Minuit était passé, il était plus d'une heure du matin. Une silhouette allait et venait sur le rempart du premier châtelet, tout en regardant la vieille montre bracelet de son grand-père. L'angoisse étreignait le cœur de Landry.
"Je te jure que tu vas m'entendre Emmanuelle Dufay. Le jour de notre mariage en plus.
- C'est bien ce que j'ai dit l'année dernière, tu es un vrai grincheux !
- Manue, tu es enfin revenue ! Descendez le pont-levis !"
La jeune femme s'avança sur le pont et son fiancé eut la surprise de la retrouver complètement trempée et dégoulinante. Des traces sanglantes et noires prouvaient qu'elle avait dû affronter des rôdeurs.
"Tu te rends comptes que tu es enceinte et qu'en plus nous devons nous marier à 10 heures ce matin?
- Oui, oui, je sais, mais regarde mon bouquet, il est magnifique non ?"
Elle lui montra un mélange de branches de cerisier en fleurs et des brins de genêt jaunes. L'originalité du bouquet fit ricaner Landry.
"Un peu rustique ton bouquet !
- Oui, mais le cerisier représente l'espoir et le genêt que des êtres forts peuvent survivre dans ce monde abrupt.
- Ma chérie, tu me dis sans cesse que je suis un poète mais je n'ai rien à t'envier. Allez, viens, il est l'heure de te coucher."
Elle se pelotonna contre lui tout en grelottant. Une fois arrivés dans leur tour, Landry déshabilla sa compagne et la réchauffa avec une couverture puis la fourra dans le lit. Une fois qu'il l'eut rejointe, elle se lova contre lui.
Il était à peine 8 heures quand Mireille et Karine vinrent les réveiller pour se préparer. Un plateau richement garni d'un petit déjeuner copieux fut posé sur le futur lit conjugal. Manue se mit à toussoter un peu et se racla la gorge.
"Voilà ce que c'est de se promener la nuit sous la pluie, ricana son fiancé.
- Non, elle a fait cela ? S'exclama Mireille.
- Ben oui, il me fallait un bouquet de fleurs.
- Tu n'as trouvé que cela ? Ria Karine en regardant les branches sur la grande table.
- Ben, ce sont des belles fleurs ! Croassa Manue la gorge irritée et vexée que l'on critique ses fleurs.
- Je vais te les arranger tes fleurs, tu verras, il sera superbe ton bouquet, la consola Karine.
- En attendant, Landry, je constate que tu as déjà bientôt fini ton repas, il va falloir que tu sortes. Nous devons habiller la mariée et la coiffer, intervint Mireille.
- Ok, ok, j'y vais !"
Pendant que Karine travaillait à transformer des branchages en bouquet de mariée, Emmanuelle se faisait habiller par l'économe et sa nièce d'une robe blanc cassé recouverte de dentelles. Rodolphe, Romain, Mireille et Inès étaient allés dévaliser les magasins de mariage et avaient décidé de faire un stock de robes et d'accessoires pour les futurs mariages. Puis ils avaient emmené la ravitailleuse dans le grenier où tout le matériel était en sécurité. Elle avait eu grand mal à choisir mais avait trouvé cette magnifique robe à la coupe princesse. C'était clairement une robe d'artiste et la jeune femme avait bien vu que les dentelles étaient superbes et anciennes. Des chaussures et un voile perlés finirent la tenue.
Emmanuelle n'avait pas vu le temps passer et se sentait fatiguée. Sa gorge était irritée et elle passait son temps à la racler. Henri arriva au donjon et la prit dans ses bras. La jeune femme l'interrogea : "Que fais-tu là ?
- Ben, ils ne t'ont pas dit ? C'est moi qui t'emmène à l'autel !
- En fait, mon propre mariage m'a complètement échappé, je n'ai pu que choisir la robe et les fleurs de mon bouquet ! Donc, c'est une surprise !
- Ce n'est pas bien grave ! Allez viens, on y va !"
Ainsi, la petite troupe emmena la jeune femme jusqu'à la chapelle. A l'entrée du petit bâtiment, elle fut surprise de la voir bondée par la totalité de la population, même les plus athées. Ils étaient tassés comme des sardines mais leurs visages étaient souriants et la rendirent encore plus heureuse, si possible.
Le fin de la cérémonie et du reste du mariage lui donnèrent l'impression d'être dans un nuage de coton. La béatitude de son union et la fièvre qu'elle sentait monter devaient en être responsables. Au cours du repas, elle ne fit que picorer. Puis vint le moment des danses. Les ouvriers avaient installé un parquet près du four à boulet. Alors que Landry prit sa nouvelle épouse par la main et l'emmena pour débuter le bal, les deux uniques musiciens démarrèrent par une valse et après seulement deux tours, la jeune femme s'écroula. Landry la retint in extremis. Elle était évanouie.
Catherine indiqua l'infirmerie de la tête et suivit le jeune marié. Tout le monde s'inquiéta. Henri demanda aux musiciens de reprendre la musique et poussa les habitants à danser à nouveau.
Inès et ses frères avaient eux aussi accompagné le couple et le médecin. Ils eurent le droit d'entrer. Le chirurgien était en train d'ausculter la jeune mariée. Cela dura une bonne dizaine de minutes puis elle se tourna vers la famille de Manue.
"Et bien, elle a une forte fièvre, plus de quarante degrés, et ses poumons sont touchés. On dirait une grippe mais je suis inquiète, cela pourrait virer à la pneumonie !
- Elle est dans le coma ? Demanda innocemment Svein.
- Non mon chéri, elle est juste inconsciente parce qu'elle fait de la fièvre."
Toute la nuit la famille se relaya au côté de la jeune femme. Puis, le lendemain, en fin de matinée, ils étaient tous là. De même, Henri, Karine, Romain et Mireille étaient aussi à ses côtés.
Sa fièvre était élevée, elle était montée dans la nuit à quarante et un degré. Alors que tout le monde chuchotait, la malade commença à s'agiter et à doucement pleurer.
"Maman, maman, pardonne-moi... Herulf, mon frère chéri, ooh, oh, j'aurais tant voulu... Pourquoi, pourquoi vous m'avez... obligée à vous tuer, pourquoi ! Oh maman, j'aurais voulu... voulu vous épargner... mais... oh, vous auriez tué des vivants ! Pourquoi vous m'avez attaquée ! Oh, Papa ! Oh, mes pauvres neveux comment leur dire ! Maman, je ne t'ai pas reconnue, ce n'était pas toi ! Oooooh ! Pourquoi ?"
Sur ces mots, elle retomba dans l'inconscience et tous ses proches se regardaient. Rodolphe s'approcha d'elle et passa sa main sur son visage.
"Comment elle peut s'en vouloir ? Nous savons que nous sommes obligés de les tuer !
- Vous étiez encore jeunes et innocents quand elle est venue vous chercher, elle a voulu vous préserver, dit Mireille.
- Moi, je le savais déjà ! Intervint Svein. Je l'ai entendu en parler au Doc.
- Elle te l'avait raconté, Cat ? Demanda Henri.
- Oui ! Elle le vivait très mal !
- Je m'en doutais un peu ! Souffla Inès. Comme elle ne nous en parlait jamais, je pensais qu'elle avait dû les tuer. Elle est venue nous chercher, elle s'est occupée de nous, elle nous a appris à nous défendre, elle nous a appris à faire plein de choses. Je suis d'accord avec Rodolphe, comment elle peut s'en vouloir ?
- La culpabilité est un sentiment très fort et très difficile à évacuer, intervint Henri.
- C'est pour cela qu'elle ne s'arrêtait jamais, toujours en train de travailler à notre survie. Et bien, quand elle se réveillera, je lui dirai que je sais tout, et qu'il faut qu'elle sache que je lui suis très reconnaissante de m'avoir maintenue en vie, et que grâce à elle maintenant nous ne sommes plus en train de survivre mais bien de vivre et que je l'aime plus que tout ! Finit de dire Inès.
- Moi aussi ! Opinèrent ses deux frères.
- Vous savez les enfants, quand vous êtes arrivés, il y a 2 ans, je me demandais pourquoi votre tante s'était chargée de vous, pourquoi dans le monde abominable où nous vivions, elle avait prit le risque de se mettre un tel fardeau sur le dos. Je comprends mieux après tout ce temps, car je connais votre personnalité à tous les trois, votre gentillesse, votre loyauté et votre force. Elle ne pouvait pas vous abandonner car elle vous aimait déjà à cette époque, souligna Mireille.
- Veux-tu que je te dise, Mireille ? Dit à son tour Landry. En vérité, elle aussi est gentille, loyale et forte."
Sur ces derniers mots, ils se sourirent tous, pleinement d'accord.
Trois jours après son mariage, la jeune femme était sortie de l'inconscience et de cette forte grippe. Elle s'inquiéta de la viabilité de son bébé et si la communauté avait souffert d'une attaque d'humains ou de morts.
Tous ses proches lui racontèrent son délire. Ses neveux lui apprirent que loin de lui en vouloir d'avoir achevé leurs parents, ils lui étaient reconnaissants de s'être occupé d'eux. Les trois jeunes adolescents et son époux lui rappelèrent qu'ils l'aimaient et qu'ils étaient tous forts et qu'elle pouvait enfin poser le fardeau et se reposer. |