Huit ans, plus de huit ans, presque neuf, étaient passés depuis le début de l'épidémie. Cela faisait presque deux ans que la guerre des deux républiques était finie. La France et l'Europe avaient retrouvé un certain équilibre.

Il y avait des nouvelles des Amériques où, si des conflits politiques et militaires n'avaient pas eu lieu comme en France, en Angleterre et en Italie, les groupes se faisaient des guerres territoriales terriblement violentes et destructrices.

Ils avaient fini par réussir à recréer un gouvernement fédéral mais l'éparpillement, les ravages du cannibalisme et la faiblesse démographique des populations avaient fait reculer ce continent loin derrière l'Europe.

Les habitants de chaque pays européen s'étaient réappropriés d'anciens modes de fonctionnement et connaissaient un pic de natalité phénoménal. Les Fédérations des sanctuaires français avaient commencé à envoyer des diplomates vers les autres pays. Chaque fédération qui avait des frontières avec ces pays avait noué des liens forts.

A Fort la Latte, il n'y avait que peu d'habitants. En effet, une bonne partie d'entre eux était partie à la foire de Henanbihen. La famille de Manue partit avec son propre attelage que Rodolphe avait fabriqué lui même.

Pour sa reconversion, il avait longuement réfléchi entre la maçonnerie et la menuiserie, pour finalement devenir charron. Sa bonne réputation avait même commencé à s'élargir au-delà des sanctuaires bretons.

Svein, lui, était devenu le responsable des communications et de la diplomatie du Fort. Il faisait encore office de messager quand il manquait d'hommes.

Romain, lui, avait continué sa carrière dans l'armée. Il était devenu, naturellement, le chef des guerriers du Fort.

Inès était devenue médecin et vétérinaire et prêtait main-forte dans les campagnes et sanctuaires voisins.

Quant à Manue, de plus en plus, elle parlait de repartir dans sa région et de voir comment rejoindre un sanctuaire normand. Elle avait fini par se faire à l'idée de la disparition, voir de la mort, de son époux.

L'hiver était proche de sa fin et la jeune femme commençait à préparer son retour sur ses terres. Alors que le dégel avait commencé, Svein revint d'une tournée en Anjou, en réclamant une réunion de toute urgence de tous les habitants. Quand ils furent tous réunis au pied du rocher, il commença à leur expliquer.

"Bonjour mes amis ! J'ai une très bonne nouvelle à vous apprendre."

Il leva la main et leur montra une grande feuille blanche.

"Depuis plusieurs jours, des avions survolent la France et larguent des tracts en grand nombre. J'ai pu en avoir un et j'ai couru ici pour vous en faire part. Mes amis, je vais vous lire le texte !"

"A nos citoyens européens.

Depuis le début de l'épidémie qui a transformé nos morts en dévoreurs de vivants, un groupe de scientifiques européens et français ont rudement travaillé tout d'abord dans un Centre Pasteur Européen secret et basé à Tours. Puis devant la déliquescence de ce centre, nous avons été déplacés auprès de nos autres confrères européens au Centre de Pingvellir au Nord-Est de Reykjavik. Là, la puissance des volcans islandais nous a fourni une énergie illimitée, et l'isolement nous a protégés des hordes. En ces lieux, il y eut aussi des scientifiques, des inventeurs et des ingénieurs qui ont réfléchi au monde de demain et à la solution pour "relever" le Monde de cette pandémie.

Le traitement a été trouvé il y a un an et a été testé sur des volontaires puis sur l'ensemble de la population islandaise. Il est 100% efficace. Il "tue" les morts "debouts" et détruit le virus au sein des organismes des vivants. Nous avons, depuis ces tests, fabriqué d'importants stocks de vaccins.

Dorénavant, et ce, dès le largage de ces tracts, vous verrez de nombreux avions survoler l'ensemble du territoire européen. Ils diffuseront par le biais de puissants sprays le vaccin qui nous guérira tous. Nous espérons avoir totalement éradiqué le virus sur l'ensemble de l'hémisphère nord pour le milieu du printemps. L'objectif visera tout d'abord le Continent européen y compris la Russie, puis le Continent asiatique, et enfin nous finirons par le Continent américain. Puis pour le courant de l'été, nous procéderons de même avec l'hémisphère sud.

Nous remercions les peuples européens de leur patience et de leur courage. La Vie va pouvoir reprendre.

Le Centre de prévention des Maladies de Pingvellir."

Tout d'abord, les habitants se turent et se regardèrent. Puis plein d'espoir ils regardèrent Svein qui confirma sa lecture par un hochement de tête. Certains se mirent à crier de joie, d'autres se mirent à pleurer, ou à s'enlacer. Les plus jeunes ne comprenaient pas ce qu'il se passait.

Manue se dit que plus rien ne s'opposerait à son projet de revenir en sa Normandie. Elle pleurait. Elle pleurait ses morts, elle pleurait le passé, elle pleurait sa solitude à nouveau. Jusqu'à ce que ses enfants se collent à elle, inquiets. Elle les rassura puis regarda ses neveux. Les deux garçons avaient dans les yeux une lueur différente. Elle savait qu'ils partageaient son goût pour leur région d'origine. Le fait de pouvoir vivre sans s'inquiéter des marcheurs apportait une nouvelle vision de l'avenir.

Les semaines passèrent dans un état d'excitation jamais atteint même par la guerre des deux républiques. Les habitants du fort surveillaient avec un espoir mêlé d'inquiétude un de leurs vieillards en fin de vie. Catherine fut présente au moment de son trépas. Les soldats l'encadraient pour la protéger d'un éventuel réveil. Le vieil homme exhala son dernier soupir en leur souriant.

Tous les membres du Conseil Municipal, ainsi que Manue et quelques autres personnes d'importance observèrent le mort. Les minutes passèrent lentement, puis les heures devinrent une journée. Le soulagement gagna les cœurs de l'ensemble du fort et une fête fut organisée. Pour le jour de l'inhumation du vieil homme qui serait le premier habitant depuis des années à être à nouveau enterré.

Au cours des jours et des festivités qui suivirent, Emmanuelle et ses neveux parlèrent beaucoup entre eux, ainsi qu'avec les responsables du fort. On leur accorda des chevaux et un attelage. Ainsi qu'un bon stock alimentaire, de graines et de plants, et on leur proposa armes et outils. Si les deux garçons avaient pris leur décision d'accompagner leur tante, Inès et son mari hésitaient à les suivre car ils pensaient que peut être leur vie était au Fort.

C'est ainsi que le convoi de la famille Dufay-Jehanne s'ébranla à l'aube d'une journée de printemps pour prendre la direction de la Normandie.