Chapitre 61
Drago et Harry
DRAGO
En se levant ce dimanche, Drago s' était attendu à tout sauf à croiser Potter. Comme d'ordinaire, il avait étudié une bonne partie du samedi, avait dîné avec sa mère le soir et brunché avec elle le dimanche matin (le brunch étant la nouvelle lubie de Narcissa), et comme tous les dimanches il passait par la tombe de Dobby un peu avant l'heure du déjeuner avant de retourner au château et de se remettre à ses lectures le reste de l'après-midi. Cette rencontre était donc parfaitement imprévue et venait briser la confortable routine assez solitaire qu'il avait mise en place. Fort heureusement, il était impeccablement habillé, alors que Potter était vêtu... comme un Moldu. Mais les cours d'études des Moldus faisaient effet et Drago sut reconnaître un « jogging » qui constituait apparemment un vêtement excessivement confortable, même si Drago se promit ne jamais être pris à porter un tel attirail. Bien entendu, sur Potter cela fonctionnait, lui donnant un air particulièrement détendu. L'Elu resterait-il aussi zen s'il lui expliquait les raisons de sa présence ici ? De toute façon, Drago avait de plus en plus envie de se dévoiler à Potter, et s'était résolu à choisir la voie de l'honnêteté.
Après avoir soigneusement disposé ses roses sur la tombe, Drago s'assit dans l'herbe à côté de Potter et prit une grande respiration avant d'oser se lancer. -Tu sais, malgré les récits que j'en faisais aux autres Serpentard à chaque rentrée, mes étés au Manoir n'avaient rien de passionnant... J'étais désespérément seul dans cette immense maison, mon père jugeant la plupart des autres sorciers de mon âge « indignes de fraterniser avec la famille Malefoy ». Maintenant je pense juste qu'il ne voulait pas que le monde sorcier se rende compte de la déchéance dans laquelle nous étions tombés, que j'étais trop jeune, et trop aveuglé par leurs idéaux pour voir. Certes le domaine était luxueux, avec les exubérants paons blancs parcourant les parcs et les immenses pièces décorées, mais c'était une coquille vide à l'intérieur de laquelle mon père était rongé par ses angoisses, ma mère préoccupée par les apparences, et où je me faisais peu à peu dévorer par la solitude. Pendant douze ans cependant, quelque chose d'inattendu venait quelque peu chambouler mon quotidien quand j'étais là-bas. Cette créature bizarre, dont on m'a tant de fois dit qu'elle était infiniment inférieure à nous, indigne d'intérêt, médiocre. On m'a appris à la traiter plus comme un objet qu'une personne, et je n'étais que trop content de m'exécuter. Après tout, quoi de mieux pour défouler sa propre détresse qu'une chose dont les sentiments ne sont pas sensés importer ? Et pour ce qui était de me servir de lui comme exutoire, oh je n'ai pas hésité... Si je ne le punissais pas moi-même, je le convainquais le faire, sans bonne raison, juste pour observer sa peine. C'est horrible mais de le voir souffrir allégeait une partie de ma souffrance à moi... Je regrette tellement maintenant mais... En fait ce n'est que lorsqu'il n'était plus là que j'ai compris à quel point il m'avait été utile, et même important ces douze premières années... La solitude est devenue encore pire après... Je t'en ai, bien entendu, voulu aussi pour ça. Si seulement toi et tes chaussettes sales avaient seulement pu rester en dehors de tout ça !
Drago marqua cette phrase d'un bref sourire en coin, afin de s'assurer que Potter comprenne la plaisanterie. Même s'il l'avait vraiment pensé à l'époque, il avait bien évidemment compris depuis que le Survivant avait agi pour le mieux et que Dobby avait été bien plus heureux après avoir quitté l'infâme Manoir Malefoy. Hésitant, Drago ne savait pas trop comment reprendre son récit, mais Potter le surprit en se confiant à son tour. -En fait, d'une certaine manière, je comprends totalement ce que tu as ressenti. Je ne sais pas trop quelle idée tu te fais de ma vie chez mes moldus mais elle n'était pas... pas géniale... Ma tante m'a toujours donné l'impression de haïr sa sœur, et du même coup tout ce qui était lié à elle, et mon oncle redoutait par dessus tout ce qui n'était pas absolument et parfaitement normal, comme... moi du coup. Pour mon cousin j'ai surtout été un punching ball, pardon, c'est un sac dans lequel... -Je sais ce qu'est un punching ball Potter, nous avons adressé le sujet de la boxe dans mes cours d'études des moldus ! Potter sourit à cette remarque mais ne releva pas, et il continua : -Du coup je sais aussi un peu ce que c'est de grandir seul et en souffrance. Maintenant je comprends mieux les Dursley, enfin, mes moldus, mais pendant ces années d'enfance j'étais surtout déboussolé et... un peu désespéré... On pourra sans doute approfondir le sujet un autre jour, mais je n'aurai jamais cru trouver, en Drago Malefoy par dessus tout, quelqu'un qui pourrait aussi bien comprendre ce ressenti là !
Comprenant que Potter était en train de clore son moment de confession, Drago préféra changer la conversation. Il voyait bien que son interlocuteur ne fermait pas entièrement la porte à se confier sur ce sujet, mais qu'il n'était juste pas encore prêt à le faire. Drago lui raconta ensuite son appel au secours dans le miroir et l'étonnant retour de Dobby chez eux. Le désespoir de ce moment que ce petit être avait pu changer en espoir, puis en soulagement. Jusqu'au couteau, dont il avait espéré, et bien cru qu'il manquerait ses cibles. La douleur et le regret d'apprendre de Granger que ça n'avait pas été le cas. La fureur contre sa tante, qu'il avait déjà pourtant tant de raison de haïr, mais celle-ci avait été celle de trop, celle qui lui faisait le plus regretter de ne jamais s'être dressé contre elle. A ce stade de son récit, les yeux de Drago s'étaient bien humidifiés et il regardait droit devant lui pour ne pas croiser le regard vert attentif. Potter l'avait déjà vu pleurer bien plus que cela récemment, mais pour l'instant il parvenait encore à contenir ses larmes, ce qui ne serait sans doute plus le cas s'il regardait le brun directement en face.
HARRY
Harry écoutait attentivement Drago lui raconter qu'il venait toutes les semaines ici présenter ses excuses à Dobby. Il s'était également rendu sur la tombe de Crabbe une fois pour y déposer les dix têtes réduites qu'il lui avait apparemment promises un jour (Harry ne posa aucune question là-dessus) mais ne sentait pas autant le besoin de se faire pardonner de Vincent de que son ancien elfe de maison, alors il n'y était pas retourné depuis. Il allait aussi occasionnellement sur celle de Rogue.
Drago était arrivé au bout de ses confessions et un silence pesant commençait à s'installer entre eux. Hermione aurait sans doute trouvé les mots de réconfort qu'il fallait, mais Harry se savait nul à cet exercice. Au mieux, il n'arriverait qu'à gêner le Serpentard, et au pire il pourrait même le vexer carrément s'il s'exprimait de travers après tous ces récits... Pris d'une impulsion soudaine, Harry lança : -Le dimanche je déjeune chez les Weasley, viens avec moi ! Ça, euh, ça te ferait du bien, la cuisine de Molly est délicieuse ! Drago le regardait avec des yeux ronds. « La cuisine de Molly est délicieuse », Harry se morigéna d'avoir dit quelque chose d'aussi ridicule dans un tel moment. Sentant la réticence du blond et son hésitation à accepter, il lui attrapa le bras sans prévenir et le fit transplaner avec lui au Terrier.
Face à la demeure, il vit Drago se pincer les lèvres pour retenir un commentaire qui devait le démanger sur cette maison ressemblant à une vaste porcherie qui aurait été agrandie au fil du temps. Haute de plusieurs étages, la maison paraissait si bancale qu'elle ne semblait tenir que par magie, avec quatre ou cinq cheminées dressées sur le toit rouge. Des bottes entassées en désordre et un vieux chaudron rouillé encadraient la porte. Quelques gros poulets bien gras picoraient dans la cour. Mais Drago ne dit rien, et Harry pensa qu'il avait vraiment changé. En le voyant arriver, les Weasley ne cachèrent pas leur surprise, mais lui firent tout de même un accueil chaleureux, notamment après qu'il eut remercié et félicité Mrs Weasley de les avoir débarrassés de Bellatrix. A la lueur féroce qui brûlait dans le regard du blond, malgré son expression polie, Harry comprit à quel point il était sérieux, et à quel point Mrs Weasley avait levé un poids de ses épaules avec ce geste. Elle l'avait libéré de sa tortionnaire et il lui était réellement reconnaissant. Mrs Weasley dut lire un peu de cette émotion elle aussi, car elle fit preuve de beaucoup de prévenance à l'égard de Drago à partir de ce moment-là.
Elle accompagna leur invité inhabituel jusqu'à la table dressée dans le jardin malgré le froid automnal. Une tente magique avait été dressée au-dessus pour réchauffer les convives, ne gênant en rien la vue sur les belles collines verdoyantes aux alentours. Mrs Weasley désigna à Drago la place à côté de Harry, et ce dernier remarqua que Ron lui jetait des coups d'oeil intrigués alors qu'Hermione, elle, ne cessait de sourire. Croisant les doigts pour que Drago ne remarque pas l'attitude étrange de ses amis, Harry commença à remplir l'assiette de Drago des mets cuisinés par leur hôtesse, qui étaient, comme promis, délicieux. Mrs Weasley rougit sous les compliments culinaires nourris de son nouvel invité. Ah, la politesse Malefoy était décidément bien rodée ! pensait Harry en souriant malgré lui. |