Il est très tôt ce matin-là. La chaleur sourde de la terre comme un prélude à l'enfer qui s'annonce. L'aube rouge déchire le ciel, fait naitre ce jour à l'existence, dans le chaos le plus total. Et le silence. Aucun bruit n'anime la petite ville d'Oldtown. La maison Weasley demeure figée, écrasée par les ombres de ce matin d'été. C'est à peine si au loin, une petite brise souffle sur les champs de lavande, apportant un étrange parfum à ce panorama. Le monde semble au seuil du basculement. Dans l'attente de savoir si le Soleil réapparaitra bel et bien, ou s'il retournera au vide, en engloutissant tout. Lorsque Drago Malefoy transplane ce jour-là, le craquement se répercute contre les flancs des vallées encaissées, et c'est comme si les morts brisaient tous leurs os pour prévenir de sa présence.
Une dizaine d'Aurors se manifestent aussitôt, et l'alarme Moldue retentit. Malefoy n'y prête pas attention. Il laisse tomber sa baguette et lève les deux mains. Il a transplané à la lisière des champs de lavande. Ceux-là même où Harry s'est enfoncé dans la neige quelques mois plus tôt.
Malefoy attend que les Aurors fassent cercle autour de lui. De là où il se trouve, il voit la porte de la maison s'ouvrir, et Ronald Weasley transplane devant lui :
- Malefoy ?!
Visiblement, les Aurors sont là pour monter la garde au cas où Harry retenterait une visite. Pourtant, une fois qu'il n'y a plus de doute possible, une fois que Malefoy s'est révélé en pleine lumière, les baguettes ne se baissent pas pour autant. Weasley, surtout, plisse les yeux dans la clarté du levant, incapable de croire à ce qu'il voit :
- Qu'est-ce que tu fiches ici ?
- Je t'en prie, Weasley. Cesse de pointer ta baguette sur moi. On sait tous comment ça s'est terminé la dernière fois.
Weasley devient rouge à la lumière du Soleil. Le souvenir des limaces doit encore être cuisant. Malefoy ajoute avant qu'il n'ouvre la bouche :
- Tu crois que ça me plait de venir voir ta sale face de rat ? Si j'avais voulu tenter quelque chose contre toi, tu crois que je me serais pointé en plein jour devant ta baraque ?
Agacé mais maitrisé, Weasley fait signe à ses collègues de baisser leurs baguettes :
- Qu'est-ce que tu veux ?
On sent dans sa voix tout le mépris possible. Un craquement les interrompt : Hermione Weasley vient de transplaner aux côtés de son mari :
- Tiens, ma Sang-de-Bourbe préférée, lance Malefoy. Ça faisait longtemps.
C'est d'abord un étrange mélange de soulagement et de déception qui se peint sur le visage d'Hermione. Déçue et soulagée que leur visiteur ne soit pas Harry. Puis, dissolvant instantanément sa surprise, elle répond sans rancœur :
- Je croyais qu'on avait dépassé tout ça, Malefoy.
Le silence plane quelques instants. Drago observe la jeune femme sans que personne ne puisse déceler ce qu'il pense. Seuls Ron, Hermione et Drago peuvent comprendre ce que ces paroles impliquent. Toujours cet épisode dans la Salle sur Demande. Toujours ce statut quo qui s'est instauré entre eux, sans qu'ils ne l'admettent jamais de plein front. Malefoy ne poussera pas la limite au point de s'excuser :
- J'ai des informations pour vous, dit-il à la place. Potter est venu squatter chez moi depuis deux jours.
Ron ne peut retenir un rire sans joie :
- Tu déconnes ? S'il y a bien une personne sur Terre qu'Harry n'a pas envie de voir, c'est bien toi.
- Il a appris qu'Antonin Dolohov était venu frapper chez moi il y a deux mois de ça, réplique Drago.
- Dolohov ?
- Oui, Dolohov. C'est lui que Potter recherche. C'est pour ça qu'il massacre tous les Mangemorts un par un depuis des mois.
- Qu'est-ce qu'il a sur lui ?
- Tu es vraiment sûr que tu es Auror, Weasley ? Qu'est-ce que Potter peut bien lui vouloir à ton avis ? C'est Dolohov qui a monté le coup pour le Furosensis.
- Comment est-ce que tu peux le savoir ?
Malefoy soupire d'impatience :
- Je le déduis. Potter m'a agressé chez moi en pleine nuit pour me demander où il était. Il a assassiné Travers et Rowle, qui étaient ses complices avérés. Et puis, vu que la moitié de sa bande de tarés s'est installée chez moi, je pense pouvoir dire que je suis un peu au courant.
- Ils ont fait quoi ?
- Potter s'est entouré de deux lieutenants. Un mec bizarre qui s'appelle Ethan, et une salope blonde qui s'appelle Joanna.
- Joanna Chalmers, oui, acquiesce Ron. On a failli l'interpeler il y a quelques mois. Harry était chez elle.
- Vous n'êtes vraiment qu'une bande d'incapables... Je n'arrive pas à croire que je risque ma vie en venant vous parler.
Hermione hausse les sourcils, mais il ne leur laisse pas le temps de poser des questions :
- Cette Joanna a décrété qu'ils avaient besoin d'un QG, et que ma baraque ferait parfaitement l'affaire.
A ce stade du récit, Ron lève les mains :
- Attends un peu. Je comprends rien.
- Voilà un merveilleux résumé de ton existence.
- La ferme. Harry s'est pointé chez toi en pleine nuit, avec ses lieutenants, pour te demander où était Dolohov ?
- Oui.
- Et toi, tu savais où il était ?
- Je lui ai dit. J'ai foutu Dolohov à la porte. Je ne voulais pas de lui chez moi.
- Et Harry ne t'a pas... torturé ?
- Je crois que ce n'est pas l'envie qui lui manquait. Ma femme et mon fils étaient ligotés dans la même pièce que moi. Avec cette cinglée de Joanna qui menaçait ma femme. J'ai dû improviser.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
Hermione ne dit rien, mais Malefoy voit au regard qu'elle lui lance qu'elle commence à comprendre :
- Je sais où Dolohov se cache, dit-il. A Little Hangleton. Je l'ai dit à Potter, et je lui ai fait comprendre que j'étais de son côté.
- Tu as fait quoi ?
- Laisse-moi finir ! Mets-toi un peu à ma place, Weasley. Je lis la Gazette, je bosse au Ministère. Je sais ce que Potter a fait à tous les Mangemorts qu'il a retrouvés. Dans son esprit, je ne suis pas sûr qu'il fasse encore la différence entre moi et Dolohov. Il aurait pu me tuer, il aurait pu torturer mon fils sous mes yeux. Comme ce qu'il a fait à Edwin Rowle. Il croyait que j'avais abrité Dolohov. Il était à deux doigts de me tuer. Il en avait envie. Le seul moyen que j'avais pour m'en sortir, pour sauver ma famille, c'était de lui faire croire que j'étais à fond avec lui.
- Harry ne goberait jamais un truc pareil...
- Putain, ferme-la ! Tu-Sais-Qui a détruit ma famille ! Il m'a mutilé de sa marque alors que je n'étais qu'un gosse ! J'ai toutes les raisons d'en vouloir au Ministère pour avoir relâché ces salopards de Mangemorts encore une fois ! J'ai toutes les raisons de vouloir les voir morts ! Je n'ai pas menti à Potter. Dolohov est venu chez moi, et la seule chose qui m'a retenu de le tuer, ou de le livrer aux Aurors, c'est que je ne voulais pas être mêlé à tout ça ! J'ai déjà perdu suffisamment. Tu n'as pas idée de ce que c'est que de vivre sous mon nom, maintenant. Alors je t'interdis de me juger !
- Alors qu'est-ce que tu fous là, bordel ?! Pourquoi tu viens me voir, si tu es tellement d'accord avec lui !
Weasley tremble de tous ses membres dans le jour naissant. Et Malefoy demeure sans voix face à tant de fureur. Il échange un regard avec Hermione :
- Il est vraiment long à la détente, hein ?
Il n'y a plus de force pour la moquerie dans sa voix. L'arrogance masque sa peur.
- Tu lui as menti pour gagner du temps, dit alors Hermione d'une petite voix. A la première occasion, tu as transplané jusqu'ici pour nous le livrer.
Ron semble enfin prendre la mesure de ce qui se passe :
- C'est vrai ? s'exclame-t-il. Pourquoi est-ce que tu ferais ça ?
Malefoy pousse de nouveau un long soupir. Pendant un instant, il n'ose plus regarder les Weasley, les Aurors autour de lui. Il se perd dans la beauté du jour, qui dissimule l'angoisse au fond d'eux. Il articule ces mots comme s'ils lui faisaient mal :
- Parce que Potter est devenu complètement cinglé. Il ne devrait pas être comme ça.
Ebahi, Ron s'apprête à faire une remarque mais Hermione l'en dissuade.
- Cette affaire lui est complètement montée à la tête, poursuit Malefoy dans le vide. Sa petite armée est en train de le transformer, et il ne s'en rend même pas compte. Je ne veux pas que l'histoire se répète.
Il trouve enfin le courage de regarder Weasley dans les yeux :
- Potter va attaquer Dolohov à Little Hangleton dans deux semaines. Je sais où, quand, comment, je peux tout te dire. Tu dois l'arrêter.
Les lavandes frissonnent dans la brise chaude. Lorsque Weasley veut répondre, c'est Hermione qui fait un pas en avant :
- On ne peut pas, dit-elle.
- Comment ça ? crache Malefoy.
- On ne peut pas l'arrêter maintenant. Le peuple entier est avec lui. Le monde sorcier le voit comme un héros. A l'inverse, le Ministère est fragile, peut-être encore corrompu, et plus personne ne lui fait confiance. Même pour Shacklebolt, c'est difficile. Tu ne comprends pas, Malefoy ?
Avec toute la douceur possible, Hermione énonce cette vérité toute simple :
- Si on arrête Harry maintenant, ou pire, si on le tue... Si le Ministère intente la moindre action contre lui... On ira droit à la guerre civile. Le peuple ne tolèrera pas que l'on s'en prenne à l'Elu alors que les Mangemorts sont encore dehors. Il nous renversera, et Harry n'aura plus qu'à prendre le pouvoir.
- Harry n'a jamais voulu ça, intervient Ron.
- Qu'il le veuille ou non, il en a pris le chemin, objecte Hermione. Ses partisans le porteront au pouvoir, et il sera libre de se lancer dans ses purges meurtrières. Libre de reprendre Albus.
Ron mesure la portée de ces paroles. Mais Malefoy ne l'entend pas de cette manière :
- Vous voulez dire que vous n'allez rien faire ?
- Nous devons d'abord renverser l'opinion publique contre lui, répond Hermione. Il faut faire réaliser aux gens la menace qui pèse sur eux. Leur faire voir les horreurs qu'il a commises, les similitudes entre Voldemort et celui qu'il est en train de devenir.
- Et comment tu comptes t'y prendre, Granger ? Tu l'as dit toi-même, le peuple l'adule. Même moi je ne cracherais pas contre la mort de Dolohov.
- Je me fiche que Dolohov vive ou meurt. Au point où nous en sommes. Pour Little Hangleton, nous ne pouvons rien faire. Tu es sûr que c'est bien lui qui est derrière le Furosensis ?
- C'est lui, Potter me l'a confirmé. Mais Dolohov n'aurait jamais agi de lui-même. C'est un mercenaire. Il a forcément reçu des ordres.
- Là n'est pas la question. A quel point Harry te fait-il confiance ?
Malefoy se fend d'un rictus :
- Il me déteste toujours autant, si c'est ça que tu insinues. Mais je crois qu'il me fait confiance. Etonnemment, ça le rassure de revoir un visage familier.
- Bien. Il va t'emmener à Little Hangleton ?
- Pour rien au monde je ne mettrais les pieds là-bas !
- Il le faut.
Hermione s'avance pour affronter Malefoy dans les yeux. Elle peut voir la glace se fissurer dans ce regard si gris :
- Harry va tuer Dolohov. Admettons qu'il lui fasse avouer qui a commandité les meurtres. Ça veut dire que d'ici quelques semaines, Harry aura trouvé le meurtrier de sa famille, et qu'il l'aura exécuté. Pourtant, je ne crois pas qu'il va s'arrêter. Il a mis quelque chose en marche, Malefoy. Punir les responsables de la mort de sa famille ne lui suffit plus. Il va se trahir. Et nous avons besoin d'un témoin pour dire la vérité aux gens.
- Tu ne penses pas à ...
La colère étouffe les mots de Malefoy dans sa gorge :
- J'ai menti pour protéger ma famille ! Je suis venu vous voir pour que vous l'arrêtiez, et pour que vous éloigniez ces tarés de la chambre de mon fils ! Je ne jouerai pas ce rôle une seconde de plus !
- Malefoy...
Médusé, Ron suit le cours de la conversation, mais la colère de Malefoy éclate :
- Je refuse de revivre ça encore une fois ! Le seigneur des ténèbres, les disciples, tous marchant libres comme l'air dans ma propre maison ! Je refuse de faire entrer ça dans la vie de mon fils ! Je ne lui ferai pas subir ce que j'ai subi ! La terreur, la souffrance et la mort... Je refuse de vous servir d'indic !
- Les vacances d'été se terminent dans deux jours, intervient Weasley. Tu n'as qu'à envoyer Scorpius à Poudlard, et l'y laisser le reste de l'année. Il sera en sécurité.
- Pourquoi je devrais faire ça pour vous ?
Hermione répond timidement, mais dans sa bouche, cela sonne comme une évidence :
- Ce n'est pas pour nous que tu le fais, ni même pour toi. Tu l'as dit toi-même. Harry ne devrait pas être comme ça. Nous devons protéger notre monde, bien sûr. Mais nous devons surtout le sauver de lui-même.
Elle hésite un instant, puis lui prend les mains. A sa grande surprise, Malefoy ne se dérobe pas :
- Je t'en prie. Je sais que c'est dangereux, et que tu ne nous dois rien. Mais nous avons besoin de toi. L'opportunité que tu nous offres est inespérée. Nous allons tout faire pour renverser l'opinion publique, je te le promets. Nous ferons aussi vite que possible, pour que cela ne dure pas. Mais tu es la seule personne qui puisse nous permettre de l'atteindre.
Malefoy est comme captivé par la tension qu'il sent dans la voix de la jeune femme. Weasley, lui n'arrive toujours pas à en croire ses yeux. Hermione murmure :
- Aide nous, Drago. Nous devons le ramener.
Et Malefoy ne sait plus ce qu'il ressent. Le Soleil se lève sur le drame qui entache leurs vies. Il se rappelle sa haine et son dégoût pour Granger, une haine plus ténue envers ses parents, la vague conscience, juste sous la surface, que ces jugements de valeur étaient absurdes. L'émotion noue sa gorge. Il a peur pour sa famille, peur pour sa vie. Peur du démon qui vit désormais entre ses murs. Son vieil ennemi lui manque, même s'il ne le reconnaitrait jamais. Une étrange nostalgie envers une époque où leurs relations étaient claires, nettes, sans ambiguïtés. Mais surtout, Malefoy ressent l'appel du devoir. Une émotion qui ne l'a plus étreint depuis si longtemps. Une émotion qui le terrasse, le détruit, et ranime en même temps un espoir perdu tout au fond de son cœur. L'espoir de se racheter.
Ce jour-là, sans en prendre pleinement conscience, Malefoy choisit de se laver des crimes qu'on lui a reproché, des crimes qu'il s'est lui-même reproché. Pour lui, et même pour Potter, il veut faire rentrer les choses dans le droit chemin. Revenir aux places qui auraient dû être les leurs.
Ce jour-là, Drago Malefoy devient membre de l'Ordre du Phénix.
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