Un sourd et léger gémissement se fit entendre dans la pièce. Et la silhouette en position de fœtus sortit de sa semi-inconscience. Un coup de langue sur le visage acheva de la réveiller. Des yeux bleus s'ouvrirent sur la truffe humide et le regard inquiet d'un grand chien noir. Ce visage ovale s'illumina pour la première fois d'un sourire sincère depuis des semaines. Hélas, elle tourna la tête vers le canapé de ses parents. Elle revit alors la scène de l'avant-veille.

Après quelques jours à vivre sur le peu d'aliments dont elle disposait, elle était partie de son appartement de cette petite ville de la Manche avec sa chienne beauceronne, Anita. Elle avait récupéré couteau, dague médiévale et avait remplit son grand sac à dos de tout le matériel dont elle se servait pour randonner.

Avant que le blackout soit total sur tout le territoire, elle avait profité des derniers messages et informations que les Américains avaient pu faire circuler en masse sur le net. Elle avait transféré le tout à un maximum de ses contacts. Il fallait que les gens sachent.

Elle était descendue avec sa chienne de son 3ème étage. Hélas, elle avait dû "achever" une de ses voisines qui avait cherché à manger Anita. Sa dague médiévale était partie au travers de la trachée de la "mordeuse" pour transpercer son cerveau reptilien. Sur le trajet vers sa voiture, elle dut faire de même avec trois autres qui tentèrent de les attaquer. Une fois sur la route du domicile parental, soit une vingtaine de kilomètres, elle profita de la maniabilité de sa Twingo pour éviter les voitures et les mordeurs qui encombraient la quatre voies.

Elle fut soulagée de constater qu'effectivement comme l'indiquaient les ricains, les mordeurs étaient plus présents dans les villes que dans les campagnes. Elle arriva chez ses parents mais le bruit de la voiture attira les voisins. Elle dut en tuer une petite dizaine en laissant sa chienne dans la voiture avant de pouvoir se retourner vers la barrière. Elle vit s'approcher son petit frère et sa belle-sœur transformés. Les pleurs coulèrent sur ses joues. Elle souffla le mot "adieu" et après quelques secondes d'hésitation leur transperça le crâne.

Elle vit un mot accroché à la chemise de son frère. De nombreuses taches de sang cachaient les mots mais après quelques minutes, elle put lire : "nos enfants sont chez nous, veillez sur eux si nous sommes transformés", leur adresse complétait l'information. Elle rentra sa voiture dans la cour.

Elle s'approcha de la maison et ne vit rien par les fenêtres. Elle entra lentement suivie par Anita et elle découvrit son père en train de manger un de ses chiens. Trop occupé à dévorer, il ne sentit pas l'attaque venir. Elle entra dans la salle à manger et trouva sa mère manger l'autre chien, tandis qu'elle eut un mouvement de recul. Une horreur sans nom se déroulait sous ses yeux. Sa propre sœur et son mari étaient en train de dévorer leurs propres enfants.

Au grognement de sa chienne, ils se tournèrent tous les deux vers elle. Toute tremblante et effarée de les voir manger leurs enfants, elle tua les deux cannibales rapidement. Alors qu'elle se penchait vers ce qui restait de ses pauvres neveux, sa mère, ou ce qu'elle était devenue, décida de changer d'alimentation et l'attaqua. Elle gémit, pleura, se débattit contre celle qui l'avait mise au monde. Alors que tuer les autres n'avaient pas posé plus de problèmes que cela, poignarder le cou de sa mère lui posait problème. Elle réagit seulement quand elle entendit et vit Anita essayer de la protéger. Elle repoussa la mordeuse et planta sa dague par le sommet du crâne. Elle lâcha l'arme et s'écroula complètement apathique.

C'est de nombreuses heures plus tard que sa chienne l'appela en gémissant. Elle prit alors le Land Cruiser de son père et commença à charger le hayon. Elle utilisa la pompe de son père pour siphonner les voitures de sa mère, de son frère et de son beau-frère et remplir des bidons. Elle savait que son père mettait un point d'honneur à ce que son 4x4 ait le plein en toutes circonstances.

Elle prit les cannes à pêche, les fusils de chasse et les munitions de son père qu'elle fourra dans le gros véhicule. Elle récupéra son arc médiéval et ses flèches, ainsi que les accessoires de tir qu'elle avait laissé dans leur cave. Elle réunit aussi l'ensemble du stock de conserves et bocaux de ses parents dont elle remplit des cartons. Sa chienne monta avec plaisir dans le Land Cruiser et elle quitta la maison de ses parents sans plus un regard en arrière.

Son frère n'habitait qu'à quelques kilomètres de ses parents et elle y arriva en moins de 10 minutes, non sans avoir croisé un ou deux mordeurs. Les zig-zags des petites routes de campagne terreuses ne posèrent aucun problème au Land Cruiser. Quand elle arriva à la barrière, elle était fermée à clef. Elle laissa sa chienne dans le 4x4 cette fois-ci, il n'était pas question de la laisser sortir et se mettre en danger.

Elle grimpa par-dessus la barrière, toujours armée de sa dague. Elle toqua doucement à la porte et attendit. Elle toqua à nouveau et toujours pas de réponse. Elle n'avait trouvé aucune clef de son frère sur sa voiture ou sur lui, il avait dû les perdre au cours de ses pérégrinations de mordeur. Soudain, un sanglot sourd se fit entendre, suivit d'un « qui c'est ? ». Elle répondit : « c'est moi, tata Manue ! ». Alors, elle vit sa nièce lui ouvrir la porte, elle la repoussa aussitôt à l'intérieur en verrouillant le vantail. Inès enlaça sa tante à lui en faire mal.

« Oh, tata, le téléphone ne marche plus, on n'a plus aucune nouvelle de papa et maman, ni de mamet et papy ! Sanglota-t-elle

- Qu'est-ce qu'y s'passe ? réclama son frère aîné, Rodolphe.

- Avant tout, est-ce que Svein est là ?

- Oui, il dort !

- Bien, il va bientôt faire nuit, nous allons dormir ici et demain à la première heure nous partirons.

- Et papa, et maman ? Demandèrent les deux aînés.

- Ils sont morts, mes chéris ! »

Elle expliqua à ses trois neveux, car le plus jeune venait de se réveiller ce qu'il se passait dans le monde. Ils pleurèrent beaucoup et allèrent dormir. Elle fit entrer sa chienne dans la maison et commença à préparer leur départ.