Chapitre 2.3 : Shane ・ Lonely Day
Je mate le ciel par la p'tite fenêtre de ma chambre. Ma clope rejoint doucement ses copines dans le cendrier à côté du lit, tandis que mon autre main laisse courir la pointe d'un crayon sur le papier blanc d'une feuille. Ce dessin ne représente rien, une fois de plus. Il ne dévoile rien de moi. C'est juste une amalgame de traits et de points sans matière ni forme définie, qui s'assemblera peut-être un jour, si je suis motivé, en un ensemble cohérent et construit comme les aiment mes profs. Foutus profs, pas fichus de me laisser vivre ma vie en paix, toujours à essayer de s'impliquer pour « le bien-être » de leurs élèves. Se rendent-ils seulement compte qu'ils les étouffent, ces précieux élèves sur qui ils basent leur vie ? Ils me dégouttent, tous, avec leurs sales manies. Au moins autant que les psy et les hôpitaux. Trop blancs, lisses, fades, ternes... Dangereux.
Tu sais, Cian. J'ai mis un mois avant de comprendre qu'on ne me laisserait pas crever comme toi. Ils avaient même mis les contentions en caoutchouc autour des poignets. On me nourrissait à la becquée, avec de la purée ou de la compote, tout doucement, comme un bébé ou un petit vieux. Il paraît même que j'ai tenté de me couper la langue avec les dents, au tout début. Tout ça pour que je n'aille pas de ton côté. Ils sont cons, les adultes, tu sais.
Moi aussi, sans doute. Non, sûrement, même. Après tout, si j'étais moins con, je serais en train de faire la fête avec mes petits camarades d'infortune, et on se plaindrait joyeusement des profs trop sévères, des parents lourds à force de nous materner, et aux petits tracas d'adolescents majeurs et vaccinés qui ont la vie devant eux. Une petite existence palpitante, n'est-ce pas?
Bien conforme à tous les désirs des autres, à écraser nos propres désirs. Mais je n'ai plus la force de m'insurger, encore.
Tout ce que j'avais à défendre s'en est allé sans moi. |