Chapitre 3.3 : Shane・Parle-moi
J'ai décidé de prendre l'air. Mon appart' enfumé devient presque irrespirable. J'ai fumé toute la matinée, au point que même mon repas avait un goût et une odeur de clopes. J'ouvre la fenêtre, remonte la capuche de mon sweat noir et sors, les écouteurs dans les oreilles. Au menu cet après-midi, celtique et métal.
Dans mon sac, mon cahier de dessin me frappe régulièrement la cuisse. C'est rassurant, comme présence. Ma seule liberté, c'est le dessin. Mon seul moyen d'expression, la seule raison pour laquelle je n'ai pas essayé de te rejoindre, Cian, c'est le dessin. Ce pour quoi je t'ai trahi. C'est ironique, n'est-ce pas, la manière dont je m'accroche à ce qui t'a condamné.
Non, ce n'est pas le dessin qui t'a condamné. Ce sont tous ces gens qui se sont acharnés sur nous, qui nous reprochaient notre lien, le seul véritable que nous ayons. Qu'avions-nous fait de mal, à vouloir simplement être ensemble ? Pourquoi ont-ils tous voulu nous séparer, comme ça, sans nous demander notre avis ? Je ne comprends pas. Huit ans après, je ne comprends toujours pas, je refuse de comprendre ce que l'on m'a pourtant expliqué des dizaines de fois.
Maman dit que c'était pour notre bien. Qu'elle voie où ça nous a mené, maintenant ! Pourquoi avoir écouté ce sale type, cet homme qui se prétendait psychologue.
Pourquoi ?
Cette question, je n'ai pas cessé de la répéter à tous ces gens qui me disaient de vivre, qui me disaient de refaire ma vie loin de toi, sans toi. Se sont-ils seulement rendu compte de ce qu'ils me demandaient ?! Non, bien sûr. Dans leur esprit, ces paroles sonnaient juste comme ce qu'il fallait dire, et hop ! ensuite tout redeviendrait comme avant. Adultes naïfs. Non, pire.
Assassins.
Je serre un peu plus fort mon sac contre moi et pénètre dans le petit parc. Je dois faire peur, avec mes cernes de trois jours et mon regard que je devine meurtrier. Toute cette histoire continue de me faire mal, comme mes cicatrices, comme ce bracelet bleu que je porte au poignet, mais qui ne devrait pas y être. Il doit rester quelques taches de sang dessus, vu que je n'ai jamais voulu le retirer depuis ce jour. Plus j'y pense, Cian, plus je me dis que nous n'aurions pas du céder. Que je n'aurais pas du te laisser seul pour aller répondre au téléphone, pas pour elle. Je n'aurais jamais du la faire passer avant toi.
Elle m'appelle encore, tu sais. Toutes les semaines, elle parle au répondeur, inlassablement. Elle veut prendre de mes nouvelles, savoir où j'en suis.
Nulle part. C'est très simple, non?
Ça fait huit ans que je suis dans une impasse, et que je n'essaye même pas d'en sortir. Ça leur fera les pieds à ces connards qui ont cru tout mieux savoir que nous.
Et je purge tranquillement ma peine de n'avoir pas su entendre tes cris d'alarme. |