Chapitre de Torajio !
Bonne lecture
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UN NOUVEL HERITIER POUR L'OBSCURITE
C'est tôt dans la matinée que les Aurors ont découvert un spectacle macabre. Au beau milieu de l'Allée des Embrumes, quartier peu recommandable de la capitale sorcière, une maison entière a été réduite en cendres en l'espace de quelques heures cette nuit. Entre les poutres de la charpente carbonisées et les braises encore chaudes, dix-huit anciens Mangemorts calcinés et écrasés sous les débris ont été retrouvés. Un témoin, l'une des victimes, a pu délivrer une information troublante à l'un des Aurors chargés de l'enquête, Ronald Weasley, avant de rejoindre le bilan des morts. Il semblerait en effet que l'incendie soit de nature criminelle : il s'agirait d'une attaque ciblée, et l'auteur de ce massacre ne serait autre qu'Harry Potter ! « Nous avons formellement pu identifier des preuves matérielles de la présence d'Harry Potter sur les lieux, et ce avant la déclaration de l'incendie » déclarent les enquêteurs. « Nous ne pouvons encore rien avancer sur les motivations de cette attaque, mais nous pouvons affirmer sans grand doute que l'Élu est bien l'incendiaire. »
Il n'est plus un sorcier aujourd'hui qui n'ait eu connaissance du terrible drame qui a frappé la famille Potter il y a maintenant trois mois de cela. Cependant, personne ne soupçonnait alors ce que cette tragédie allait entraîner : Harry Potter devenu l'auteur d'un incendie barbare et faisant preuve d'une rare violence, au vu et au su de tous. Ayant agi dans la nuit dans la discrétion la plus totale, l'Élu n'a laissé derrière lui aucun témoin qui pourrait donner des éclaircissements sur ses motivations, ou simplement sur la présence d'éventuels complices. L'ancien héros n'a laissé que mort et désolation sur son passage. Se pourrait-il que plus de vingt ans après sa défaite, Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom ait passé le flambeau à celui qui l'a vaincu ? Harry Potter serait-il l'héritier du mage noir ?
XXX
De retour au présent...
Albus soupire longuement après avoir relu la page de l'album où la coupure de presse est soigneusement collée. Avec toutes les autres. Ces pages de la Gazette qui relatent les morbides exploits de son père. Celle-ci était la première de l'histoire. Celle qui marquait le début d'un enfer qu'il pense avoir connu depuis le jour où son père a débarqué dans sa chambre le regard vide et meurtrier. C'était à partir de cet article qu'Harry était vraiment devenu celui que l'histoire devait appeler l'Héritier, le nouveau monstre que tout le monde craignait, celui qui reprenait le règne de terreur de Lord Voldemort.
Albus tourne la page, et se retrouve face à la lettre que son père lui a laissée à Gringotts, presque deux ans plus tôt. Il l'avait trouvée posée devant une montagne scintillante dans son nouveau coffre, quelques jours après la parution de l'article. Il était alors venu faire un mince retrait, et avait perdu pied devant les explications du gobelin. Harry, son père, était entré dans Gringotts et avait à visage découvert demandé le transfert de sa fortune vers le coffre de son fils. Des larmes avaient coulé sur le parchemin avant qu'il ne parvienne à l'ouvrir, partagé entre des sentiments contradictoires qui animaient son esprit et le perdaient dans la confusion. Il avait tellement attendu l'arrivée de ces nouvelles... mais il les avait également tellement redoutées. Lorsqu'il les avait enfin eu en main, cela lui avait cruellement rappelé tous les soirs, toutes les nuits où la douleur et la solitude avaient eu raison de lui. Toutes ces larmes qu'il avait versées pour sa mère, son frère et sa sœur. Et pour son père. Il ne savait pas à l'époque qu'il lisait là les dernières paroles qu'il lui adresserait jamais.
Mais quand il avait enfin lu la lettre, après tout ce temps à l'attendre, il avait regretté de l'avoir ouverte et de l'avoir lue. Lui qui voulait des mots de réconfort, des mots d'espoir, il n'avait trouvé que des mots de haine et de vengeance qui essayaient de se faire passer pour de l'amour et de la justice. Mais pourquoi devait-il faire ça ? Pourquoi son père l'avait-il abandonné, lui la dernière chose qu'il lui restait, pour partir en quête d'une vengeance illusoire ? Il ne récupérerait pas ce qu'il avait définitivement perdu, pourquoi partait-il à sa recherche malgré tout ? Albus avait maudit son père de se focaliser sur ce qu'il n'avait pas, de ne vivre que pour les morts, en oubliant les vivants. Albus avait déchiré le parchemin si friable qui avait ruiné ses espoirs, et pleuré sur ses morceaux, à genoux sur le sol. Puis il les avait recollés, décidé à ne pas perdre lui aussi ce qu'il avait en espérant ce qu'il n'avait pas.
Albus referme l'album. C'en est trop, comme à chaque fois, les larmes menacent de rejaillir à nouveau. Papa. Ce mot avait-il encore un sens pour son père lorsqu'il l'avait écrit ? En avait-il encore pour le jeune garçon ? Il ne peut pas pleurer ici, pas maintenant. Il doit se montrer fort, solide, assuré. Même si ce n'est qu'une façade. Il a la certitude au fond de lui-même d'avoir trop souffert pour être réellement aussi dur qu'il en a l'air. Ce n'est rien de plus qu'un masque qu'il présente à la face du monde.
Albus sèche ses yeux brillants du revers de sa manche lorsqu'une voix retentit plus bas, de l'autre côté de la porte :
- Albus ! Viens !
C'est la voix de Rose, sa cousine, la fille de Ron et Hermione. Albus range le lourd album dans la boîte en métal qu'il a dénichée quelques années plus tôt, et la glisse sous son lit. Il passe encore une fois ses vacances de Noël chez les deux meilleurs amis de son père, du moins l'étaient-ils à l'époque où ils avaient son âge. Ce sont eux qui sont chargés de sa garde désormais. Sa chambre est spacieuse, mais très dénudée. Malgré les efforts de toute la famille, Albus refuse obstinément d'aménager sa chambre en mezzanine. Le plafond incliné du toit s'ouvre en deux endroits sur des velux. Le plancher en chêne brillant réverbère sur les murs blancs la lumière orange des fins d'après-midi d'hiver. Le mobilier se résume à son lit et à une armoire en bouleau dans laquelle il range ses affaires.
Soupirant, Albus sort de sa chambre et rejoint le petit couloir de l'étage supérieur de la maison. Descendant les escaliers d'un pas lourd, respirant lentement pour calmer son cœur battant encore au rythme d'émotions qui le fragilisent, il les condamne dans une prison mentale. Elle ne tiendra pas longtemps, comme toujours, mais suffisamment pour ne pas perdre la face devant les membres de l'Ordre. Il songe avec amertume qu'il emprunte cet air rassurant que son père avait quand il devait affronter une affaire difficile...
L'escalier débouche directement sur la salle principale de la maison, une vaste salle à manger dans un style mêlant moderne et ancien, avec un mobilier en bois clair. Le carrelage noir reflète la tapisserie orangée et le plafond blanc, là où il n'est pas recouvert par un large tapis fait main aux ornementations discrètes. Des assiettes décoratives et des objets divers et variés aux motifs arabisants parsèment les murs. Un petit lustre argenté est suspendu au-dessus de la table, diffusant une douce lueur diaphane à travers la pièce. Une large baie vitrée s'ouvre sur un parterre couvert de neige à cette époque de l'année.
Quand Albus arrive dans la pièce, Hermione s'assoit au bout de la table aux côtés de Ron. Assis à la droite de ce dernier, George, Angelina, Bill et Fleur Weasley discutent à voix basse. À la gauche d'Hermione, Neville Londubat regarde la petite assemblée d'un air grave, alors qu'Hannah Abbot le fixe avec insistance, sa main crispée sur la sienne. Arthur et Molly Weasley viennent d'arriver, en même temps qu'Albus, et rejoignent les deux dernières places à côté de Minerva McGonagall. Devant la baie vitrée, Hagrid impose son ombre à Dean Thomas, Seamus Finnigan, et Luna Lovegood, laquelle fixe le lustre avec un intérêt non feint. Les enfants de Ron et ceux de George, Rose, Hugo, Fred et Roxanne, tous cousins d'Albus, se disputent une place sur le fauteuil à côté de l'escalier. Enfin, dans un coin de la pièce, Victoire, la fille de Bill et Fleur, murmure à l'oreille de Ted Lupin des mots inintelligibles.
Albus s'assoit à côté de McGonagall sur la chaise qu'elle lui réserve. Alors Arthur Weasley se lève, s'éclaircit la voix pour faire taire les murmures qui tournent autour de la table. Le silence venu et l'attention de tous redirigée sur lui, il prend la parole d'un air grave, un léger froncement de sourcils trahissant un trouble inhabituel pour lui. Ce qu'il a à annoncer lors de cette réunion ne lui plait guère.
- Comme vous les savez tous, depuis la dernière fois que nous nous sommes réunis, il s'est passé un certain nombre de choses dans notre monde, commence-t-il. Et parmi ces choses, et c'est de loin la plus importante, l'assassinat de Kingsley Shacklebolt. Notre Ministre de la Magie, mais surtout...notre ami.
Arthur se tait. Personne ne parait surpris. Tout le monde est déjà au courant depuis longtemps. Il déglutit, puis reprend :
- C'est Harry qui l'a tué. Et vous savez ce que ça signifie. Vous savez tous ce que ça signifie. Harry a pris beaucoup d'importance depuis un an et demi. Il s'est construit une armée de partisans qui inspire plus que jamais la plus grande crainte. Sans Ministre de la Magie, le pouvoir est vacant. Et personne n'osera lever le petit doigt pour empêcher Harry de s'en emparer. Il est devenu puissant, plus puissant que n'importe qui. Plus puissant que ne l'a jamais été Vous-Savez-Qui...
Le silence se fait lourd dans la pièce, les secondes s'égrènent comme autant d'éternités. Arthur avise les visages baissés des membres de l'Ordre en se forçant à garder la tête haute, à ne pas laisser transparaître le malaise qui l'habite. Il aurait souhaité ne jamais avoir à admettre ce que tout le monde a d'ores et déjà compris :
- Harry menace le monde sorcier tout entier. On ne peut pas compter sur lui pour autre chose qu'instaurer la terreur et la tyrannie. On ne peut plus se permettre de regarder les événements se dérouler sans rien faire.
Son discours est terminé. Pour une fois il ne veut pas s'étendre, pas sur ce sujet. Il se rassoit, soulagé d'en avoir terminé, mais son cœur bat encore à plein régime, appréhendant la suite du débat. L'Ordre du Phénix est dans l'impasse, et bien qu'aucun ne veuille se résoudre à l'évidence, encore moins l'exprimer, tous savent qu'il n'y a désormais plus qu'une seule solution. Minerva McGonagall rompt le silence d'une longue inspiration censée l'encourager, attirant de ce fait les regards de la tablée. Les yeux baissés sur la table mais la tête droite, elle annonce résignée la vérité que tout le monde redoute :
- Nous avons perdu Potter, dit-elle. Nous avons tout tenté, nous avons gardé espoir pendant tout ce temps, mais ...rien que nous pourrions faire ne le ramènera plus désormais. Il faut... éliminer l'Héritier.
Ron esquisse un geste pour se lever, mais Hermione le retient et le force à se rasseoir, laissant ainsi loisir aux regards inquiets des membres de l'Ordre d'emplir la pièce d'un malaise certain.
- Harry a les pleins pouvoirs sur tous les sorciers maintenant, fait Luna sans quitter le lustre des yeux, comme à demi absente, affichant un sourire vide et inexpressif comme façade à sa rêverie permanente. Il va vouloir qu'Albus lui soit rendu.
Elle pose alors un regard compatissant sur Albus, sortant de son rêve quelques instants pour lui communiquer un peu de ses émotions si indéchiffrables. Sa remarque a jeté sur la discussion un froid glacial. Une tension palpable s'est instaurée entre et envers toutes les personnes présentes, comme une immense toile d'araignée qui les aurait tous reliés pour les avertir du moindre mauvais geste de l'un ou de l'autre, prêts à se jeter sur celui qui expliciterait ce que la remarque de Luna sous-tendait. Après un long silence oppressant, Seamus Finnigan prend enfin la parole :
- On pourrait...enfin, ce n'est qu'une idée mais... Luna a raison. On pourrait utiliser Albus pour...pour attirer Harry.
- Lui tendre un piège, c'est ça que tu veux dire ?! hurle Ron en bondissant de sa chaise, accompagné des paroles indignées des autres membres. Lui tendre un piège et lui planter ton poignard dans le dos ? C'est ça que tu proposes, espèce d'ordure ! Tu étais son ami, vous étiez tous ses amis ! Comment pouvez-vous... comment pouvez-vous renoncer, l'abandonner, le condamner ainsi ? Comment vous pouvez ne serait-ce que songer à le tuer ?!
- C'est la seule solution ! proteste Dean. On n'a plus le choix.
- Si je vous ai réunis il y a plus d'un an, c'était pour aider Harry ! L'aider ! Pas le tuer !
- Calme-toi Ron, fait Hermione, les yeux suppliants. Ça ne sert à rien...
- Me calmer alors qu'ils veulent utiliser Albus comme appât ? Ce n'est pas une solution ! Il y a un autre moyen, il y a toujours un autre moyen. Harry n'aurait jamais baissé les bras pour aider un seul d'entre vous, et voilà que vous voulez le mettre à mort !
- Ron !
Hermione tire violemment sur le bras de Ron pour le faire taire, mais celui-ci la repousse et fait un pas en arrière, renversant sa chaise au passage qui s'écrase bruyamment sur le carrelage. Sans accorder un seul autre regard à l'audience, il quitte la pièce en fulminant et sort de la maison. Le silence revient dans la pièce, la tension étant retombée d'un cran. Hagrid, en retrait de la discussion, essuie ses yeux humides de larmes qu'il retient avec difficulté. Les enfants restent assis et fixent le sol, un meuble, le plafond ou leurs mains, tout plutôt que de croiser le regard de qui que ce soit.
Hermione se lève lentement, tremblante, et s'avance vers la sortie, mais elle s'arrête nette lorsqu'Albus fait grincer sa chaise en se levant à son tour. Il se tient debout, droit comme un i, retenant sa respiration, un air grave fixé sur son visage sans sourire, ayant renoncé à tout sentiment pour demeurer lucide, à cet instant précis :
- C'est d'accord, dit-il d'une voix blanche, qui ne trahit pas le moindre doute. Je le ferai.
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