L'été touchait à sa fin et la population du Fort était enchantée que les récoltes de céréales de cette troisième année d'épidémie soient aussi belles et abondantes. Les fruits et légumes avaient été tout aussi généreux.
Le petit Herulf avait maintenant un mois et tétait assidûment le sein de sa maman, Emmanuelle. Elle était assise sur un des bancs de pierre de la fenêtre principale. En face d'elle, Inès révisait ses cours de médecine. Sa tante trouvait que quinze ans, c'était trop tôt mais Catherine lui avait dit que la passion pour les soins rendait Inès très assidue mais surtout hyper-compétente. En souriant, par la fenêtre ouverte, elle contempla le paysage maritime et la côte déchiquetée. Elle soupira aussi. Les sorties de ravitaillements et affronter deux ou trois mordeurs lui manquaient. Le pire était que plus jeune, elle se voyait épouse, mère et femme au foyer. En ce jour, elle voulait se dégourdir les jambes. Elle voulait courir, avoir peur et devoir se battre. Tant de femmes dans le monde devaient rêver de son style de vie. Elle, elle s'ennuyait et ne savait pas comment tromper cet ennui.
Son fils avait fini par s'endormir en mangeant, elle le mit dans le petit berceau en bois que Gwen avait fabriqué pour le bébé. Elle le recouvrit soigneusement puis s'adressa à sa nièce : "Il dort, il est repu ! Je vais voir les autres et me dégourdir les jambes ! Je te confie Herulf.
- D'accord, je le surveille ! Répondit la jeune fille en se rapprochant du berceau. A tout de suite !
- A tout' !"
Elle put enfin s'échapper et décida d'aller voir Henri et les autres qui avaient commencé une petite réunion concernant des mordeurs. Elle y vit plusieurs gardes et patrouilleurs dont ces propres équipiers, Rodolphe et Romain.
"Moi je dis qu'il faut les dézinguer tous dès maintenant et brûler leurs cadavres ! Hurla Landry.
- Seulement rien ne dit qu'ils ne viendront pas encore plus nombreux, tempéra Henri.
- Et il faudrait attendre la horde suivante ? Cria Landry.
- Non mais il nous faut savoir ce qui les attire dans ce cul de sac qu'est notre refuge.
- Tout ce que je sais c'est qu'ils mettent à mal la première clôture ! Intervint Hugues. En plus, elle est loin du château, ils ne devraient pas nous entendre !
- Surtout que nous travaillons à la main dans les champs ! Dit Mireille. Nous ne pouvons pas être si bruyants ?
- Avez-vous pensé que les vivants ont tellement bien appris à se défendre contre eux, ou à l'inverse qu'il reste si peu d'humains, que leur source de nourriture s'est tarie et que leur instinct carnassier ait pu se développer ? Et que le peu de bruits de nos activités suffisait à les attirer, intervint Emmanuelle.
- Ce n'est pas faux, mais quoi faire ? Demanda Henri.
- Dîtes-moi, Hugues et Mireille, est-ce qu'il y assez de terrain pour nourrir tout le monde ? Demanda Rodolphe
- Bien sûr, on a assez agrandi avec les trois clôtures pour avoir suffisamment de place pour les animaux et les cultures ! Répondit Hugues.
- Vous êtes sûrs ? Notre stock peut tenir un hiver et un printemps ? Reprit Rodolphe.
- Tout à fait ! Opina Mireille.
- Alors je propose que l'on commence à penser à la possibilité de fabriquer un mur d'enceinte en dur, juste derrière la 3ème clôture en commençant par les extrémités.
- Avec quoi ? Interrogea Gwen.
- Des pierres, des parpaings qu'on va aller prendre dans les murs de toutes les maisons alentour !
- Et le béton ? Réclama Hugues.
- Il va falloir faire le tour de tous les magasins de bricolage ! Vous vous doutez bien que la plupart des survivants ne pensent pas à ce genre de choses... et nous risquons de trouver des matériaux en grande quantité ! Non ?
- Pffff, encore du boulot ! Dirent en même temps Gwen et Hugues, occasionnant un grand éclat de rire de tous les participants.
- Hihihihi, cela... cela veut dire que cela vous plaît comme idée ! Interrogea Rodolphe.
- Bien sûr que cela nous intéresse ! Sourit Henri.
- En attendant, il va falloir aller dézinguer la horde qui est là ! Ronchonna Landry.
- Ils sont combien d'après toi ? Demanda Henri.
- Une grosse cinquantaine !
- Ah ouais quand même ! Bon, la journée est bien entamée ! Demain, les guerriers, et ceux qui maîtrisent l'achèvement des rôdeurs, iront nous débarrasser de cette horde. Aussitôt après, il va falloir accompagner les ravitailleurs pour aller chercher du matos. C'est Ok ?
- Ok !" Dirent-ils tous en chœur.
Rodolphe fut vite entouré des ses amis et de ses proches le félicitant pour cette idée. Landry se dirigea vers son épouse et d'un mouvement de tête l'invita à le suivre vers le quartier des gardes. Elle le rattrapa sans tarder et le prit par la taille. Il s'arrêta et la prit à bras le corps, la soulevant dans les airs. Puis il plaqua un baiser très amoureux sur les lèvres de la jeune femme. Elle était toujours ébahie de sa force et de sa haute taille. Il la reposa et prit sa main.
"Dis Landry ?
- Oui ma chérie ?
- Quand pourrai-je reprendre les tournées ?
- Plus jamais !
- Quooooi ?"
Elle s'arrêta brusquement, posa ses mains sur ses hanches et les sourcils froncés démontrèrent sa très claire désapprobation.
"Comment plus jamais ?
- Tu es une mère maintenant et il y a assez de guerriers et de jeunes très motivés pour faire ce que tu faisais !
- Je sais que j'ai été fiévreuse mais il me semble que le père Antoine a respecté ma demande que soit enlevé le mot "obéissance" à notre mariage, non ?
- Chérie... tu es en train d'allaiter ! Que se passerait-il si tu te retrouvais bloquée dehors ?
- Je m'en fiche, ce n'est pas à toi de décider si je peux sortir, seulement quand et seulement en tant que chef des soldats. Je suis venue ici en tant que soldat. Je le suis encore.
- Et si tu retombes enceinte ? Tu ne pourras plus y retourner comme cette année !
- Ooooooohhhh, tu sais quoi, "chef" ?
- Non !
- Et bien, tu n'es pas prêt d'essayer de me faire un bébé avant longtemps et tu vas me faire le plaisir de dormir dans ton ancienne chambrée avec les garçons jusqu'à ce que je change d'avis.
- Mais chérie..."
Ne l'écoutant plus, elle fit demi-tour et repartit vers le donjon. Il ne la suivit pas car il devait donner ses ordres à ses hommes.
Une fois arrivée, elle prit les sacs de son mari et en fourra ses affaires... puis elle descendit et remonta plusieurs fois pour balancer ces mêmes affaires dehors, au pied de la tour. Puis, elle accueillit dans ses bras son fils qui la réclamait.
"Ton père est un imbécile, grincheux et rustre, mon ange. Et il va devoir changer d'avis."
Sa nièce essaya de lui parler mais elle refusa de s'expliquer. Elle ferma la porte à clé. Elle prépara à manger dans la cheminée pour sa nièce et elle. Et quand il essaya de rentrer puis frappa à la porte en l'appelant, elle fit la sourde oreille. Bien évidemment, elle dormit très mal, la place vide à côté d'elle étant inhabituelle.
Le lendemain matin, une fois qu'elle eut allaité son fils, elle prit ses armes et se rendit au premier pont-levis avec les autres. Landry la regardait avec insistance mais elle l'ignora avec hauteur. Elle enlaça ses anciens co-équipiers qu'étaient Rodolphe et Romain.
Ils formèrent tous une petite troupe d'une douzaine de personnes. Une fois arrivés à la troisième clôture, ils levèrent les yeux vers le garde de la tour. Et Landry demanda : "Tu ne m'avais pas dit qu'ils n'étaient qu'une cinquantaine ?
- Oui, chef, mais une petite quinzaine est arrivée cette nuit !
- Ce mur va devenir très urgent !" Ronchonna leur capitaine.
Ils commencèrent alors à transpercer les crânes des rôdeurs avec méthode et opiniâtreté. Quand ils virent que le tas de cadavres s'accumulait dangereusement contre le grillage, il fut décidé de sortir pour les en éloigner quelque peu.
Ce fut au coude à coude et après avoir refermé la grande barrière derrière eux qu'ils affrontèrent les mordeurs. Ils virent au loin une mini-horde s'approcher. Alors qu'ils continuaient un de leurs gardes, un certain Matthieu, se fit dévorer parce qu'il avait eu la sottise de s'écarter du groupe.
"Merde, merde, merde ! Que vais-je dire à sa mère ? Grogna Landry.
- La vérité, qu'il est mort au combat en protégeant le fort, souffla Manue. Par contre, il y a un problème !
- Lequel ?
- Le fait que des hordes de dix ou quinze mordeurs viennent ici s'agglutiner !
- Toi, tu soupçonnes des vivants derrière tout cela ?
- Oui ! C'est certain ! On a été pratiquement tranquille pendant un an et demi avec seulement un ou deux mordeurs et comme par hasard un petit paquet d'entre eux arrive avec une régularité étrange depuis quelques jours.
- Il va falloir reprendre des patrouilles avec la même efficacité que l'année dernière et trouver qui "s'amuse" à nous les envoyer !
- Tu as tout à fait raison, nous sommes en danger d'invasion par des humains assez pervers pour utiliser les mordeurs et il va falloir en parler en réunion dès ce soir avec Henri.
- C'est bon ! Rentrons, comme d'habitude utilisez les chariots et balancez les cadavres à la mer !"
L'ensemble du groupe repartit vers le château en discutant énergiquement sur les mordeurs qu'ils venaient de dézinguer et sur la mort de leur équipier. Quant au jeune couple, les événements les avaient à nouveau rapprochés et Landry déposa un baiser affectueux sur le front de sa femme.
A peine arrivés, Henri fut mit au courant de cette migration inquiétante des morts vers leur lieu de vie. Tous les habitants eux aussi trouvaient cela bizarre. Il fut décidé de remettre en place des patrouilles plus intenses comme Landry en avait eu l'idée. |