Tummuus décida qu'il était temps de partir le lendemain de ma discussion avec Sulous. Nous mangeâmes un dernier repas et nous fûmes enfin prêts. Le petit n'avait pas très envie de reprendre la marche, mais il n'avait d'autre choix. De toute façon, je ne l'aurais pas laissé seule en leur compagnie et il ne serait pas resté par lui-même si on lui en avait laissé le choix. Je ne pouvais imaginer ce qu'ils pouvaient lui faire si je refusais de l'emmener avec nous.
Je partis donc en compagnie de la louve, qui finalement était devenue mon amie, et de mon petit d'adoption. Tummuus ne me dit même pas un mot avant le départ et par dépit, j'en fis de même. C'était à peine s'il osa lever le regard sur celle qui avait accepté de jouer le rôle de sa compagne pendant tout ce temps. Aucune reconnaissance, rien ! Il était évident qu'il souhaitait que je disparaisse au plus vite malgré que je n'eus jamais mis en doute son autorité. La preuve était bien devant lui pourtant : je partais pour un endroit presque inconnu, courant après le danger parce qu'il m'avait dit de le faire. Enfin c'est ce qu'il croyait. Je dis au moins, au revoir aux deux derniers survivants de la tuerie et leur tournai le dos pour entreprendre ce voyage que j'estimais à environ cinq couchés de soleil. Je n'avais été dans cette partie de mon territoire qu'une seule fois durant toute mon existence avec mon ancienne meute. On y était allé pour régler des différents avec le groupe des ours qui vivaient sur les mêmes terres. Et c'était bien pour cela que je n'y étais jamais retournée, l'endroit leur avait été cédé dans une entente cordiale.
Aujourd'hui, je me devais de m'y rendre pour faire plaisir à ce nouveau chef qui ne cherchait qu'à m'éliminer, mais bien sur, je ne me résignerais pas à une telle chose. Je ne souhaitais plus du tout mourir. J'avais un petit qui avait entièrement besoin de moi, et Sulous ne survivrait peut-être pas très longtemps en tant que louve isolée. J'avais maintenant une mission ou plutôt un projet à mener à bien, et je ferais tout ce qu'il était en mon pouvoir pour arriver à mes fins. Si aujourd'hui je partais, ce n'était pas pour revenir, mes au revoir étaient, en fait, des adieux. Pour l'instant, je n'avais aucun plan de fait pour nous évader. J'avais la très nette impression que Tummuus ne serait pas dupe et laisserait aux autres le soin de nous guetter sur une bonne partie du chemin pour être sûr que nous gagnerions le rocher comme prévu.
Et raison me fût donné de penser ainsi, en fin d'après-midi, lorsque le vent changea soudain de direction et m'apporta l'odeur de nos condisciples. Ils nous suivaient bel et bien de loin. Discrètement, pour être sûre qu'ils ne m'entendaient pas, bien que je les savaient encore loin, je fis part de mes appréhension à ma compagne de route. Laissant Kartotus le temps de se reposer, nous décidâmes de prendre une pause pour discuter un peu de ce que nous pensions faire. En parlant le plus bas possible, je me rendis bien vite compte, sans surprise, qu'elle avait exactement la même idée que moi. Nous convînmes alors de nous rendre jusqu'au rocher, afin de ne pas semer le doute dans l'esprit de nos escortes supposément invisibles. Nous aurions probablement voulu faire autrement afin d'éviter une quelconque confrontation avec ours ou autres, mais si nous fuyons avant, les deux loups pourraient avertir Tummuus dans un court délais et ainsi nous serions rattrapées en moins de deux. Alors, nous reprîmes patiemment notre chemin, le cœur soudainement plus léger. Il nous semblait que ce simple plan, très peu élaboré, nous poussait à aller jusqu'à but et à espérer une vie meilleure. Nous allâmes même jusqu'à éclater de rire lorsque Karkotus reçu une baffe par retour de coup d'une branche de sapin dont les épines se répandirent en tapis autour de lui. Tout piteux, il reprit sa place à nos côtés et marcha silencieusement jusqu'aux couché du soleil.
Sulous dormait déjà depuis un bon moment. Quant à Karkotus, il était callé le long de mon flanc gauche et roupillait allègrement l'esprit libre de tout souci. Je ne le connaissais que depuis peu, mais il me semblait qu'il avait déjà grandit de beaucoup. Le seul fait qu'il puisse enfin agir comme un jeune de son âge semblait l'avoir changé. Je tournai mon regard vers le ciel étoilé. La lune brillait en grand dans le firmament, elle me rappelait ma vie passée auprès de mon fidèle compagnon, pour qui je ne pourrai jamais oublier mon affection. Je m'en apercevais de plus en plus, en passant, le temps n'arrivait à l'effacer.
Le nez toujours au ciel, je ne fus pas surprise de sentir l'odeur familière des deux loups qui nous suivaient. Ils devaient s'être arrêtés quelque part à une cinquantaine de mètres de nous. Je me demandais ce que Tummuus pouvait bien faire tout seul, resté au camp. |