Alors que l'automne laissait poindre ses premiers frimas, Catherine autorisa Manue à sortir de l'infirmerie, plus de deux semaines après son réveil. A peine fut-elle sortie qu'un tonnerre d'applaudissements l'accueillait. Elle salua l'assemblée de la main et avec un grand sourire. Rodolphe et Landry la soutenaient pendant qu'elle avançait doucement vers la cantine où une grande fête de rétablissement l'attendait.
Elle mangeait avec plaisir entourée de son amant et de son plus jeune neveu. Face à eux, Henri, Mireille et Catherine répondaient à ses questions complétant ainsi les deux mois de coma l'ayant éloignée de tous.
Au bout de trois quart d'heure, elle commença à dodeliner de la tête, clairement épuisée. Landry interrogea tout le monde du regard puis prit la jeune femme, qui commençait à fermer les yeux, dans ses bras. Un grand au revoir de toute la communauté accompagna son départ.
Le soldat emmena sa compagne vers le donjon. Elle s'interrogea : "Ah, j'ai le droit de retourner chez moi ?
- Oui, j'ai demandé à Catherine qui m'a dit qu'il te fallait reprendre une vie normale. Nous avons fait un grand feu de cheminée, tu vas voir il fait très bon.
- Je te crois !"
Il monta les marches du donjon avec lenteur pour profiter de la présence de sa compagne dans ses bras. Il l'installa dans son lit, la recouvrit chaudement et la regarda.
"Je voudrais te demander...
- Oui ?
- On est ensemble, non ?
- Je... oui, je crois !
- Je t'aime !
- Moi aussi, je t'aime !
- Je voulais te demander si je pouvais vivre ici avec toi ? Comme une famille avec tes neveux ! Accepte-tu ?
- Je... tu me prends au dépourvu, surtout que je suis fatiguée !
- Bah, t'en fais pas j'ai compris !
- Tu as comprit quoi ?
- Tu n'en as pas envie !
- Si mais il faudra un lit pour Inès... surtout que nous allons commencer à manquer de place et...
- Et... tes neveux ont déjà prévu le coup !
- Comment ?
- Les deux garçons veulent déménager dans ma chambrée et Inès prendrait leur lit ici.
- Ah, c'est comme cela qu'on profite d'une blessée, on profite de sa faiblesse !
- C'est ce que tu penses !
- Mais non ! C'est OK pour moi, si les enfants sont d'accord, je veux juste que les habitants du logis et Catherine les surveillent un peu tout de même.
- Formidable !
- Et maintenant, je peux dormir ?
- Oui, dors mon amour !"
Le lendemain, assise sur un des rochers au pied du donjon, Emmanuelle profitait des derniers rayons de soleil de cet été indien. Elle vit arriver en catastrophe Inès portant une couverture et Landry de nombreux coussins. Ils se précipitèrent vers elle.
"Oh, non ! Vous ne pourriez pas me laisser tranquille quelques minutes au soleil ?
- Il ne fait pas si chaud !
- Et puis avec tes os cassés, il faut des coussins pour te protéger." Insista Inès.
Ils la forcèrent tous les deux à se réinstaller sur les coussins et à accepter la couverture. Puis Inès partit rejoindre Catherine. Comme son rêve de devenir vétérinaire s'était éteint avec l'absence de formateurs, elle avait demandé au chirurgien de la former comme médecin. L'accident de sa tante l'y ayant poussée tout naturellement. Pendant ce temps-là, Landry s'était assis à côté d'elle.
"Tu as raison, le soleil est magnifique ! Il fait briller tes cheveux et tes yeux !
- Oh mon Dieu, je suis tombée sur un guerrier poète !
- Allez avoue que cela te plaît !
- Chais pô !
- Tu ne sais pas ?
- Ouaip trop fatiguée !
- Et si je t'embrassais ?
- Faut voir !"
Sur ces mots, il embrassa sa compagne qui gémit toute alanguie.
"Hé les amoureux ! Rigola Romain. Alors, ça y est on assume ses sentiments ?
- On assume, on assume ! Répondit Manue
- Tu n'as pas quelque chose à faire toi ? Grogna Landry
- C'est fait, je venais au spectacle comme les autres !
- Quels autres ?" S'inquiéta la jeune femme.
Et tout autour d'eux l'ensemble de la population regardaient les amoureux se lutiner. La jeune femme si sûre d'elle habituellement enfouit son visage dans le cou de son compagnon en chuchotant : "Fais-les partir ou je rentre dans le donjon !
- Bon, les gars vous ne pouvez pas nous laisser tranquilles ?
- Et rater les moments de bonheur de membres de notre communauté ? Interrogea Henri.
La jeune femme se leva d'un coup et manqua de tomber prise par un vertige. Landry la retint à temps. Elle leur cria : "Ce n'est parce que j'assume notre couple que je vous permets de vous en mêler !" et elle rentra aussi sec dans la tour.
"Ouh ouh, Landry, tu t'es trouvé une vraie furie ! Intervint Alexis, un des hommes du chef des gardes.
- Ferme ta gueule, Alexis ! "
Il partit à son tour dans le donjon rejoindre la jeune femme.
"Manue, ma chérie !
- Quoi ?
- Il ne faut pas leur en vouloir, ils nous aiment. Et ils se sont tous inquiétés pour toi !
- Ouais, c'est surtout qu'ils n'avaient plus de ravitailleuse !
- Non, puisque Romain et Rodolphe partaient faire ton boulot ! Ils t'aiment parce que dès que tu es arrivée ici, tu as fait des pieds et des mains pour leur faciliter la vie ! Tu as donné des tonnes d'idées pour améliorer nos conditions de vie. Tu as risqué ta vie pour ramener de stupides vêtements.
- Euh, en fait, non, c'était pour des livres !
- Des livres ?
- Ben oui, sur les soins aux animaux et la médecine vétérinaire, c'était pour Inès.
- Sais-tu qu'Inès a donné ton cahier à idées à Henri ?
- Oh, elle a fait cela ?
- Oui, cela faisait deux semaines que tu étais dans le coma et elle s'est mise à frôler, sentir, utiliser tes affaires. Elle est tombée sur ton cahier à idées, elle l'a lu et nous a lu quelques lignes. Depuis ce sont des nouveaux projets en cours de réalisation. On a fait des convois pour aller chercher des stocks de tissus, de fils et deux vieilles machines à pédales.
- Et mon projet de moulin à farine ?
- Il est en cours.
- Super, j'suis trop contente !
- Tu vas mieux ?
- Oui, mais je déteste qu'on se mêle de ma vie.
- Je crains ma douce que ce soit fichu ici. Nous sommes tous les uns sur les autres et comme l'a dit Henri, les gens sont heureux du bonheur des autres.
- Bon ça va ! Tu me fais un bisou ?
- Un seul ?".
Et la jeune femme se retrouva emportée vers leur lit à baldaquin duquel le soldat referma les rideaux. Des gloussements féminins étouffés émergèrent derrière les épais rideaux. |