L'aube venait à peine de poindre qu'ils étaient déjà prêt à repartir. Non sans avoir percé le crâne de deux ou trois "mordeurs du matin", ils reprirent leur route. La seule solution était de longer la rive est de la Rance, jusqu'à Dinan. Ils iraient à Dinard, une autre fois, s'ils avaient la chance de pouvoir s'installer.
Après avoir écumé Dinan, ils firent un tour rapide au supermarché de Plancoët et récupérèrent plutôt de la nourriture. La chance les avait accompagnés dans celui-ci, pas de mordeurs et beaucoup de nourriture. Sur la route de Plévenon, ils en profitèrent pour manger et se débarbouiller des éclaboussures de cervelles de cadavres. Pendant ce temps-là, Emmanuelle fit un rapide bilan de ce qu'ils avaient dans leur véhicule. Une bonne quinzaine d'arbres et d'arbustes, deux grandes caisses plastiques débordantes de graines, et de quoi nourrir une quarantaine de personnes pendant cinq-six jours. Il y avait aussi ces sacs de blé et d'orge qu'ils avaient gardés de Chanteloup.
"Bon, il y a longtemps que nous vadrouillons, nous n'avons pas rencontré beaucoup de monde, hein !? Et même là, nous avons eu tendance à fuir les gens.
- Fallait bien, certains étaient des cannibales ! Intervint Rodolphe.
- Oui, c'est vrai, quant aux autres, ils avaient une plus sale allure que nous. Là, nous allons arriver au Fort la Latte et il y aura plusieurs scénarios possibles. D'un, il n'y a plus aucun vivant et c'est remplis de mordeurs et il est impossible d'y entrer, ou alors ils sont trop nombreux, de deux, ce sont des vivants qui soit ne veulent pas d'autres vivants comme à Pirou, soit veulent se servir de nous pour notre stock ou autre chose.
- La loose ! Soupira Svein.
- Ouaip, et donc, il faut être aimable mais il faut se méfier. Vous avez vu comment on était bien à Chanteloup. Il faut que ce soit aussi bien. Je veux que vous jouiez les espions pour moi, vous vous promeniez avec les autres enfants. Toi, Inès, les femmes adorent que tu sois avec elles en cuisine, tu les y accompagnes et tu les écoutes parler. Méfiez-vous aussi de ce que vous dîtes sur nous.
- Mais si on commence comme cela avec eux, ce n'est pas bien ! Souffla Inès.
- Je suis désolée ma chérie mais ce monde est dur. Si on se rend compte que c'est aussi bien qu'à Chanteloup, on pourra souffler, se laisser aller et commencer à vivre, d'accord ? Par contre, dès que nous serons arrivés, vous ne criez pas et vous empêchez Anita d'aboyer, je dois pouvoir leur parler sans interférences, d'accord ?
- D'accord ! Dirent-ils en chœur !
Le Land Cruiser parcourut de tortueuses petites routes de campagne. La remorque sautillait dans les nids de poules. A un moment, ils passèrent devant le parking visiteurs du château. Puis ce fut un dernier zigzag, où ils virent le menhir et alors surgit dans toute sa splendeur le majestueux et imprenable château, le Fort la Latte.
Évidemment, le bruit de la voiture et de la remorque brinquebalant avait attiré les trois ou quatre mordeurs les plus proches. La jeune femme se gara juste à côté du premier pont-levis. Tous les quatre descendirent du Land Cruiser et affrontèrent les morts-vivants. Ils auraient pu s'arrêter là mais d'autres arrivèrent. Occupée à l'avant à contrer une grosse partie de l'attaque(elle ne les comptait plus), Emmanuelle ne vit pas sur son flanc droit, à cinq-six mètres que Svein était en difficulté. Alors qu'il peinait sous l'attaque d'un mordeur, sa tante courut vers lui avant de voir fuser une flèche droit dans le crâne du mort. Sans voir qui avait tiré, elle leva son pouce en l'air en remerciement.
Elle revint, Svein sur ses talons, vers les deux plus grands qui eux aussi commençaient à peiner. En quelques coups de sabres, aidés de tirs de flèches venant du premier châtelet, la petite famille en eut fini de la mini-horde.
Emmanuelle, suivie des trois enfants, s'approcha du premier pont-levis : "Bonjour, serait-il possible de parler à votre chef ?
- Attendez, nous allons le chercher !"
Pendant cette attente, la jeune femme s'assit sur un des murets du pont, tira son chiffon de la poche de côté de son vieux treillis et consciencieusement nettoya la lame de son katana. A cette vue, ses neveux firent de même en copiant en tous points la moindre attitude de leur tante.
"Eh vous ! Cria le garde par dessus le rempart.
- Oui ? Répondit Manue en se relevant
- Vous pouvez entrer mais vous devrez laisser vos armes au garde qui va vous accueillir !
- Pas de problème !"
Le grincement de la chaîne se fit entendre avec fracas, obligeant la famille à se retourner pour être sûr qu'aucun mordeur ne serait attiré par ce bruit. Un boum assourdi leur apprit que le pont était descendu. Ils empruntèrent alors le pont-levis avec entrain, ôtèrent le fourreau de leur poitrine et remirent la lame à l'intérieur. Pendant ce temps, la protection fut relevée. Emmanuelle et les trois enfants tendirent leurs armes au garde.
"Vous connaissez les lieux ?
- Oui, je l'ai déjà visité plusieurs fois depuis que je suis toute jeune !
- Bien, allez au deuxième pont, notre chef vous attend !
Alors que les chaînes grincèrent à nouveau, ils rejoignirent le deuxième châtelet et attendirent encore qu'on veuille bien leur ouvrir les portes. Apparemment, ils ne devaient pas apparaître comme assez dangereux pour lever aussi ce pont-là ! Cette fois, ce fut la herse en bois qui fut levée à mi-hauteur.
La petite famille fut accueillie par un groupe de cinq personnes. Un homme âgé d'environ cinquante-cinq ans s'approcha d'elle en souriant.
"Bonjour, je suis Henri Mahé, et je suis le chef de ce groupe et voici ceux qui me soutiennent, dit-il en montrant ses compagnons et lui-même.
- Bonjour, je m'appelle Emmanuelle Dufay, et voici mes neveux Rodolphe, Inès et Svein. Nous venons de Normandie, répondit-elle en lui serrant la main, imitée par ses neveux.
- Je vous présente aussi Gwen Kerforn, notre bricoleur. Le docteur Catherine Desriac, notre médecin. Notre "économe" et cuistot Mireille Moitier et enfin notre chef des Gardes, Landry Jehanne, un ancien militaire.
- Oh, comme moi ! S'exclama Emmanuelle après avoir serré la main de tous.
- Bien, il est de coutume à chaque nouveau arrivant de lui poser des questions, de le garder une nuit, et au matin suivant nous procédons à une réunion pour décider s'il reste ou non. Cela vous convient ?
- Oui pas de problème.
- Bien, suivez-nous dans le logis, vous pouvez laisser les enfants dehors, ils pourront jouer avec les autres.
- Non ! Nous restons avec tata ! Intervint Rodolphe qui fut appuyé par son frère et sa sœur opinant de la tête.
- Si cela ne gêne pas votre groupe, je préférerais qu'ils soient avec nous car ils sont concernés par ce que nous dirons. Et puis ce sont des enfants qui savent se tenir, ils ont été élevés comme cela.
- Pour moi pas de problème, et les autres ?"
Chaque membre de ce conseil donna son accord puis ils entrèrent dans le logis. La jeune femme et ses enfants les suivirent. Tout ce petit monde s'assit autour de la grande table à manger. Mireille leur proposa des cafés et des chocolats chauds ce qu'ils acceptèrent.
"Bon, vous venez donc de Normandie ? Racontez-nous votre parcours depuis le début de l'épidémie.
- Dans les premiers jours, je suis restée chez moi, sans plus arriver à joindre qui que se soit parmi mes proches. Je suis donc allée chez mes parents et je les ai trouvés transformés ainsi que mon frère et ma sœur, et leurs conjoints ainsi que les enfants de ma sœur. Je suis allée récupérer les enfants de mon frère.
- Qu'avez-vous fait de votre famille de marcheurs ?
- Cela ne vous regarde pas, répondit-elle froidement. J'ai proposé à mes neveux d'essayer de vivre dans un des châteaux-forts de notre région. Le premier, Gratôt, avait brûlé, au deuxième, Pirou, on nous a refoulé en nous tirant dessus puis on nous a accepté et intégré au Château de Chanteloup. Nous avons passé tout l'été et l'automne avec eux, en participant aux récoltes et formations. Au retour d'une mission diplomatique auprès de Pirou, j'ai trouvé Chanteloup envahi de mordeurs et plein de cadavres d'humains mangés. Apparemment, un membre avait ouvert la porte arrière sous la colère et la dépression. Après, nous avons erré tout l'hiver, revenus un mois à Chanteloup, repartis sur les routes. Puis, j'ai proposé de tenter Fort la Latte qui est grand et imprenable et nous voilà.
- Qu'avez-vous comme compétences ?
- Nous étions astreints à Chanteloup à suivre les activités et les formations par roulement. Ce qui fait que nous avions commencé à développer des compétences en combat, en cuisine, en agriculture, en soin animalier, en bricolage, en médecine, etc... J'étais spécialisée dans les missions de ravitaillement en matériel et nourriture. J'entraînais aussi les membres au tir à l'arc.
- Que cherchez-vous ici ?
- Un lieu hautement imprenable ! Une communauté où tous les membres ont de l'importance et en font partie intégrante. J'ai eu connaissance, et fui, des groupes où certains étaient des esclaves domestiques et/ou sexuels. Avec mes neveux, avant de venir ici, nous avons pris une remorque que nous avons remplie d'arbres et arbustes fruitiers, de plantes, et un gros stock de graines alimentaires. Nous avons aussi récupéré un maximum de nourriture comme preuve de notre bonne foi et de notre motivation.
- Vous dîtes que c'est parce que le château est imprenable que vous avez voulu venir ici ? Questionna Landry.
- Oui, personne ne peut y "ouvrir" de portes arrières, ce sont de "vrais" pont-levis pour accéder au Fort et non pas de simples ponts suivis d'une pauvre porte en bois, la descente des ponts est assez bruyante pour que vous puissiez contrôler qui l'ouvre sans ordre. Vous êtes protégés non seulement des mordeurs mais aussi des attaquants humains. C'est un lieu de rêve comme il y en a peu parmi les châteaux-forts de l'Ouest ! Et je veux pouvoir y mettre mes neveux à l'abri, je me le suis promis... quand j'ai vu mon frère mort !"
Ses dernières paroles laissèrent tout le monde silencieux. Elle vit qu'Inès et Svein avait les larmes aux yeux. Leur père leur manquait fortement à tous les deux, il se faisait un point d'honneur à toujours avoir des activités avec eux et leurs souvenirs de lui devaient être légion.
Henri se leva et regarda la petite famille : "Bien, Catherine va vous emmener à l'infirmerie pour vous faire un petit bilan, puis Mireille vous emmènera à la tour pour vous montrer où vous dormirez.
- D'accord, mais pourrions-nous récupérer ma chienne Anita ?
- Vous avez un chien ?
- Oui, elle est très silencieuse et m'aide à la chasse.
- Nous ne pensions plus voir d'animaux de compagnie, Landry va aller la chercher. Vous avez laissé la clé sur la voiture ?
- Oui !"
Le médecin leur indiqua la sortie et c'est le cœur plein d'espoir qu'ils la suivirent.
Pour découvrir ce château, un lien internet : www.castlelalatte.com |