Chapitre de Natalea !
Bonne lecture.
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Le feu ronfle dans l'âtre. Les flammes tourbillonnent, s'enroulent sur elles-mêmes, de plus en plus haut, noircissant la pierre. Elles dévorent le bois qui git à leurs pieds. Sous la morsure incandescente du feu, l'écorce se fracture, craque, explose, s'écartèle, tombe en poussière. Enfin, l'épaisse planche de bois cède. Elle se fend, sur toute sa largeur, devient toute entière la proie des flammes, et les flammes la consument. Elles rongent, elles détruisent, et bientôt, il ne reste plus que du sang, et des cendres.
Seul, debout au milieu du salon de Lewison, Harry contemple le feu qui meurt à son tour, sans bruit. Il tient toujours la garde de l'épée dans sa main. Il la serre si fort qu'il peut sentir les reliefs du métal s'incruster dans sa chair. Les flammes mourantes projettent leurs jeux d'ombres et de lumière sur les trophées morbides de Lewison. Dans l'obscurité grandissante, les yeux vides des animaux empaillés sont autant de néants dans lesquels Harry se perd. Il baisse les yeux sur le sol. Le plancher craque sous ses semelles humides. Le sang de Lewison incruste les fibres du bois, comme pour souiller une dernière fois ce monde qu'il vient de quitter.
Sans même s'en rendre compte, Harry plante la pointe de la lame dans un interstice du plancher. Il lâche la garde. L'épée tombe lourdement sur le sol. Elle capture au passage un reflet du feu moribond. Harry reste là, il la fixe sans bouger, et son regard tombe sur le rebord de sa cape, imprégné d'un liquide tiède qui commence à sécher. Son visage se ferme. Encore une fois, il a du sang sur les mains. Du sang qui n'est pas le sien. Il faut qu'il sorte d'ici.
Sans se poser de questions, Harry s'enfuit du salon où le cadavre de Lewison baigne dans son propre sang, la tête rejetée en arrière, la bouche grande ouverte sur un cri qui ne viendra jamais. Il se retrouve dans un long couloir étroit, lambrissé de bois sombre, et pousse la première porte qu'il trouve. La cuisine. Instinctivement, Harry sort sa baguette, et la lueur tremblotante d'un candélabre chasse les ténèbres. Harry ne réfléchit pas. Frénétiquement, il retire sa cape. Dans sa précipitation, le tissu se déchire et tombe en loques sur le sol carrelé. Harry active le robinet. Il porte encore les vêtements avec lesquels il s'est enfui de l'asile : une sorte de jogging gris, rêche et sans forme. Rapidement, il passe le sweat au-dessus de sa tête et plonge son visage sous le jet glacé du robinet. Il ne prend même pas la peine de mettre l'eau chaude. Il faut qu'il se débarrasse de ce sang. Il ne supporte plus de le voir, de le sentir encrasser sa peau, incruster ses pores, ronger son être comme la rouille qui ronge le métal.
Le souffle court, Harry se redresse. Il frotte ses mains l'une contre l'autre pour éliminer les résidus coincés sous ses ongles, entre ses doigts, dans les lignes de ses paumes. Avisant un savon posé sur le bord de l'évier, il le prend et savonne sans pitié sa peau qui commence à rougir. Il frotte, rince et frotte encore, ses mains sont en feu, le savon se réduit entre ses doigts, ses mains sont à vifs et l'eau glaciale attaque l'épiderme qu'il meurtrit sans s'en rendre compte. Ses gestes se font de plus en plus fébriles. Il courbe le dos, se met à trembler, jusqu'à ce qu'une terrible douleur ne lui torde les entrailles. Harry fléchit, il s'incline sur le rebord de l'évier et l'eau froide sur son visage lui rend peu à peu ses esprits. Hébété, il arrête l'eau et contemple ce qu'il a fait à ses mains. Il y a de nouveau du sang qui se fraye un chemin sur ses paumes, mais cette fois, c'est le sien. Harry enfouit son visage dans ses mains. À cause de Lewison, il vient encore de se faire meurtrier. Il ne l'en déteste que plus.
Harry s'écarte du lavabo, passe une main derrière sa nuque pour chasser les gouttes qui dégoulinent dans son dos, quand soudain, il le voit. De surprise, il fait un bond en arrière et se cogne contre la pierre de l'évier :
- Nobbs !
Effrayé, le petit elfe rentre sa tête distordue dans ses minuscules épaules. Harry s'aperçoit que par réflexe, il a sorti sa baguette, et la tient pointée sur la pauvre créature qui le contemple de ses yeux délavés :
- Nobbs voulait seulement voir si vous alliez bien, Harry Potter.
Harry fronce les sourcils :
- Tu sais qui je suis ?
- Tout le monde sait qui vous êtes, monsieur. Vous avez toujours été très bon pour nous les elfes.
- Le ministre a fait voter une loi pour la libération des elfes de maison. Pourquoi travailles-tu encore chez Lewison ?
- Nobbs appartient à la famille Lewison depuis des années, monsieur. Il était déjà là quand monsieur Lewison n'était qu'un bébé. Quand Harry Potter a incité monsieur le ministre à libérer les elfes de maison, monsieur Lewison n'a pas déclaré l'existence de Nobbs, et Nobbs est resté un esclave...
Harry retient un reniflement de mépris :
- Lewison aura décidément été la dernière des pourritures...
- Nobbs est d'accord avec vous, monsieur, fait l'elfe en acquiesçant vigoureusement.
Malgré lui, cette scène arrache à Harry un semblant de sourire.
Quand soudain, la fatigue des derniers évènements le rattrape. Cela ne fait même pas deux jours qu'il s'est enfui de Sainte-Mangouste, mais il a passé le plus clair de son temps dans la pluie et le froid. Il a réussi à glaner quelques heures de sommeil en dormant sous un pont, en bordure de la route. La solitude qu'il a alors ressentie à cet instant précis, avec le vent qui s'engouffrait sous ses vêtements trempés, mais surtout cette impression, terrible, abominable, de ne rien savoir de ce qu'il allait devenir, de ce qu'il allait faire, lui a rappelé l'année de ses dix-sept ans passée sous une tente, par monts et par vaux, à la recherche des Horcruxes de Voldemort. Seulement, aujourd'hui, Ron et Hermione ne sont pas là pour le soutenir. Ils doivent prendre soin d'Albus, tant que lui ne peut plus le faire.
Harry vacille. Aussitôt, Nobbs attire une chaise à lui qui vient rattraper l'Élu avant qu'il ne s'écroule. Harry ne maîtrise plus rien. Le souvenir de son fils vient littéralement de le briser. Il fond en larmes. Il n'en peut plus de ces pertes de contrôle... Depuis la mort de Ginny et des enfants, il se sent comme une sorte de radeau, un radeau minuscule, un jouet dérisoire, pris dans l'océan déchaîné de ses sentiments.
Il est constamment plongé dans une colère intense et froide. Ce n'est plus la haine démesurée de ses premières heures de cauchemar. C'est la rage insondable, la volonté glacée de celui qui est déterminé à se venger. Celui qui a fait le choix de la violence. Et lorsque cette ombre desserre un peu son emprise sur son âme, alors le souvenir de son fils lui saute à la gorge, et l'indescriptible douleur l'engloutit à nouveau. La souffrance fait remonter la colère à la surface, la colère exhume la souffrance de l'abyme. Le cycle infernal.
- Harry Potter doit se reposer, décréte Nobbs en passant une main sur le front d'Harry. Nobbs va vous préparer quelque chose à manger.
Harry entrouvre les yeux, inclinant sa tête en arrière, contre le dossier de la chaise. Il ne sait plus à quand remonte son dernier repas. Le fait de dîner dans la cuisine de l'homme qu'il vient d'assassiner ne le préoccupe plus. Il se sent tellement mal que tout le reste est secondaire. Le visage d'Albus l'obsède. Il voudrait pouvoir le serrer dans ses bras, le protéger, lui dire que tout ira bien et qu'il sera là désormais. Pendant un instant, il songe même à bondir de sa chaise pour aller le chercher. Ron et Hermione le laisseraient probablement l'emmener, non ?
Mais la réalité lui revient en pleine figure. S'il était à la place des Aurors, la maison de Ron et Hermione serait le premier endroit qu'il surveillerait. Non, Harry ne peut pas rejoindre Albus. Son fils a besoin de lui, il le sent, sa conscience le lui crie jusqu'au creux de son être, et le savoir sans pouvoir le rejoindre est la pire des tortures. Son enfant est seul. Son enfant a mal. Et lui n'est pas là. Car rejoindre Albus, cela reviendrait à se jeter dans les bras des Aurors. Et ça, il ne le peut pas. Pas encore. Pas tant que Ginny, James et Lily n'ont pas vengés. Le sang appelle le sang.
Harry est ramené à la réalité par l'odeur alléchante qui s'échappe d'une casserole posée sur le feu. Nobbs fait cuire des pâtes, et les appels désespérés de son estomac vide ont le mérite de l'arracher à ses pensées morbides. Ce qui lui reste de conscience lui envoie un flash back : le corps de Lewison, éventré, dans la pièce d'à côté. Harry l'ignore et ferme son esprit, sans aucun remord. Jamais il n'a autant haï un homme...et ce n'est même pas l'assassin de sa famille.
Avec un immense sourire, Nobbs dépose une assiette débordante de bolognaise devant ses yeux. Harry détourne le regard une fraction de seconde avant de se traiter lui-même d'imbécile. Il remercie l'elfe et mange sans faire attention à ce qu'il avale :
- Tu es libre maintenant, dit-il à l'elfe. Où vas-tu aller ?
- Nobbs a toujours rêvé d'aller à Poudlard, monsieur !
Harry a un sourire faible. Nobbs ne semble pas beaucoup regretter son maître. Lorsqu'il a fini de manger, Nobbs lui prend l'assiette des mains et désigne la porte :
- Il y a une salle de bain à l'étage si Harry Potter désire se laver. Il y a aussi des vêtements propres. Monsieur Lewison n'en aura plus besoin maintenant, ajoute-t-il avec un air vaguement sadique.
Harry sourit de nouveau à l'elfe et se lève. Harry monte l'escalier et trouve la salle de bain deux portes plus loin, sur la gauche. La maison toute entière suinte le mauvais goût. La salle d'eau est une grande pièce rectangulaire au papier peint millénaire. Il a dû être beige autrefois, mais tire à présent sur un marron des plus douteux. Le carrelage est également brun, orné de petites fleurs roses, et un pan entier du mur de gauche disparait sous un immense miroir aux fioritures baroques. Il y a une baignoire en marbre rose, titanesque, reposant sur des pieds en pattes de lion. Une sorte d'immense serpillère à fanfreluches, rose également, fait office de tapis de bain.
Harry referme la porte derrière lui, dégoûté. Songer à utiliser la baignoire de Lewison le répugne, mais dans sa situation, il ne peut pas se permettre de refuser un bain chaud. Il fait couler l'eau et se déshabille rapidement, soulagé de quitter ses vêtements de fugitif. Enfin, il se glisse dans l'eau chaude, et pour la première fois en deux mois, il ressent, si ce n'est de la sérénité, au moins un semblant d'apaisement. L'abyme a eu son tribu de sang pour cette nuit. Elle peut lui accorder quelques instants de répit, avant de reprendre le dessus...
Harry est épuisé. L'eau émet de petites volutes de vapeur autour de lui. Son estomac, rassasié, entame sa digestion. Sans qu'il ne s'en rende compte, Harry glisse dans le sommeil.
" Si tu ne réponds pas à mes questions, je te donnerai un aperçu de l'enfer. Je te ferai souffrir jusqu'à ce que tu en deviennes fou, jusqu'à ce que tu sois prêt à tout sacrifier pour m'arrêter. Tu seras tellement anéanti que tu n'auras plus la force de bouger un doigt ou d'articuler ne serait-ce qu'un seul son, et c'est dans tes pensées que je devrai lire ton désir de mourir. Tu m'imploreras de t'achever. Et cette ultime requête, je ne te l'accorderai pas. Je resterai près de toi, et je te regarderai expirer lentement, des heures, des jours s'il le faut, jusqu'à ton dernier soupir, te rappelant à chaque instant à quel point tu es seul, faible, et insignifiant. Et là seulement je partirai, abandonnant ce qui restera de ta misérable carcasse..."
Harry se réveille en sursaut. Il est aussitôt prit d'une violente quinte de toux qui le courbe en deux au milieu de la baignoire. C'est l'eau s'engouffrant dans ses poumons qui l'a réveillé. Harry s'est endormi, et a bien failli mourir dans la baignoire de Lewison... Si ce n'est pas ironique...
Passant une main devant ses yeux, Harry soupire, chasse les dernières images de son cauchemar. En se réveillant, il aurait juré avoir rêvé de Voldemort. Jusqu'à ce qu'il ne reconnaisse sa propre voix. Harry sent soudain une profonde douleur poindre à l'arrière de son crâne et écarte ces pensées de son esprit. Il sort de l'eau devenue froide, attrape une serviette – rose – et se sèche rapidement. Il l'enroule autour de sa taille et se met alors en quête de vêtements propres. Il retrouve sans problème la chambre de Lewison. Il y a une large commode en bois contre le mur en face de la porte. Harry ouvre les tiroirs, un à un, jusqu'à ce qu'il trouve ce qu'il cherche. Il enfile au hasard des sous-vêtements et un vieux T-shirt délavé, en essayant d'oublier à qui ils appartiennent. En s'éveillant dans son bain, Harry a pris sa décision. Il passera la nuit chez Lewison, à l'abri du froid, et le lendemain matin, il pourra mettre son plan en œuvre.
Harry abandonne la serviette rose sur le sol, contemple la chambre autour de lui et sort dans le couloir. Il ne peut pas dormir dans la chambre de cette ordure.
- Nobbs ? appelle-t-il depuis les escaliers.
- Harry Potter a besoin de quelque chose ? accoure l'elfe, tout sourire.
- Est-ce qu'il y a une chambre d'ami ici ?
L'elfe monte l'escalier et s'engage dans le couloir :
- Suivez Nobbs, monsieur.
Il conduit Harry jusque dans les entrailles de la maison. Lewison n'est pas à plaindre. Sa demeure ressemble plus à un manoir colonial qu'à une maison de banlieue. Nobbs arrive au terme d'un long corridor au tapis poussiéreux qui ne doit pas avoir été emprunté depuis des décennies. Il pousse alors la porte d'une petite chambre aux tons pastel, qui semble avoir été épargnée par la décoration Lewisonnienne. Des rideaux de lin transparents encadrent une large fenêtre aux rebords sculptés. Le mobilier est élégant et simple, taillé dans un bois presque blanc. Contre le mur de gauche, un grand lit à baldaquin offre sa courtepointe d'un joli bleu pâle à la lumière de la lune. Le sol en parquet flotté s'accorde avec le bois clair des meubles, et si le couloir qu'ils viennent de traverser était envahi de poussière, cette petite chambre, en revanche, semble avoir été entretenue régulièrement, avec beaucoup de soin. Il y a même un bouquet de roses blanches posé sur un petit secrétaire en face de la fenêtre.
- C'est la chambre d'ami ? demande Harry qui ne s'attendait pas à tant de raffinement venant d'un homme comme Lewison.
- C'était la chambre de Mme Lewison, monsieur.
- La mère de Lewison ?
- Non monsieur, sa femme.
Harry hausse un sourcil. Cette fois, il est réellement surpris :
- Je ne savais pas qu'il avait été marié.
- Madame ... était très douce, monsieur, murmure l'elfe. Elle n'est pas restée longtemps aux côtés de maître Lewison. Il était dans une rage terrible lorsqu'elle est partie...
Harry a sourire qui s'apparente plus à un rictus :
- Ça ne m'étonne pas de lui. Lewison pourrissait tout ce qu'il touchait. Qui aurait bien pu vouloir vivre avec lui ?
Harry fait le tour de la chambre. Elle est calme, apaisante. Il se sent bien ici :
- Bonne nuit Nobbs, dit-il à l'elfe. Merci encore pour tout.
- C'est normal, Harry Potter. Nobbs est libre maintenant grâce à vous.
L'elfe lui sourit, plein de gratitude :
- Bonne nuit, monsieur.
Alors il sort et referme la porte derrière lui. Harry n'attend pas. Il tire les couvertures, se glisse sous les draps et s'allonge en poussant un grand soupir. Il n'a pas fermé les yeux que déjà, il sombre dans le sommeil.
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Le lendemain, Harry met du temps à comprendre où il se trouve. Il fixe le plafond bleu pâle de son baldaquin, en tâchant de se remémorer ce qu'il a fait la veille. Le visage ensanglanté de Lewison apparait devant ses yeux. Harry plisse le nez de dégoût et se tourne sur le côté. Le soleil entre à flot à travers les rideaux de lin, le lit est chaud, le matelas confortable, et ce cafard de Lewison est mort. Harry ne s'est jamais senti aussi bien depuis la mort de Ginny.
Il se redresse, étire brièvement ses muscles, puis bondit hors du lit et s'affaire aussitôt.
On dit que la nuit porte conseil. Ce matin, sous ce magnifique soleil d'hiver, Harry est déterminé. Il sait exactement ce qu'il doit faire, et sa volonté s'en trouve renforcée. Il commence par prendre de nouveau un bain, car rien ne lui garantit qu'il reverra une salle de bain avant longtemps. Puis il fouille dans la chambre de Lewison et extirpe de son armoire un grand sac de voyage. Vidant tous les tiroirs, il empile les vêtements de Lewison dans le sac, aussi soigneusement qu'il le peut. Il en profite au passage pour se vêtir d'un complet noir qui le serre d'un peu trop près, mais conviendra parfaitement pour ce qu'il a en tête. Puis il abandonne le sac sur le lit et descend à la cuisine. Nobbs lui a préparé un petit déjeuner titanesque : pain grillé, œufs au bacon, confitures de tous genres et de toutes sortes, jus de fruit pressé, café, thé, chocolat, croissants, brioche, salade de fruits... L'elfe l'attend avec un grand sourire, très fier de lui.
- Eh bien Nobbs, si tu fais des merveilles comme ça tous les jours, je suis sûr que tu seras très bien reçu à Poudlard, le félicite Harry.
L'elfe rougit, ce qui donne un spectacle assez amusant. Harry s'installe à table avec entrain et fait honneur à tous les plats.
- Harry Potter voudrait peut-être boire quelque chose ?
- Du café au l...
Harry s'interrompt. Une ombre passe dans ses yeux, une ombre inquiétante :
- Du café, reprend-il, et ses traits se sont fermés.
Nobbs ne remarque rien et remplit une grande tasse d'un café noir et fumant.
Harry le boit à petites gorgées, grimaçant sous l'amertume du breuvage. Puis il se lève et aide Nobbs à débarrasser, malgré les protestations du petit elfe :
- Dis-moi Nobbs, demande Harry en glissant sa tasse dans l'évier. Sais-tu si Lewison conservait de l'argent ici ?
- Oh oui monsieur, répond l'elfe. Maître Lewison gardait beaucoup d'argent dans un coffre dissimulé dans sa chambre.
Il fait avec un petit sourire :
- Harry Potter désire-t-il que je le lui montre ?
Harry lui rend son sourire d'un air entendu :
- S'il te plaît, oui.
Ensemble, ils remontent l'escalier jusqu'à la chambre de Lewison. À la grande surprise d'Harry, Nobbs se dirige alors vers l'armoire qu'il vient de vider, et presse sa main contre la paroi du fond. Celle-ci s'enfonce avec un claquement sec et coulisse, révélant un double fond. Et dans ce double fond, il y a des étagères, entièrement recouvertes de pièces d'or, d'argent et de bronze :
- Voilà, monsieur, dit Nobbs d'un air satisfait.
Harry sourit :
- C'est parfait...
Sur le rebord d'une des étagères, il y a une large bourse de velours noir. Harry la saisit et s'empare des pièces par poignées. Comme il le supposait, celles-ci disparaissent dans les profondeurs de la bourse sans l'alourdir, si bien qu'en deux temps trois mouvements, la totalité du trésor de Lewison se trouve contenu dans un petit carré de tissu.
Harry resserre les cordons de la bourse qu'il enfouit elle aussi dans le sac. Il ne reste plus qu'un dernier détail à régler. Il a de quoi se vêtir par tous les temps, de quoi se nourrir et se loger, mais pour ce qu'il prévoit de faire, il a besoin de quelque chose qui lui permette de se déplacer au grand jour. Quelque chose que tout bon Auror, même Lewison, se doit d'avoir en sa possession. Grâce à Nobbs, Harry disparait plusieurs mètres sous terre, dans les caves de la maison Lewison. Et là, bien à l'abri au fond d'une armoire dans un laboratoire souterrain, il trouve ce qu'il cherche. Du Polynectar. Une dizaine de petites fioles qu'il met en sécurité dans ses poches, à l'exception d'une seule, qu'il ouvre aussitôt. Une odeur nauséabonde ne tarde pas à envahir la cave.
Harry, toujours guidé par Nobbs, remonte au rez-de-chaussée, jusque dans le salon où le cadavre sanguinolent de Lewison offre une vision étrange. Harry s'approche, le cœur au bord des lèvres, frissonnant de dégoût. Ce ne sont pas les mutilations qu'il a lui-même infligées qui le révulsent. Ce sont les cheveux de Lewison qu'il était en train d'arracher un par un. Il n'en a besoin que d'une pincée, mais il ne peut pas se permettre de les couper, auquel cas les Aurors devineraient ce qu'il a fait. Lorsqu'il estime en avoir assez, Harry glisse les cheveux dans une éprouvette vide pour n'en garder qu'un seul, qu'il plonge dans la fiole de Polynectar. Le liquide s'épaissit aussitôt et prend une étrange couleur verdâtre, comme de la moisissure qu'on aurait fait bouillir.
Harry inspire à fond, se pince le nez et avale le contenu d'un seul trait. Il se courbe immédiatement en deux mais lutte pour ne pas vomir. Il sent sa silhouette diminuer, ses os et ses membres s'amincir, son visage se creuser. Quelques secondes plus tard, Charles Lewison contemple son cadavre toujours avachi dans son fauteuil. Il s'offre un rictus méprisant qui lui correspondrait parfaitement. Regardant autour de lui, Harry/Lewison s'empare d'un parchemin et d'une plume qui traînent sur une table basse, et écrit :
« Monsieur le ministre, je serai absent pour la semaine, raisons personnelles, veuillez m'en excusez. Adressez-vous à Ronald Weasley pour qu'il prenne le relai durant mon absence. Cordialement, Charles Lewison »
Il imite la signature de Lewison qu'il connait parfaitement, relit une fois son œuvre, et son visage se fend d'un sourire cruel :
- Comme ça ils ne sont pas près de te retrouver ma vipère..., souffle-t-il au cadavre. Nobbs ?
L'elfe de maison accoure et fait un bond en arrière.
- N'aie pas peur, c'est moi, fait Harry en se retenant de rire.
Il lui tend le mot :
- Peux-tu envoyer ça au ministère ? Ça me serait très utile...
Remis de ses émotions, Nobbs acquiesce :
- Harry Potter s'en va ?
- Oui, Nobbs. J'ai quelque chose à finir. Je suis sûr que tu te sentiras très bien à Poudlard.
L'elfe le contemple, les larmes aux yeux. Harry serre brièvement sa petite main dans celle, longue et rêche, de Lewison. Puis il monte à l'étage, enveloppe le Polynectar et les cheveux de Lewison au milieu des vêtements et miniaturise le sac de voyage. Il avise alors une longue cape noire, chaude et de très bonne qualité, qu'il passe autour de ses épaules. Enfin, il glisse le sac miniaturisé dans une de ses poches, descend l'escalier, traverse le salon et quitte la maison de Lewison sans un regard en arrière.
Aussitôt dans la rue, il transplane. Il réapparait quelques secondes plus tard au milieu d'une impasse en plein cœur du Londres moldu. Il sort au grand jour, la tête haute, comme si de rien n'était. Perdu au milieu de la foule, personne ne fait attention à lui, personne ne le remarque. Harry marche jusqu'à l'enseigne du Chaudron Baveur et pousse la porte du bar.
Comme à son habitude, Tom le salue de derrière son comptoir :
- Bonjour monsieur Lewison. Vous n'êtes pas au ministère à cette heure-ci ?
- Je dois m'absenter quelques temps.
Harry ne s'attarde pas pour discuter. Déjà car ce n'est pas dans les habitudes de Lewison, mais surtout parce que, malgré le Polynectar, sa voix est restée la sienne. Et il ne peut prendre aucun risque. Il sort du bar et emprunte le passage qui conduit au chemin de Traverse.
Comme toujours, la rue bruisse d'agitation. Une foule cosmopolite se presse le long des trottoirs, devant les vitrines des magasins de toutes sortes. Harry presse le pas. S'il a bien calculé son coup, il a tout juste le temps d'arriver à destination. Il se fraye un chemin à travers la cohorte de sorciers, et constate avec soulagement que les gens s'écartent sur son passage en le saluant avec crainte. Comme quoi, prendre l'aspect de Lewison a quelques avantages... Il ne manque cependant pas de remarquer les regards meurtriers qu'il reçoit dés qu'il a le dos tourné. Ce n'est pas grave. Mieux vaut qu'ils le prennent pour une pourriture que pour ce qu'il est réellement. Harry se demande brièvement comment tous ces gens réagiraient s'il dévoilait sa véritable apparence, là, tout de suite. Le livreraient-ils aux autorités sans se poser de questions ? Ou se ligueraient-ils pour le défendre, pour le soutenir, prendraient-ils les armes pour protéger sa cause ? Avaient-ils toujours foi en lui ?
Harry dépasse la boutique de farces et attrapes de Georges Weasley à laquelle il jette un coup d'œil mélancolique. Il ne peut pas se permettre de rire en ce moment, et encore moins de revoir son vieil ami...
Enfin, au détour d'un chemin, il aperçoit sa prochaine destination. Gringotts. Le haut bâtiment de pierre blanche se dresse devant lui, avec ses colonnades et ses multiples étages aux angles inquiétants. Harry arrive devant le portail où un gobelin monte la garde. Alors Harry arrête et attend quelques secondes. Si tout se passe bien comme prévu...
Ça y est, il sent comme un fourmillement au creux de son ventre. Son visage se déforme, ses muscles s'épaississent et ses jambes gagnent plusieurs centimètres. De nouveau à l'étroit dans son costume noir, Harry Potter se tient face à l'entrée de Gringotts. Sans plus attendre, il s'engouffre dans la banque. Harry a calculé à la seconde près le trajet qu'il devrait emprunter pour arriver à Gringotts juste avant que le Polynectar ne cesse de faire effet. Il ne pouvait pas entrer dans la banque sous l'apparence de Lewison car les gobelins auraient tout de suite détecté le stratagème et auraient cru à une ruse. Et il n'avait pas non plus voulu courir le risque d'attirer l'attention en transplanant directement devant la banque. Voilà pourquoi Harry Potter s'avance à présent dans le majestueux hall de Gringotts, le capuchon de sa cape dissimulant son visage aux autres clients.
Harry se présente devant le premier comptoir où un gobelin est occupé à peser de petites piles de noises. Harry se racle la gorge. Le gobelin lève les yeux sans bouger d'un pouce et dit de sa voix grinçante :
- Oui ?
- Je suis Harry Potter, déclare Harry. Je voudrais faire un retrait.
- Avez-vous votre clé, monsieur Potter ? poursuit le gobelin sans que l'identité de son client ne provoque aucune réaction.
Harry avale sa salive. C'est là que les choses se compliquent :
- Comme vous devez le savoir, le ministère a confisqué tous mes biens. Ma clé m'a été confisquée avec le contenu de mon coffre.
- Dans ce cas je regrette mais vous ne pouvez effectuer aucun retrait, fait le gobelin en retournant à ses pièces.
- Je ne suis pas d'accord, objecte Harry.
Le gobelin l'observe du haut de son comptoir, circonspect.
- Pour autant que je sache, Gringotts est censé être une forteresse, poursuit Harry. Un des endroits les plus sûrs au monde.
Le gobelin fronce ses longs sourcils arqués :
- Qu'insinuez-vous ?
- J'insinue que le ministère me prive sciemment de mes biens, et ce juste sous votre nez. Je ne sais pas pour vous, mais moi j'appelle cela un vol. Moi qui pensais pourtant avoir mis mon argent en lieu sûr en le plaçant à Gringotts, voilà que la banque laisse les voleurs agir en toute impunité...
Le gobelin fixe Harry pendant de longues secondes. Harry décide de battre le fer tant qu'il est chaud :
- Ma clé a également été volée au vu et au su de tous les employés de cette banque. Elle portait l'insigne de Gringotts. C'est vous qui êtes responsables de ce vol, j'exige réparation. Je veux qu'on me restitue ma clé et mes biens.
Le visage du gobelin se fend d'un sourire qui ne touche pas ses yeux :
- Vos arguments se valent, monsieur Potter. Je vais en référer à ma hiérarchie.
Harry le retient :
- Attendez ! s'exclame-t-il. Après la guerre, le ministère, la Gazette du Sorcier, et même Gringotts, m'ont proposé des faveurs en gage de reconnaissance, et je n'ai jamais rien demandé. Aujourd'hui, pour la première fois en vingt ans, je demande enfin quelque chose. Tout ce que je veux, c'est que l'on me rende ce qui m'appartient. Je sais que les gobelins obéissent à un code d'honneur. Je ne serais pas là si ce n'était pas le cas. Vous n'interférez jamais dans les problèmes des humains. Mes démêlés avec la justice sorcière ne concernent pas le monde des gobelins, je sais que vous ne me dénoncerez pas. Mais si je ne récupère pas mes biens dés maintenant, alors la « justice » se les appropriera et Gringotts sera complice de ce vol. S'il-vous-plaît... ne laissez pas une telle chose se produire.
Le gobelin le contemple longuement. Puis il saute de son tabouret et dit simplement :
- Je reviens dans un instant.
Harry ronge son frein en silence. Silhouette encapuchonnée debout au milieu de la plus grande banque d'Angleterre, les gens vont et viennent autour de lui, sans le regarder. La voix rocailleuse du gobelin le fait sursauter :
- Tout est en ordre monsieur Potter. Veuillez me suivre.
Harry enfonce son visage dans les ténèbres de sa cape et suit le gobelin jusqu'à la porte conduisant aux wagonnets. Le trajet lui semble interminable, et tandis qu'il enchaîne les montagnes russes, il se rappelle avec nostalgie la toute première fois qu'il est venu ici, alors qu'il était encore enfant, innocent, curieux de tout, et heureux. S'il avait su, à cette époque...
Le wagonnet s'arrête devant le coffre 687, et Harry s'accroche au rebord pour encaisser la secousse. Le gobelin saute du charriot, imperturbable, et introduit une petite clé dorée dans la serrure de l'immense porte de fer. Le battant coulisse lentement sur ses gonds et Harry entre. Depuis la première fois qu'il est entré dans ce coffre des années auparavant, la quantité de pièces d'or et d'argent a quasiment triplé. En tant que directeur du bureau des Aurors et accessoirement, vainqueur de Voldemort, Harry a gagné énormément d'argent tout au long de sa vie d'homme libre. Ginny, quant à elle, a connu une renommée certaine en tant que championne professionnelle de Quidditch, ce qui avait constitué un apport non négligeable à la fortune familiale des Potter.
Saisissant une poignée de pièces d'or sur le tas le plus proche, Harry tend l'argent au gobelin et dit :
- Serait-il possible de me fournir une bourse sans fond et de quoi écrire, s'il vous plaît ?
Le gobelin saisit le pourboire sans un mot et revient quelques minutes plus tard avec un petit sac en velours semblable à celui qu'Harry a pris dans l'armoire de Lewison, un épais rouleau de parchemin et une magnifique plume de paon.
S'agenouillant au milieu de la pièce, Harry commence par amasser une quantité non négligeable de pièces d'or, d'argent et de bronze qu'il fait disparaître par poignées dans le sac. Il a « emprunté » beaucoup d'argent à Lewison, mais pas de quoi survivre plus de quelques mois. Harry doit assurer ses arrières. Il n'est pas sûr de pouvoir un jour remettre les pieds à Gringotts.
Enfin, il se relève et glisse la bourse dans une poche de sa cape. En tout et pour tout, il a dû prélever moins de dix pour cents de ce que contenait le coffre. Il s'adresse alors au gobelin :
- Écoutez-moi attentivement. Je voudrais acheter un coffre de haute sécurité au nom d'Albus Severus Potter. Vous transférerez dans ce nouveau coffre tout ce que contient ce coffre-ci, est-ce que c'est bien clair ?
Le gobelin acquiesce.
- Si le ministère cherche à réclamer le contenu de ce coffre vous ne le laisserez pas faire, n'est-ce pas ?
Le gobelin sourit sèchement :
- Comme vous l'avez si bien dit, les gobelins ne se soucient pas des affaires des sorciers. Aucune noise ne sortira de cette banque sans votre accord ou celui de votre fils.
- Parfait. Dans le coffre de mon fils, vous placerez également ce parchemin, bien en évidence.
Il s'assoit alors sur le sol et rédige quelques lignes d'une main un peu tremblante :
« Albus, mon fils,
Je sais que les choses doivent être difficiles pour toi en ce moment, et je regrette de ne pas pouvoir être là, à tes côtés. La mort de ta mère, de James et de Lily est une épreuve que tu n'aurais jamais dû avoir à endurer.
Albus, je te promets qu'il va payer. J'ignore encore qui est le coupable, mais je te le jure, je vais tout faire pour le retrouver. Peu importe les sacrifices, peu importe où cela va me mener, la tragédie de notre famille ne restera pas impunie. Je le traquerai, Albus, je lui ferai regretter jusqu'à la moindre larme que tu auras versée par sa faute.
Alors je pourrai revenir auprès de toi mon fils, cela aussi je te le promets. Je te demande juste d'attendre, et d'être fort. Pour moi, pour ta mère, et pour Lily et James. Ce ne sera pas tous les jours facile, mais je compte sur Ron et Hermione pour veiller sur toi, et j'ai foi en toi. Je sais que tu t'en sortiras, quoi qu'il arrive.
En attendant je te demande de ne pas t'en faire pour moi. J'ignore quand nous nous reverrons, ou quand je serai en mesure de te donner des nouvelles, mais sois sûr d'une chose, c'est que je t'aime, et que ce que je fais aujourd'hui, je le fais pour toi, et pour notre famille.
Papa »
Harry plie la lettre et la tend au gobelin, ravalant les larmes qui envahissent ses yeux. Il reprend ensuite place dans le wagonnet et remonte seul à la surface, le gobelin ordonnant d'ores et déjà le transfert de sa fortune à son fils, désormais fils unique : Albus Severus Potter.
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Harry ne s'attarde pas à Gringotts. Il a tout ce qu'il lui faut. À présent, la traque peut commencer. La boutique de Barjow et Beurk n'est qu'à quelques rues de Gringotts. Harry resserre les pans de sa cape autour de lui et s'engage dans la foule en courbant la tête. Le risque qu'il prend est énorme. Insensé. Mais curieusement, il n'en a cure. Il veut parler à Barjow les yeux dans les yeux.
Harry s'engouffre dans l'Allée des Embrumes, et aussitôt, c'est comme si un poids immense s'était retiré de ses épaules. Décidément, si on lui avait dit qu'un jour il se sentirait à l'aise dans le pire coupe-gorge de Londres... Mais la rue, sombre et étroite, est quasiment déserte, et sa haute silhouette encapuchonnée de noire semble avoir sa place dans cette atmosphère angoissante.
Enfin, l'enseigne noirâtre et pourrissante de Barjow et Beurk apparait devant ses yeux. Harry n'hésite pas une seconde : il pousse le battant et entre. L'immonde boutique est restée telle que dans son souvenir : sombre et poussiéreuse, une odeur de moisi infectant l'air ambiant. Une multitude d'objets étranges, les mêmes que ceux qu'il avait découverts à douze ans, se perdent dans les méandres d'étagères obscures ou de toiles d'araignées géantes.
Un homme se tient devant un comptoir affaissé par le temps, noirci par la crasse. Il est à l'image du propriétaire des lieux : vieux et révulsant. Barjow a perdu ses perpétuels cheveux graisseux. À présent, il ne lui en reste plus que quelques touffes éparses et visqueuses, collées par la saleté, qui dévoilent un crâne cabossé recouvert de tâches. Il porte toujours sa robe de sorcier en lambeaux, dont la couleur d'origine, impossible à déterminer, disparait sous des années d'immondices en tous genres. On dirait qu'il n'a pas bougé depuis les vingt années qu'Harry ne l'a pas vu.
Lorsque la sonnerie de la porte retentit, Barjow relève les yeux et son visage s'éclaire. La lueur sournoise dans son regard n'a pas disparu non plus :
- Bonjour..., susurre-t-il de sa voix basse, pas plus haute qu'un murmure. Je peux vous aider ?
Harry s'avance à pas lents jusqu'au comptoir. Il lève la main, la porte à son capuchon, et très doucement, fait glisser le tissu pour dévoiler son visage. Barjow croise ses yeux verts étincelants et recule d'instinct :
- Que faites-vous ici ? crache-t-il, agressif. Ce n'est pas le genre d'endroit où l'on s'attend à vous trouver.
- Je crois que vous savez parfaitement pourquoi je suis là, Barjow, réplique Harry.
Le vieil homme ne répond pas. Il continue de le fixer de son regard de fouine, le dos plaqué à ses étagères.
- Je suppose que vous lisez la presse, comme tout le monde, reprend Harry en désignant un exemplaire de la Gazette abandonné sur le comptoir.
À la première page, sa photo le contemple dans son jogging d'aliéné, l'air sombre.
- Vous avez par conséquent entendu parler de ce qui m'est arrivé, à moi et à ma famille.
Barjow serre les poings compulsivement :
- Qui n'en a pas entendu parler ? On ne parle que de ça à tous les coins de rue !
Harry se rapproche jusqu'à se pencher au-dessus du comptoir. Barjow ne peut plus reculer. Harry plante ses prunelles froides dans les siennes et dit :
- Vous avez donc dû apprendre que l'on m'avait drogué, n'est-ce pas ? On m'a fait boire un poison. Un poison qui rend fou. Du Furosensis, pour être précis. Ça ne vous dit rien ?
Barjow demeure figé pendant plusieurs secondes, littéralement terrifié. Ce qu'il lit dans les yeux de l'Élu est la chose la plus abominable qu'il a jamais vue. Il revient à la réalité, à ces yeux qui le fixent, et hoche frénétiquement la tête en signe de dénégation.
- Non ? fait Harry en se reculant. Étrange. Étrange, Barjow, car je sais de source sûre que le Furosensis qui a tué ma famille provient de TA boutique. On n'en trouve nulle part ailleurs. Tu es le seul homme assez vil pour en vendre comme s'il s'agissait d'une potion pour la toux.
Les traits de Harry se durcissent :
- Je vais être clair Barjow. Je ne suis pas du genre à tourner autour du pot. Je ne suis plus le brave Auror qui envoyait des hommes contrôler ta boutique régulièrement. Entretemps, il y a eu le meurtre de mes enfants. L'assassinat de ma femme. Je ne suis plus le même, tu comprends ça ?
Harry bondit soudain par-dessus le comptoir et agrippe Barjow par le devant de sa robe en loques :
- Je te préviens Barjow !
Le vieil homme gémit. Le rebord de ses étagères entaille la chair de son dos.
- Je suis prêt à tout pour retrouver le salaud qui a tué ma famille, et je n'hésiterai pas une seconde à te torturer durant des heures et des heures jusqu'à ce que tu parles ! Je ne reculerai devant rien, tu peux me croire. Alors je te laisse le choix.
Il libère le vieil homme qui s'affale sur le comptoir :
- Sois tu me livres le nom de ton client et j'oublie que tu as été mêlé de près ou de loin à cette histoire.
Ce faisant, il dépose une poignée de pièces d'or sur la table.
- Sois tu décides de te montrer très stupide et tu défends la sale ordure qui m'a forcé à tuer ma propre famille. Et là, mon cher Barjow...
Il fait craquer ses phalanges entre ses doigts :
- J'ai bien peur que tu ne regrettes très vite d'être né.
Barjow se met à trembler. Il s'écarte du comptoir pour échapper à l'emprise de l'Élu et de son regard effroyable.
- Vous ne comprenez pas..., balbutie-t-il. Si je parle... il y aura des représailles ! Plus personne ne voudra venir dans ma boutique si on sait que j'ai vendu quelqu'un. Et puis... ce genre de renseignements...
Il hésite. Harry perd patience :
- Quoi ? s'exclame-t-il en saisissant Barjow par ce qu'il lui reste de cheveux. Qu'est-ce qu'ils ont, ces renseignements ? Pourquoi tu refuses de me les dire, hein ?
Il lui plaque la tête sur le comptoir et le vieil homme se met à crier :
- Parle, fils de pute !
Barjow ouvre des yeux embués de larmes :
- Vous...vous êtes Harry Potter... L'Élu, le Sauveur du monde sorcier, le vainqueur de Vous-Savez-Qui... Celui qui a toujours combattu le Mal... Vous ne faites pas parti du milieu.
Harry fronce les sourcils et force le vieil homme à le regarder :
- Dis-moi Barjow... Combien d'hommes faudra-t-il que je tue pour être « dans le milieu » ? Hein ? Réponds !
- Je...
- Je suis un meurtrier à présent Barjow ! Et tu y es pour quelque chose ! J'ai massacré neuf personnes en deux mois, et parmi elles, il y avait ma femme, et mes propres enfants ! Hier, j'ai torturé un homme à mort pour qu'il me livre ton nom ! Et tu oses dire que je ne suis pas dans le milieu ? Je suis où alors, Barjow ? Je suis quoi ? Tu es l'informateur des assassins, et je suis un assassin, alors parle, bordel !
Barjow ouvre et referme la bouche plusieurs fois, comme un poisson sorti de l'eau :
- Je...il....il saura que c'est moi qui...
- Si tu parles ce sera comme s'il était d'ores et déjà mort, tu seras protégé.
Le vieil homme ferme les yeux et deux minuscules larmes s'en échappent, dessinant deux petits sillons à travers la crasse de ses joues :
- Bon très bien..., murmure-t-il. Vous promettez de ne pas me tuer ?
Harry le lâche avec dégoût :
- Je ne suis pas encore une ordure de ton espèce Barjow, je ne tue pas par plaisir.
Barjow se redresse péniblement et garde les yeux baissés sur le comptoir :
- C'était Travers... Travers m'a acheté un flacon de Furosensis quelques jours avant que vous... avant que votre famille ne soit tuée.
Harry fronce les sourcils :
- Travers ? Le Mangemort ? Je croyais qu'il avait été emprisonné.
- Il a été relâché, il y a deux ou trois ans... Comme beaucoup de Mangemorts d'ailleurs. La plupart ont quitté l'Angleterre, mais Travers est resté, avec quelques autres. C'est lui qui a acheté le Furosensis, mais je doute qu'il ait agit seul. C'est tout ce que je sais.
Harry le fixe longuement.
- Je vous le jure ! crie Barjow, suppliant. Pitié ne me tuez pas !
Harry contourne le comptoir et s'approche si près de Barjow qu'il peut sentir la crasse émaner de son crâne presque chauve :
- Où est-ce que je peux le trouver ? demande-t-il.
Le vieil homme avale sa salive :
- J'ignore où il habite... Je sais juste qu'on le voit souvent dans l'Allée des Embrumes.
- Je croyais que tu savais tout ?
- Plus depuis la fin de la guerre... Les Mangemorts qui ont été libérés sont beaucoup plus secrets à présent, ils ne parlent plus à personne, ils ne restent qu'entre eux... Tout ce que vous pouvez faire, c'est attendre qu'il se montre.
Harry se redresse et saisit de nouveau Barjow par le devant de sa robe :
- J'espère pour toi que tu ne mens pas... Maintenant écoute-moi bien. À partir de maintenant, tu seras mes yeux et mes oreilles, est-ce clair ? Si tu m'obéis sans poser de questions, tu seras récompensé et je te protégerai, mais si tu me trahis, misérable charogne, alors je t'assure qu'il ne restera pas assez de tes os pour nourrir les chiens !
Barjow écarquille les yeux, horrifié. Ce n'est pas un homme qui se tient devant lui. C'est un monstre. Harry le lâche et il s'écroule lourdement sur le sol. Il tremble de tous ses membres, et son cœur bat la chamade sous sa robe de sorcier en lambeaux.
Lorsqu'il trouve enfin la force de se redresser, l'Élu a disparu. Il ne reste plus qu'un tas de Gallions sur le comptoir, et l'angoisse, grandissante, d'un avenir qui s'annonce bien sombre.
Barjow contemple sans les voir les ténèbres qui envahissent Londres. Les ténèbres dans lesquelles Potter s'est englouti. Seigneur, quel monstre a-t-il créé ?
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