendent. Vous m'avez accordé votre confiance, alors il doit en être de même pour eux. Ils ne vous décevront pas.
Harry reste pensif. Ce qu'Ethan dit est sensé. Et si l'un de ces nouveaux venus avait voulu se faire une petite fortune à ses dépens, il en aurait eu maintes fois l'occasion, alors qu'il leur tournait le dos depuis de longues minutes. On devine sur le visage de ces gens ce qu'ils ont pu endurer, marqués par des larmes acides ou par les flammes de la colère et de la haine. Ce ne sont pas des émotions que l'on s'attendrait à trouver sur des visages aussi jeunes. Mais dans leurs yeux, on ne distingue pas cette lueur malsaine et écœurante, avide. Harry se sent effroyablement seul depuis des mois. La veille, un homme lui a tendu la main. Et aujourd'hui, sept autres bras se tendent vers lui. Ce sont de nouveaux alliés, il ne peut pas se résoudre à se méfier d'eux. Il a besoin d'eux, aussi bien pour l'aider à capturer Travers que pour ne pas sombrer dans la folie à terme. Se retournant vers les sept individus, il leur adresse un sourire amical et entendu. Et il reçoit en retour sept sourires sincèrement ravis.
XXX
Le plan d'action contre le Repère du Diable s'élabore rapidement, si bien que le soir tombe à peine quand les dernières instructions sont données. Grâce aux informations que détient Ethan sur le trafic d'absinthe, ils ont pu déterminer avec précision quand ils pourraient s'infiltrer dans l'imposante mansarde. Joanna connait suffisamment les habitudes des Mangemorts pour déterminer approximativement leur nombre et leur force. Avec ses années d'expérience en tant qu'Auror, Harry a distribué les rôles, et organisé l'attaque avec le peu d'informations qu'il détenait sur la maison elle-même. Le petit groupe n'a plus alors qu'à attendre que la nuit tombe pour se mettre en place.
La nuit venue, donc, neuf ombres marchent d'un pas assuré mais sans bruit dans l'Allée des Embrumes, droit vers le Repère du Diable. Arrivé sur place, toujours en silence, chacun se met en position : Noah et Russell tapis dans les ruelles qui entourent la villa, Harry posté devant l'entrée, droit comme un i. Les autres silhouettes fantomatiques restent en retrait, dissimulées tout autour de la zone en attendant le signal. À minuit, tout le monde est prêt.
Peu avant une heure du matin, deux hommes engoncés dans de longues capes noires approchent d'un pas grave, les bras chargés de caisses tintant au rythme de leurs pas. Ils s'immobilisent à quelques mètres de la porte, surpris par cet homme enveloppé de ténèbres qui semble les attendre. Avant qu'ils aient eu le temps de l'interpeler, deux murmures surviennent simultanément de chaque côté de la maison, deux lumières rouges jaillissent et les deux Mangemorts tombent lourdement sur le dos, pétrifiés. Les caisses qu'ils tiennent se déposent lentement sur le sol pour éviter de donner l'alerte, maintenues en lévitation par Harry. Les deux frères s'empressent d'enfiler les capes des deux hommes, de ramasser leur chargement, et ils pénétrent le repère, suivis par Harry et le reste de la troupe. Le jeune David reste à regret dans le noir de la ruelle, chargé de faire le guet.
L'entrée de la masure est un long couloir sombre et étroit, où la poussière plane. Le carrelage sur le sol est noir, s'accordant parfaitement à la tapisserie couleur ébène qui recouvre les murs, décollée par endroits. Des miroirs brisés et des tableaux inertes pendent çà et là le long du corridor, dispersés au hasard. L'air est lourd, pesant. Deux ouvertures sur la gauche devaient être comblées par des portes miteuses autrefois, mais aujourd'hui, elles béent sur l'abyme le plus complet. Conformément aux instructions initiales, en l'absence de plan de l'antre des Mangemorts, Noah et Russell progressent en éclaireurs, leur visage enfoui sous les replis de leurs capes. Joanna et Kevin les suivent à bonne distance, vérifiant chaque pièce le long du couloir pour neutraliser toute présence éventuelle. De la pièce la plus éloignée, où Joanna vient de disparaître, deux éclairs verts jaillissent sans un bruit, transperçant les ténèbres, bientôt suivis par le bruit sourd que font deux corps qui s'effondrent. Joanna ressort avec un léger sourire, un air faussement grave plaqué sur son visage fin. Harry n'y prête pas la moindre attention. Arrivés au bout du couloir, Noah et Russell posent les caisses qui encombrent leurs bras et poussent une double porte qui grince sur ses gonds noircis de crasse. Elle s'ouvre sur une petite salle rectangulaire, occupée en son centre par une vaste table ronde sur un tapis délabré aux motifs fanés. Partout autour, des caisses et des planches de bois brisées traînent dans un désordre effroyable. Des restes de tapisserie murale verdâtres pendent lamentablement des murs, quand ils ne moisissent pas sur le sol. Quatre autres portes percent la pièce : deux à gauche, une en face, une à droite. Autour de la table, une vingtaine de chaises. Et sur les chaises, une vingtaine de regards.
Il faut plusieurs secondes aux deux frères pour réagir. Il en faut encore plus aux Mangemorts qui entendent deux « Stupéfix » criés à travers la pièce étroite avant de se lever en pointant leurs baguettes sur les deux intrus. Un concert de lumières mortelles jaillit dans toutes les directions, creusant des failles dans les murs émiettés, carbonisant les immondices alentours qui commencent à prendre feu. Le sortilège de protection ne fonctionnerait pas longtemps face à un tel nombre. Tout le groupe s'engouffre donc dans la pièce et riposte à visage découvert. D'abord téméraires face à deux malheureux inconnus, certains Mangemorts prennent la fuite tandis que d'autres tombent inertes sur le sol, paralysés. Harry, Ethan et les autres se précipitent au centre de la pièce en esquivant les attaques émeraude, neutralisant tous les Mangemorts encore dans la pièce.
Treize sbires sans chef viennent d'être pétrifiés. Les autres se cachent quelque part dans la maison. Ethan a compté cinq lâches. Face à ce petit nombre, le maître du plan prend la liberté d'en modifier la dernière partie :
- Kitty, Joanna, Russell, Mona, énumère distinctement Harry. Vous restez ici. Ces portes sont des murs infranchissables. Je suis le seul, et je dis bien le SEUL qui peut passer. Compris ?
Les quatre intéressés acquiescent et prennent position :
- Kevin, Noah. Rejoignez David. S'il y a une autre sortie, je ne veux pas qu'il soit seul face à un ou plusieurs de ces types. Et Ethan, avec moi.
Il fait une pause, puis reprend en posant son regard inflexible sur Joanna :
- Aucun. Mort. Je veux Travers vivant.
Sur ces mots, il pousse la première porte et entre dans une pièce sans lumière. Ethan la referme derrière eux. Et la traque commence.
Harry avance lentement, une lumière magique au bout de sa baguette, éclairant quelques mètres autour de lui. Aucun mobilier, aucune décoration, aucune fenêtre. Cette pièce est vide. Une porte mène vers une autre salle, similaire, quoiqu'un peu plus grande, et les murs un peu plus défraîchis. Toujours les mêmes murs, toujours le même sol. Cette maison a été construite pour être oppressante. Mais Harry ne se laisse pas impressionner. Au contraire, un étrange sourire commence à s'afficher sur son visage. Celui d'Ethan reste quant à lui concentré et inexpressif. Ils arrivent dans une troisième pièce, encombrée par un assemblage de caisses rongées aux mites, et Harry s'arrête.
Un éclair de lumière vert jaillit au hasard de derrière un pan de mur effondré, et passe à côté de l'Élu sans qu'il ne bouge. Son partenaire désarme l'ennemi invisible dans l'obscurité ambiante. Harry fait quelques pas lents vers l'endroit d'où est venu le sortilège de la mort. L'homme a trébuché et s'est retrouvé recroquevillé et sans arme contre le mur. Harry allume le bout de sa baguette à deux doigts de son visage :
- Tu n'es pas Travers.
L'homme fait non de la tête, puis ses yeux se ferment sur son dernier souffle. Le mortel rayon vert réintègre la baguette de l'Elu. Laissant le cadavre sur place, Harry et Ethan continuent l'exploration sans plus s'en soucier. Mais à mesure que les deux chasseurs explorent les pièces toutes plus diaboliquement semblables les unes aux autres, le chef de file perd peu à peu patience. Son sang boue littéralement dans ses veines. Pourquoi cette satanée maison est-elle si grande ?
- Travers ! Montre-toi ! Espèce de lâche !
Ils rencontrent encore trois Mangemorts qui perdent la vie de la même façon : désarmés puis tués proprement et en silence, avec un calme effrayant. Harry a l'impression d'évoluer dans un rêve. Son esprit s'est comme détaché de son corps, et il exécute ces hommes avec l'efficacité d'une machine. Ou d'un Mangemort.
Ils sont revenus à la pièce centrale, et partent explorer les méandres que cachent une troisième porte, lorsque Harry fait signe à Ethan de rester sur place. Il veut se retrouver seul face au seul Mangemort qui reste maintenant, et dont il vient d'entendre les pas plus loin.
- Je t'ai vu, Travers, annonce-t-il lentement, détachant chaque syllabe, sur un ton faussement joueur. Je t'ai vu. Et je vais t'attraper...
Il pare d'un geste las une attaque mortelle avant d'entendre une porte claquer. Le noir tombe de nouveau sur la pièce. Un petit rire sombre et nerveux lui échappe :
- C'est tout ce que tu sais faire, Travers ? vocifère-t-il. LAMENTABLE ! Je ne m'attendais pas à mieux de toute façon. Bombarda !
La porte qui vient de claquer vole en éclat, illuminant toute la pièce un court instant. Harry éloigne les débris par magie d'un geste du bras, et pare une nouvelle série d'attaques. Moins ordonnée. Plus aléatoire.
- Tu ne sais rien. Tu ne vaux rien. Tu n'es rien, Travers ! Rends-toi, je ne veux pas te tuer. Je veux seulement te parler, c'est un honneur pour toi !
Cette pièce n'a pas d'issue. Travers, quel idiot... quatre options, et il choisit la seule qui n'a aucune issue. Et si peu de chances de gagner un quelconque duel, même contre le premier venu... Harry range sa baguette, et fait lentement quelques pas en avant jusqu'au centre de la pièce, les bras ouverts en croix :
- Je n'ai plus de baguette, qu'est-ce que tu attends, vermine ? hurle-t-il après un instant.
Un éclair à gauche, droit sur lui. Mais le sortilège dévie au dernier moment et part s'écraser sur le mur. Trop bête pour comprendre que son adversaire est entouré d'un bouclier, c'est à se demander comment Travers a pu survivre jusque-là. Sachant désormais exactement où se trouve son adversaire, Harry tend la main gauche dans sa direction et la resserre sur l'air comme pour étrangler une personne invisible. Et Travers commence à s'étouffer. Le poing toujours serré, l'Elu fait quelques pas dans sa direction, et saisit le Mangemort de l'autre main, ne relâchant la pression magique que pour lui arracher sa baguette des mains :
- Tu n'es qu'un misérable crétin.
Le soulevant à son niveau, Harry le plaque violemment contre le mur, comprimant brutalement ses poumons pour lui arracher un soupir ridicule.
- Ton existence... est inutile.
Il le jette de côté sur un tas de pierres écroulées, aussi fort qu'il le peut, et l'on entend le craquement sec et sinistre que font des côtes qui se brisent. Il le saisit alors par le col et le force à se relever en grimaçant. Il le pousse lentement vers la porte d'entrée, le soutenant sous les bras pour qu'il ne tombe pas. Harry est trop impatient de questionner Travers pour perdre du temps à le ramasser à chaque pas. Arrivé devant la pièce aux quatre portes, il le pousse en avant et lui flanque un coup de pied dans le dos, suffisamment fort pour que son nouveau jouet s'écrase conte le battant qui cède sous la violence du choc. L'homme s'écrase dans la pièce dans un boucan épouvantable, suivi de près par un Elu aux yeux émeraude, et au sourire cruel. Les quatre alliés qu'il avait dans la pièce n'existent plus, il ne les voit plus. Il ne voit plus que le résidu d'humanité qui git à ses pieds. Il le redresse une nouvelle fois pour l'allonger sur la table ronde. Il monte à son tour dessus, et se met à genoux au-dessus de son ventre pour l'immobiliser. Il rapproche son visage près de celui de Travers :
- J'ai quelques questions à te poser, c'est la seule raison pour laquelle tu vis encore, mon grand. Alors tu vas me faire entendre ta jolie voix, et me répondre sans détour. Sinon...
Harry se redresse d'un bloc et plonge un regard sombre et noir dans celui de Travers, haletant, le souffle rauque, sifflant douloureusement à chaque inspiration :
- ... tu préféreras t'arracher la peau que de souffrir ce que je te ferai souffrir. Et les supplications du rat que tu es se noieront dans tes propres hurlements. Ça te va ? Parfait, on peut commencer !
Harry bondit jovialement de son petit piédestal, laissant sa victime sur la table :
- Première question. Tu te souviens du Furosensis ?
Travers ferme les yeux, et entrouvre la bouche pour formuler une réponse, mais n'a pas le temps de prononcer un son. Un violent coup de poing vient de s'écraser sur ses côtes cassées, lui arrachant un hurlement strident :
- Oui, oui, tu t'en souviens, évidemment, poursuit Harry. Va savoir pourquoi, je sais que tu n'as pas agi par toi-même. Ho que non, tu es trop stupide pour ça. Qui t'a ordonné de te procurer ce poison ?
Harry se penche en avant, prenant appui sur la table ronde qui s'incline en grinçant. Il perd instantanément son ton sarcastique. Ses mains se serrent progressivement sur le bois à en faire blanchir ses articulations. Il attend une longue minute durant laquelle Travers se contente de hocher la tête de gauche à droite. Quelques côtes cassées, c'est déjà trop pour lui. C'en est presque désespérant...
- Travers... réponds-moi. S'il-te-plaît. J'ai perdu tellement de choses depuis tout ce temps...
Le poing d'Harry s'abat sur la table qui cède sous le coup :
- Et ma patience avec, saloperie ! explose-t-il. RÉPONDS ! Tout de suite.
Les yeux d'Harry virent au noir, plus profond que deux sphères en obsidienne. Travers se tient les flancs en pleurant dans les débris et la poussière, et des gouttes de sueur commencent à faire leur apparition sur son front. Les cendres des objets ayant brûlé plus tôt dans la nuit volent dans la pièce, quelques-uns encore en feu. Un pan de la cape de l'ignoble supplicié s'enflamme brutalement, mais c'est loin d'être une étincelle naturelle. Travers pousse un cri de surprise, puis de douleur. La flamme attaque la chair de ses jambes, diffusant une odeur de viande brûlée à retourner le cœur dans la pièce.
- J'attends !
- A... Arrêtez ! Arrêtez !
- Ha, enfin je t'entends. Qui t'a demandé le Furosensis ?
- Pitié ! STOP !
De nouvelles flammes apparaissent sur Travers, chacune semblant voler encore un peu plus de l'éclat des yeux d'Harry, si c'est encore lui qui possède son propre corps. La loque hurle de douleur, sentant sa peau se disloquer avec la chaleur. Alors qu'Harry réitère sa question encore et encore, il se retrouve en lévitation au centre de la pièce, sous les regards incrédules de Kitty, Joanna et Russell. Ethan quant à lui observe la scène d'un air à la fois intéressé et inquiet.
Kitty quitte la pièce après plusieurs minutes, suivie de Russell peu après, quand la peau de Travers elle-même prend feu, dévoilant à vif ses muscles, ses tendons et sa graisse dégoulinante. Une chaleur étouffante et une odeur intenable prennent possession de la pièce, mais seul le bourreau aux yeux noirs ne semble pas en être incommodé, répétant inlassablement la même question d'une voix de plus en plus grave et de plus en plus forte, attendant sa réponse.
- QUI T'A DEMANDÉ LE FUROSENSIS, TRAVERS ? QUI ? QUI ? RÉPONDS !
Le supplice dure plus de dix minutes encore, pendant lesquelles les hurlements ne cessent que lorsque l'âme – ou ce qu'il en reste – de Travers a brûlé dans les flammes démentielles dans lesquelles Harry l'a plongée. Le corps sans vie se tient à un bon mètre du sol encore quelques instants après que l'os du crâne ait été découvert, et que la silhouette de Travers ait maigri de moitié. Harry reprend soudainement ses esprits et se laisse tomber lourdement sur le sol, ses yeux emplis de rage fixés sur le tas d'os et de sang qui propage ses flammes au reste de la maison.
- Il est mort..., articule-t-il. Et il n'a... rien dit. RIEN !
Harry se relève et balance son pied dans la tête squelettique du cadavre qui se détache sans résistance pour se briser sur le sol un peu plus loin.
- Rien ! Plus rien, plus de piste !
Il tourne en rond, sans faire attention à l'incendie qui se propage, extériorisant sa colère et sa frustration. Il se débarrasse de sa cape sans réfléchir, la chaleur devenant étouffante, juste avant qu'une main se pose sur son épaule :
- Harry, fait Ethan calmement.
- Quoi ?!
- Sortons.
Alors seulement il prend conscience des flammes qui l'entourent peu à peu. Il voit Joanna se précipiter vers la sortie qui sera bientôt obstruée, et il court à sa suite, Ethan derrière lui. Dehors, tout le monde est là, et ils attendent. Harry prend quelques secondes pour juger de leur réaction. Que verrait-il sur leurs visages ? La même incompréhension que lui avait manifesté le reste du monde sorcier ? Du dégoût, de l'horreur ? Mais non, il ne voit rien de tout ça. Tous les regards posés sur lui sont pleins de loyauté. Mais aussi et surtout de crainte. Une crainte viscérale d'avoir vu ou simplement entendu ce qu'il vient de faire. Comment il vient de le faire. Il a tué plus d'un homme, au cours de cette nuit abyssale, et condamné tous ceux qui étaient encore dans la villa, paralysés, à brûler vifs, impuissants. Et il l'a fait de sang-froid.
Avisant tous ces regards, Harry vérifie qu'il a toujours sa baguette en poche, puis part droit devant lui. Ses sept nouveaux alliés s'écartent pour le laisser passer. Ils ne se décident à le suivre que lorsqu'Ethan le fait lui-même. Et bien avant que les flammes de l'Enfer n'entament la façade de ce qui a été le Repère du Diable, les neuf ombres disparaissent dans la nuit. Unies dans les ténèbres.
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