Quand le jour montra le bout de son nez, Emmanuelle se morigéna d'avoir dormi si tard. Elle était nue et se rappela sa nuit avec le chef des "guerriers" de Pirou. Sous ses draps, elle se revêtit vite fait de ses vêtements tant le froid était saisissant. L'eau dans le broc était très fraîche mais elle se lava tout de même.
Elle sortit de la pièce et fit quelques étirements. Gérald et Olivier arrivèrent vers elle. Le chef lui remit un document dans une enveloppe pour Georges et le soldat lui tendit son katana et les rênes du cheval. Ils l'avaient rentré pour la nuit dans l'enceinte du château. Elle les remercia en faisant un clin d'oeil à Olivier et reprit la route vers Chanteloup.
Les chemins étaient spongieux et boueux et difficiles à parcourir. Les pas de sa monture faisaient des bruits de soupape. Elle se demandait si elle ne devrait pas tenter les routes en macadam s'ils devaient s'embourber. D'un autre sens, son cheval ayant des fers le macadam mouillé était risqué en n'oubliant toujours pas les mordeurs. Le trajet lui prit pratiquement deux fois plus de temps au retour qu'à l'aller. Bien sûr, elle dut s'arrêter pour tuer quatre mordeurs qui avaient entendu leurs souffles saccadés à tous les deux.
En début d'après-midi, alors qu'elle arrivait en vue de son foyer, elle s'étonna de ne pas voir de fumée sortir des cheminées. Sur le chemin qui menait au château, elle vit trois mordeurs. Elle descendit de cheval mais celui-ci s'affola en sentant leur odeur méphitique et tirait violemment sur les rênes. L'instinct d'Emmanuelle la poussa à desseller et débrider le cheval pour qu'il puisse s'enfuir. A peine cela fut fait qu'il galopa dans la direction opposée.
Elle prit son katana en main et affronta les mordeurs qui s'approchaient d'elle. Elle crut être débordée mais sortit son poignard pour transpercer le crâne de celui qui avait tenté de l'attaquer par le côté gauche. Après s'en être débarrassé, elle trottina le plus silencieusement possible vers le château. Près de la grande porte, deux autres mordeurs attendaient sans bouger. A son arrivée, ils réagirent mais pas assez vite pour lui poser soucis.
A part des gémissements de mordeurs, elle n'entendait aucun cri, aucun appel au secours. Elle continua sa route sur le côté gauche du château pour voir l'intérieur par les remparts bas. Passé les quelques arbustes gênants sa vision, elle put constater que la cour était envahie des mordeurs. Il n'y en avait une bonne trentaine et parmi eux, elle reconnut beaucoup de membres de la communauté. Au sol, elle vit des cadavres de mordeurs aux crânes transpercés mais aussi beaucoup de corps de "vivants" en cours, ou finis, d'être mangés.
Toute la communauté y était passé. Et d'aussi loin, elle ne reconnut pas ses neveux. L'angoisse étreignait sa poitrine, son cœur se serra fortement. Un chuintement derrière la fit réagir et elle abattit un "mort". Elle n'avait plus qu'un seul espoir : que les enfants aient suivi ses consignes. Elle rejoignit à nouveau la grande porte mais encore une fois deux mordeurs la virent. Essouflée, et lassée de leur pouvoir destructeur, elle réussit à s'en débarrasser.
Elle monta sur le muret du pont et chuchota : "Les enfants, vous êtes là ?"
Sans réponse, elle redemanda : "Rodolphe, s'il te plait réponds-moi !"
Là la fenêtre s'ouvrit sur Svein : "Tata, tu es revenue ?
- Bien sûr, mon chou, ton frère et ta sœur sont là ?
- Oui, on a fait comme tu as dit, nos affaires sont prêtes.
- Avez-vous une corde avec vous ?
- Non ! Dit Rodolphe en sortant la tête.
- Ecoutez mon plan, je vais...
- Attention, tata, derrière toi, un mordeur !"
Toujours en équilibre sur le muret, elle trancha la tête en deux. En ôtant, le sabre du crâne, elle manqua de tomber dans l'eau des douves. Une fois rétablie, elle se retourna vers ses neveux.
"Je disais donc, je vais reculer avec le Land Cruiser, vous allez me lancer vos sacs et vos affaires, d'accord ? Après, je vais vous lancer une corde avec une branche que vous allez caler sur le bord de la fenêtre et je vais attacher la corde à la portière passager et vous allez vous laisser glisser sur le hayon ! D'accord ?
- D'accord tata ! Répondirent-ils en choeur.
- Mais Anita ? Demanda Inès.
- Jetez-là à l'eau tout de suite."
Ce qu'ils firent aussitôt.
Il ne suffisait pas que le château soit envahis, il fallait en plus que l'avant le soit aussi, elle n'avait pas atteint sa voiture que deux nouveaux assaillants vinrent à leur tour. Elle s'en occupa derechef Elle sentit la truffe trempée de sa chienne réclamer une caresse, ce qu'elle fit. Elle récupéra la clé dûment cachée derrière une des roues, fit monter la chienne et effectua la manœuvre expliquée à ses neveux.
Elle repartit aussitôt pour aller chercher une branche qu'elle avait vue dans le fossé espérant que le bois ne serait pas pourri. Alors qu'elle préparait la corde, elle vit les enfants balancer avec dextérité leurs affaires sur la bâche du hayon. Elle remonta sur le muret et sécurisa la corde autour de sa taille. Il fallut pas moins de quatre manœuvres pour arriver à lancer assez haut et loin la branche et que Rodolphe puisse la rattraper. A peine avait-elle fini d'attacher la corde qu'elle les vit glisser le long de celle-ci. Elle était fière d'eux et de leur réactivité.
Svein décrocha la corde pendant que Rodolphe fourra leurs affaires sous la bâche. Une fois tous montés, Emmanuelle démarra sur les chapeaux de roues et dégagea aussi vite qu'elle le put des petits chemins. Pendant qu'elle roulait à la recherche d'un lieu qui pourrait constituer un lieu de repli, elle questionna les enfants : "Que s'est-il passé là-bas ?
- Ben, y'a le monsieur bizarre, Charles, qui s'est disputé hier soir avec Georges, comme quoi on le respectait pas ! Qu'il était quelqu'un d'important ! Alors Georges, il a dit que les seules personnes importantes sont les enfants, les femmes et les gens compétents. Dit Svein
- Et aussi, il a lui dit, jusqu'à preuve du contraire vous n'êtes aucuns des trois ! Moi, tata, je ne l'ai jamais aimé Charles, il disait des méchancetés sur toi ! Alors, j'ai entendu Isabelle dire à Damien que son problème c'est qu'il était amoureux de toi mais que toi tu te fichais de lui. Reprit Inès.
- Et puis, hier soir, il n'a pas arrêté de boire et de dire pleins de gros mots à tout le monde même aux enfants. Après, je ne sais pas parce qu'Isabelle nous as dit d'aller nous coucher. Grimaça Svein.
- Moi, je sais, je l'ai entendu dire à Georges, "vous allez tous me le payer"... et ce matin, j'ai entendu des coups de fusils, alors je suis monté jusqu'au de la tour et je suis allé sur la poterne et là j'ai vu les mordeurs et tout le monde qui essayaient de les tuer mais ils étaient trop nombreux, vraiment trop nombreux. J'ai bloqué la petite porte de l'autre tour pour que les mordeurs ne passent par la poterne pour entrer dans notre tour et j'ai bloqué notre porte aussi. Et puis, il n'y a plus aucun bruit, jusqu'à ce que tu arrives. Compléta Rodolphe.
- Pourquoi on n'y est pas resté tata ? On aurait pu les tuer avec nos arcs et reprendre le château ? Demanda Svein.
- Vous n'avez pas vu le nombre qu'ils sont, je me sentais pas capable même avec vous de tous les tuer.
- Mais si, on pourrait, j'en suis sur !" Insista-t-il.
Elle stoppa la voiture et se retourna vers eux en les regardant. Ils tremblaient des pieds à la tête. Clairement, les événements les avaient marqués. Elle ne se voyait pas retourner dans ce lieu, avec la condition de tuer tous les mordeurs, revivre dans un lieu ayant vécu ce drame. De plus, elle savait très bien qu'à eux quatre ils ne pourraient ni tenir la garde ni faire des tournées de ravitaillements, ni entretenir les champs et les animaux.
"Mes chéris, nous ne somme que nous quatre. Vous vous rappelez combien on était nombreux au château ? Vous vous rappelez tout ce qu'il y avait à faire ? Que certains travaillaient tard ? Pour moi, il est clair qu'on doit entrer dans un groupe plus grand que le nôtre et tenir un château avec un grand groupe c'est plus sûr. A votre avis ? Est-ce sérieux de vouloir essayer seuls ?
- Non ! Dirent-ils en secouant de la tête peinés
- Et si on allait à Pirou ? Demanda Inès.
- Non, ils étaient clairs avec moi, s'ils étaient prêts à faire des échanges, ils ne veulent plus de nouveaux membres.
- On va où alors ?
- Je ne sais pas encore, on va essayer de se trouver une maison isolée et à l'horizon dégagé, pas trop grande et se débarrasser des mordeurs qu'on y trouvera !"
Sur ces derniers mots, elle roula en silence pendant une heure en sillonnant les routes de la côte ouest de la Manche et surtout au sud de Granville. Ils tombèrent sur une maison au sommet d'une colline. Aucun arbre ne pouvait gêner la vision, elle était juste un peu grande car le risque était toujours de trouver un mordeur caché dans une pièce non explorée. Ses nombreuses sorties avec Damien lui avaient apprit cela. Tant pis, ils feraient contre mauvais fortune bon cœur et se garèrent devant la porte d'entrée grande ouverte. |