Chapitre 13

Romance et renvoi

Au petit déjeuner du quatorze février, Drago crut qu'il s'était trompé de porte en entrant dans la Grande Salle. Les murs étaient recouverts de grosses fleurs rosé vif et des confetti en forme de cœur tombaient du plafond bleu pâle. Lockhart, vêtu d'une robe aussi rosé que les fleurs, fit un signe de la main pour demander le silence. Les autres professeurs assis à ses côtés gardaient un visage de marbre.
-Joyeuse Saint-Valentin ! s'écria Lockhart. Je voudrais commencer par remercier les quarante- six personnes qui m'ont envoyé une carte à cette occasion. Comme vous le voyez, j'ai pris la liberté de vous faire cette petite surprise, mais ce n'est pas fini !
Lockhart tapa dans ses mains et une douzaine de nains à l'air grincheux entrèrent alors dans la Grande Salle. Ils étaient affublés d'ailes dorées et tenaient chacun une petite harpe entre les mains.
-Voici les cupidons porteurs de messages, annonça Lockhart d'un ton réjoui. C'est eux qui seront chargés tout au long de cette journée de vous transmettre les messages de la Saint-Valentin !
Trop consterné pour parler, Drago mangea son petit déjeuner précipitamment et quitta vite cette Grande Salle écoeurante.

Tout au long de la journée, les nains sillonnèrent les couloirs et entrèrent dans les classes pour délivrer leurs messages, au grand agacement des professeurs et de Drago également. Vers la fin de l'après-midi cependant, un événement vint enfin améliorer sa journée : alors que les Gryffondor passaient dans le couloir, l'un des nains -le plus sinistre des douze- courut après Potter.
-C'est toi, Harry Potter ? cria-t-il en donnant des coups de coude pour écarter les autres élèves.
Potter essaya de s'esquiver, mais le nain parvint à le rattraper.
-J'ai un message musical à transmettre à Harry Potter en personne, dit le nain en brandissant sa harpe d'un air menaçant.
-Non, pas ici ! protesta Potter qui tentait de s'échapper.
-Reste tranquille ! grogna le nain. Il attrapa le sac que Potter portait à l'épaule et tira dessus pour le ramener en arrière.
-Laissez-moi tranquille ! lança Potter en essayant de se dégager.
Avec un bruit de déchirure, le sac s'ouvrit en deux, déversant sur le sol livres, parchemins, plumes et baguette magique. Pour couronner le tout, une bouteille d'encre se brisa dans sa chute et répandit son contenu sur tout le reste.
Potter s'efforçait de tout ramasser avant que le nain ne se mette à chanter. Drago, enchanté par ce spectacle, trouva que le moment était désormais venu de signaler sa présence.
-Qu'est-ce qui se passe, ici ? lança-t-il alors d'une voix traînante qu'il était sûr que Potter reconnaîtrait.
Avec des gestes fébriles, ce dernier fourrait ses affaires dans le sac déchiré, essayant désespérément de s'enfuir au plus vite, mais le nain le saisit par les genoux et le plaqua au sol.
-Et maintenant, tu te tiens tranquille, dit le nain en s'asseyant sur ses chevilles. Voilà ton message chanté :

Ses yeux sont verts comme un crapaud frais du matin
Ses cheveux noirs comme un corbeau, il est divin
C'est mon héros et c'est mon roi
Je voudrais tant qu'il soit à moi
Celui qui a combattu et vaincu
Le Seigneur des Ténèbres à mains nues.

Drago se concentra sur ce moment pour le graver à jamais dans sa mémoire. Tout était parfait dans le moindre détail, même la façon crispée dont Potter, le visage très rouge, s'efforçait vaillamment de rire avec les autres en se relevant. Le préfet Weasley, Percy, faisait de son mieux pour disperser la foule des élèves, dont certains pleuraient de rire.
Drago aperçut alors un petit journal noir qui ressemblait affreusement à un journal intime. Curieux, il se pencha pour le ramasser, curieux de ce que Potter avait bien pu écrire dedans, mais également confus, il était certain d'avoir déjà vu ce carnet auparavant quelque part... Il montra sa trouvaille à Crabbe et Goyle et se rendit alors compte d'autre chose : la Weasley-femelle était là, cachée à l'angle du mur, observant toute la scène. C'était sans doute elle qui était à l'origine du poème, se dit-il alors dégoûté, le souvenir de l'humiliation de Potter devenant d'un coup un peu moins savoureux. Mais pourquoi dévisageait-elle désormais Drago d'un regard absolument terrifié ?! Sans doute était-elle aussi curieuse de découvrir les états d'âme de Potter, mais cela n'expliquait en rien la frayeur qu'il lisait dans son regard.
-Rends-moi ça, dit Potter d'un ton étonnamment calme après tout ce qui venait de lui arriver.
-Je me demande ce que Potter a écrit là-dedans, dit Drago pour attirer l'attention de toutes les personnes présentes.
Un grand silence tomba, mais le préfet finit par s'en mêler, d'un ton sévère il exigea :
-Rends-lui ça, Malefoy.
-Pas avant d'avoir regardé ce qu'il y a dedans, répliqua Drago.
-En tant que préfet... commença Percy, mais avant qu'il ait pu terminer :
-Expelliarmus ! s'exclama Potter en sortant sa baguette magique.
Le journal s'envola aussitôt des mains de Drago et le Weasley au prénom le plus ridicule de tous le rattrapa avec un grand sourire.
-Harry ! s'écria Percy. Il est interdit de pratiquer la magie dans les couloirs. Je vais être obligé de faire un rapport !
Devant l'air satisfait de Potter, Drago, furieux, décida de ne pas en rester là, et lorsque la Weasley-femelle passa devant lui pour entrer en classe, il lui lança d'un ton méprisant :
-Je crois que Potter n'a pas beaucoup apprécié ton message de la Saint-Valentin !
Cela eut l'effet escompté, elle se cacha le visage dans les mains et se précipita dans la salle de classe. Avec un grognement, son frère sortit à son tour sa baguette, mais son geste fut vite arrêté par Potter, dommage Drago aurait bien apprécié qu'il passe encore une heure à vomir des limaces.

Lors du dîner un soir, Théodore lui rapporta une rumeur qui devait le réjouir : la Sang de Bourbe Granger avait enfin été attaquée et avait rejoint les autres pétrifiés à l'infirmerie.
-Dommage qu'elle ne soit pas morte, hein Drago ?! termina Nott, sûr de s'attirer ainsi les bonnes faveurs de Malefoy.
Drago acquiesça d'un air qu'il espérait perfide et qui sembla satisfaire Nott, mais à vrai dire il n'avait pas ressenti autant d'excitation qu'il aurait pensé à l'annonce de cette nouvelle. Pas très convaincu, il se dit que c'était tant mieux, sans trop chercher pourquoi il se sentait désormais très mal à l'aise. Il évitait soigneusement de laisser son regard traîner vers la table des Gryffondor, où il avait aperçut du coin de l'oeil l'air totalement abattu de Potter et Weasley. 

Un matin, Drago reçu une enveloppe très épaisse en provenance de son père. Cela n'était pas habituel et l'intrigua donc immédiatement. Il ouvrit la lettre et découvrit un surprenant récit sur quatre pages de parchemin, que son père lui avait rédigé d'une écriture moins propre que d'habitude comme si sa main avait tremblé d'excitation. Il y racontait son entrevue avec Dumbledore la veille dans la cabane du garde-chasse en présence du Ministre de la Magie. Si cette situation initiale semblait déjà surréaliste, le reste de l'échange lui parut aussi quelque peu surprenant, Dumbledore ayant apparemment supplié Lucius de le laisser garder son titre de directeur de l'école. Drago ne connaissait que peu le vieux sorcier à la barbe argenté, mais il avait du mal à l'imaginer suppliant qui que ce soit. Quoi qu'il en soit cette information était absolument exclusive car elle ne serait confirmée par le corps enseignant que plus tard dans la journée, et fournissait donc à Drago l'occasion rêvée de faire le malin devant ses condisciples de Poudlard. Mais sa joie fut de courte durée, à l'annonce du renvoi du directeur, l'ambiance du château se mit à changer drastiquement, la peur était à son comble et le soleil qui baignait de sa tiédeur les murs du château semblait incapable de réchauffer l'atmosphère. Les visages étaient inquiets, tendus et lorsqu'il arrivait qu'un rire retentisse dans un couloir, il paraissait si aigu, si peu naturel, qu'il s'étouffait très vite.
Ne se laissant pas affecter par cette trouille collective, Drago arpentait les couloirs d'un pas conquérant, en affichant un air réjoui. Lors d'un cours de potions, pour attirer l'attention de Potter, il dit suffisamment fort à Crabbe et à Goyle d'un ton triomphant.
-J'ai toujours su que mon père arriverait à nous débarrasser de Dumbledore. Je vous ai dit qu'il a toujours pensé que Dumbledore était le pire directeur que l'école ait jamais eu.
A vrai dire Drago ne leur avait jamais rien dit de tel, mais heureusement la mémoire de Crabbe et Goyle était bien trop court-terme pour qu'ils puissent s'en rendre compte. Alors qu'ils acquiesçaient, le regard vide, Drago se dit que, bien qu'il n'avait pas tant d'à priori que cela au sujet de Dumbledore -si ce n'était que celui-ci était potentiellement un peu fou- il n'était effectivement pas plus mal de changer un peu d'air, avec peut-être quelqu'un d'autre qui aurait les intérêts de Serpentard plus à cœur.
-Peut-être qu'on va avoir un directeur digne de ce nom, continua-t-il maintenant, quelqu'un qui n'interdira pas qu'on ouvre la Chambre des Secrets. McGonagall ne va pas durer longtemps, elle assure l'intérim, c'est tout...
Se tournant ostensiblement vers Rogue, il reprit d'une voix forte :
-Monsieur, pourquoi ne seriez-vous pas candidat au poste de directeur ?
-Allons, allons, Malefoy, répondit Rogue en laissant un sourire s'esquisser sur ses lèvres minces. Le professeur Dumbledore a été seulement suspendu par le conseil d'administration. Je ne doute pas qu'il sera bientôt de retour parmi nous.
-Si vous étiez candidat, vous auriez sûrement le vote de mon père, dit Drago avec un sourire entendu. Je vais dire à mon père que vous êtes le meilleur professeur de l'école, Monsieur.
Rogue sourit à son tour en se dirigeant vers une autre table. Ravi d'avoir à nouveau marqué des points auprès du Maître des Potions, Drago continua, dans un excès de confiance :
-Ça m'étonne que les Sang-de-Bourbe n'aient pas déjà fait leurs valises. Je parie cinq Gallions que le prochain va mourir. Dommage que ça n'ait pas été Granger...
La cloche sonna au même moment, et c'était une chance car Weasley avait bondi de sa chaise, mais dans la mêlée des élèves qui se hâtaient de ramasser leurs affaires, sa tentative de se ruer sur Drago passa inaperçue et il ne put l'exécuter à bien. Potter et Finnigan le retenaient chacun par un bras, mais son air de fureur absolue fit presque regretter à Drago sa pique, étant peut-être allé un peu trop loin.
-Allons, dépêchez-vous, aboya Rogue, il faut que je vous emmène au cours de botanique, maintenant.

Drago chassa vite cette hésitation de son esprit et Rogue les conduisit en rang par deux jusqu'à la porte du château, traversant le potager en direction des serres.