Chapitre de Natalea.
Enjoy !
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Retour auprès d'Albus, un an et huit mois après l'évasion d'Harry...
XXX
Albus monte quatre à quatre les interminables marches de pierre. Son cœur bat à tout rompre dans sa poitrine, comme une bombe sur le point d'exploser, comme s'il voulait briser sa prison thoracique pour s'en échapper. Le jeune homme ne réfléchit pas. Une multitude de pensées l'assaille qu'il repousse aussitôt. Ne pas penser, surtout ne pas penser. Penser c'est sombrer.
Le portrait de la grosse dame se dresse enfin devant lui. Il s'arrête en dérapant sur les dalles de pierre, reprend son souffle et fixe la vieille femme qui le toise dans son immonde robe rose.
- Voilà ce qui arrive quand on passe son temps à courir à droite à gauche ! dit-elle. Regardez-vous, vous êtes dans un état lamentable !
Albus lève brièvement les yeux sur elle et articule entre ses lèvres sèches :
- Ars Amatoria.
- Vraiment, les bonnes manières se perdent, c'est de pire en pire !
- ARS AMATORIA !
La grosse dame ouvre de grands yeux. Albus la fixe, pantelant, le regard noir, comme un fugitif à qui l'on refuse l'accès à la délivrance. Sans poser plus de questions, la grosse dame fait pivoter son portrait, non sans un dernier coup d'œil offusqué. Albus ne s'en préoccupe pas. Il s'engouffre dans le passage et n'attend même pas que le battant se referme. Il court, traverse la salle commune, se précipite dans le dortoir, et claque la porte d'un violent coup d'épaule.
Ruisselant de sueur, il s'immobilise au milieu de la pièce. Il a chaud, il tremble de tout son corps, sa poitrine se soulève au rythme de sa respiration saccadée. Très vite, les forces lui manquent. Il trouve encore le temps de faire quelques pas jusqu'à son lit avant de s'écrouler sur la courtepointe couleur rubis. Il s'étend sur le dos et contemple sans le voir le plafond de son lit à baldaquin. Lentement, son rythme cardiaque ralentit. Il peut sentir son pouls résonner à travers tout son corps : à l'arrière de son crâne, dans le creux de son cou, à l'articulation de ses poignets. Ça y est, elles arrivent. Deux petites pointes incisives qui lui brûlent les yeux. Des larmes.
Rageur, Albus balaye les traîtresses du plat de sa main. Il serre les lèvres, ferme les yeux, interdit au flot de larmes qui le submerge de passer la barrière de ses cils. Alors le jeune homme s'emploie à respirer profondément. Ses muscles se détendent, ses larmes retournent se tapir dans l'ombre, prêtes à s'échapper à la moindre faiblesse. Albus reste allongé sur son lit. Combien de temps, il ne saurait le dire. Une minute ? Une heure ? La journée entière ? Peu importe. Personne n'osera venir le chercher. Personne ne dérangera le fils d'Harry Potter.
De nouveau, Albus sent une pointe de colère, de douleur et de crainte transpercer son cœur à vif. Il se redresse d'un seul coup, les yeux grands ouverts, les mains crispées au couvre-lit par cette souffrance fulgurante. C'est si intense qu'il peut presque sentir son cœur saigner dans sa poitrine. Son dos se crispe, il baisse la tête et retient ses larmes du mieux qu'il le peut.
Albus est fort. Intelligent. Courageux. C'est un Gryffondor. Jamais il ne s'apitoie sur son sort, jamais il ne pleure lorsque quelqu'un d'autre peut le voir. Sans que lui-même ne se le soit jamais vraiment expliqué, il s'est toujours senti porté par l'ardeur de ses sentiments, par sa volonté sans faille et par sa droiture, son innocence d'enfant, trésor qu'il a su conserver.
Seulement voilà. Albus n'a que quinze ans. Sa mère, son frère et sa sœur sont morts. Son père est un meurtrier. Et quelques fois... la douleur est trop forte. Alors Albus craque. Dans ces moments là, son cœur lui fait l'effet d'une pelote piquée d'épingles. Comme si des milliers de lames rougeoyantes lacéraient sa poitrine toutes en même temps, déchiraient son cœur, rouvraient ses plaies jamais vraiment cicatrisées. Albus n'a que quinze ans, mais il a déjà vécu toutes les horreurs du monde. En dépit de toutes ses qualités, de l'ardeur qu'il déploie au jour le jour pour le simple fait de vivre, son âme est à jamais marquée par la souffrance. C'est comme une ombre attachée à ses pas, la mélancolie sur son visage fin, ce constant sentiment de tristesse qui hante ses prunelles d'émeraude.
Albus se bat pour survivre, pour garder espoir. De plus en plus souvent, les raz-de-marée le submergent, cherchent à engloutir quelques fragments de son âme avec eux, dans les abysses. Mais Albus est un jeune homme fort. Alors il se lève de son lit, rouvre la porte du dortoir, barricade son esprit, et se prépare, une fois encore, à affronter le monde.
La salle commune est encore déserte. Les cours doivent être commencés depuis longtemps. Albus consulte rapidement l'horloge suspendue au mur au-dessus de l'immense cheminée. À cette heure-ci, il devrait être en cours d'Histoire de la Magie. Jetant un rapide coup d'œil dans un miroir pour voir si la crise est contrôlée, il arrange sans succès deux mèches de cheveux noirs, puis il ramasse son sac qu'il a jeté dans un coin près de la cheminée et descend jusqu'à sa salle de classe.
Lorsqu'il entre, le professeur Binns, comme à son habitude, est au milieu de son monologue soporifique. Ce fantôme a un don pour rendre les guerres les plus épiques de l'histoire plus ennuyeuses qu'une chanson de Celestina Moldubec. Albus referme la porte en silence et gagne sa place au fond de la salle. Binns n'a même pas remarqué son intrusion. Il n'a de toute façon même pas remarqué qu'il était absent.
« Ça va, Albus ? »
Le jeune homme sort ses affaires et se tourne vers son voisin de gauche. Son meilleur ami de toujours. Sean.
- T'inquiète pas, répond Albus en évitant son regard. Je contrôle.
- Tout le monde sait que ce n'est pas de ta faute, Albus...
- Je sais. Merci.
Albus ouvre son livre, déroule un rouleau de parchemin et se plonge avec assiduité dans le cours du professeur Binns. Peu importe le sujet, peu importe la matière, sa prise de notes est toujours exemplaire. Concentré, aucune autre pensée ne peut atteindre son mental.
Une sonnerie stridente délivre les élèves un peu plus d'une heure plus tard. Emboîtant le pas à Sean, Albus se laisse porter par le flot qui s'écoule de toutes parts pour rejoindre la Grande Salle. Il est midi. Quatre heures trente se sont écoulées depuis la nouvelle de l'assassinat de Kingsley Shacklebolt. Il est temps pour Albus d'affronter ses pairs.
Dés qu'il entre dans la Grande Salle, tous les regards se tournent vers lui. Albus se redresse et regarde droit devant lui, la tête haute. Il n'a rien fait de mal. On ne peut pas lui reprocher les crimes de son père. La souffrance que la Gazette lui inflige chaque jour est déjà bien suffisante.
À la table des Gryffondors, il repère son cousin, Hugo, et sa cousine Rose, un peu plus âgée que lui. Après l'évasion de son père, la garde d'Albus avait définitivement été confiée à son oncle et sa tante, Ron et Hermione Weasley. Aussi, depuis deux ans, Albus partage-t-il la vie de Hugo et de Rose, frère et sœur de substitution. Le jeune homme ferme les yeux une fraction de seconde. James et Lily lui manquent. Il donnerait n'importe quoi pour les revoir. Pour serrer sa mère contre son cœur comme il aimait tant le faire il y a encore deux ans à peine. Mais par-dessus tout, c'est son ancienne vie qui lui manque. Sa vie à Lewisham, quand il pouvait encore jouer au Quidditch avec son père dans le jardin, lui parler, l'écouter raconter ses aventures incroyables et sans cesse admirer son courage, sa bonté, son amour incommensurables. Quand Harry Potter était encore le héros du monde sorcier. Quand il avait encore une âme. Albus ne l'avouerait pour rien au monde, mais quelque part au fond de son cœur, par-delà la colère, la douleur, la révolte et la crainte, son père lui manquait.
Albus chasse le visage de l'Élu de son esprit. Il enjambe le banc des Gryffondors et prend place à côté de Rose. La jeune fille n'a pas hérité des cheveux flamboyants de son paternel. Sa crinière ondoyante et emmêlée ne laisse aucun doute quant à l'identité de sa mère, et ses yeux noisette brillent de la même lueur d'intelligence mutine. Dés qu'il se tourne vers elle, elle lui prend la main et esquisse un faible sourire :
- Hey... Comment tu te sens ?
- Ça ira, Rose. C'est gentil de t'inquiéter. C'est pas comme si c'était la première fois ...
La jeune fille presse un peu plus ses doigts entre les siens puis désigne les plats alignés devant lui :
- Allez, mange. Tu n'as rien avalé ce matin.
- Comment veux-tu que je mange quelque chose ? Après ce qu'il a fait...
Rose le fixe sans cacher son inquiétude :
- Tu n'y peux rien, Albus. Pas encore. Les vacances approchent, l'Ordre se réunit très bientôt. Nous ferons tout pour mettre fin à ce cauchemar.
Albus acquiesce sombrement, en fixant son assiette immaculée.
- Mais pour l'instant, il faut que tu gardes tes forces. Alors fais-moi plaisir. Mange au moins un peu de viande.
Le jeune homme lève les yeux sur elle et la regarde, un soupçon de sourire naissant malgré lui au coin des lèvres :
- Tu sais que tu es diabolique ?
Rose lui rend son sourire et ses yeux pétillent d'autant plus :
-Je ne serais pas une Weasley si je ne l'étais pas.
Elle lui fait un clin d'œil, et sans lui laisser le temps de protester, remplit son assiette de tous les aliments possibles et imaginables. Albus éclate de rire et lentement, sa peine et sa douleur refluent. Rose est un soleil à elle seule.
Petit à petit, le bruit des conversations s'élève, la tension s'allège, et les uns après les autres, les regards se détournent. Bientôt Albus, Sean, Hugo et Rose sont rejoints par leurs camarades de chambrée, et l'amitié aidant, le reste de la journée s'annonce, si ce n'est heureux, au moins un peu moins dramatique.
Jusqu'à ce qu'ils arrivent. Deux hommes dans leurs robes de sorciers noires et une femme, vêtue d'un tailleur gris. Ils franchissent les portes de la Grande Salle et aussitôt, le volume sonore retombe à zéro. Les trois inconnus s'avancent sans prêter attention à la foule d'élèves qui les dévisagent. Ils s'arrêtent devant la table des professeurs. La femme échange quelques mots avec McGonagall, directrice de Poudlard, sans que personne d'autre ne puisse les entendre. De là où il se tient, Albus peut voir les traits de l'ancienne directrice des Gryffondors se décomposer. Il enfouit son visage dans sa paume, le coude appuyé contre le bois de la table. Que s'est-il encore passé ?
McGonagall se racle la gorge. Elle fixe une dernière fois les visiteurs comme pour chercher une quelconque confirmation, puis elle se lève et scrute étrangement les quatre longues tables d'élèves.
- Miss Elena Bishop ?
Une jeune fille de sixième année se lève de la table des Serdaigles, anxieuse.
- Approchez s'il vous plaît, dit McGonagall.
Il y a dans sa voix quelque chose d'étrange. L'adolescente remonte l'allée jusqu'à l'estrade et s'avance, timidement, aux côtés de la femme en tailleur gris. L'un des hommes en noir prend alors la parole et parle avec la jeune fille pendant de longues minutes. Des murmures commencent à s'élever aux quatre coins de la salle. Jusqu'à ce qu'un cri, déchirant, ne résonne contre les murs de pierre. Tous les regards se braquent sur l'estrade, quelques élèves se lèvent même de leur place pour mieux voir. Elena Bishop s'est effondrée sur le sol. Elle hurle, elle tremble de tout son corps, elle serre les poings à s'en briser les ongles. McGonagall, impuissante, fait rapidement le tour de la table et l'aide à se relever. Elle confie l'adolescente aux deux hommes en noirs qui la soutiennent pour lui faire descendre l'allée centrale. McGonagall les regarde, désemparée, son masque de froideur ne suffisant pas à dissimuler son émotion.
À moitié appuyée sur l'un des hommes en robe de sorcier noir, Elena traverse la Grande Salle entre deux sanglots. Jusqu'à ce que son regard croise celui d'Albus. Et là, distinctement, au creux de ses prunelles, quelque chose se brise. Elle s'immobilise net, se redresse de toute sa hauteur, et son visage inondé de larmes se crispe de haine :
- Lui ! C'est lui qu'il faut arrêter !
Albus la contemple sans comprendre.
- Ton père a tué mes parents, sale petite ordure ! Ton assassin de père s'empare du Ministère en toute liberté, il assassine mes parents pendant que toi on te laisse bien tranquillement étudier à Poudlard comme si de rien n'était !
Folle de rage, Elena crie à travers toute la Grande Salle qui assiste sans rien dire à cette scène surréaliste. Albus dévisage la jeune fille qui ne cesse de lui hurler au visage. Il ne sait pas comment réagir. Toute la culpabilité qu'il s'était efforcé de refouler retombe en masse sur ses épaules. En un sens, cette fille a raison. La situation est injuste. À cause de son père, elle est en train de vivre le pire drame de sa vie. Harry Potter a tué ses parents. Et lui, Albus Potter, est autorisé à vivre.
- Enfermez-le ! s'écrie Elena en agrippant l'un des hommes par les épaules. Allez-y ! Pourquoi vous ne l'utilisez pas comme appât ?! Potter a tué mes parents, il faut qu'il paye ! Prenez-lui son fils ! Allez-y, prenez son fils ! Tuez-le, faites-le souffrir, tuez son fils !
Sans prévenir, la jeune fille fond de nouveau en larmes :
- Il m'a pris ma famille ! C'est tout ce qu'il mérite !
Elle relève un instant les yeux sur Albus qui l'observe sans rien dire, bouleversé au-delà du possible.
- C'est tout ce que tu mérites ! crache-t-elle. Potter...
Soudain, l'un des hommes passe un bras autour de la taille d'Elena et entraîne la jeune fille criant et sanglotant en dehors de la Grande Salle. Des dizaines de voix s'interpellent de part et d'autres des quatre tables. Seul au milieu de ce chaos dévastateur, Albus n'entend pas la voix de Rose qui le secoue par l'épaule pour qu'il reprenne ses esprits. Tout ce qu'il entend ce sont les mots d'Elena Bishop, qui tournent encore et encore dans sa tête :
« Tuez-le, faites-le souffrir, tuez son fils ! »
Une petite voix, sournoise, insidieuse, se met à susurrer dans un coin de sa conscience. En regardant Elena Bishop sortir de la Grande Salle, une seule chose lui vient à l'esprit. Ces paroles, si dures, assoiffées de sang. Ces paroles de vengeance. Les mêmes que celles qui ont harcelé l'esprit de son père deux ans plus tôt. C'est à cause d'elles qu'Harry Potter a sombré. |