Chapitre 58

Drago et Harry

DRAGO

Drago était fier d'être parvenu à retenir ses larmes tant qu'il était à l'intérieur du bar, mais les laissa couler librement une fois arrivé dehors, quand Potter et les autres ne pouvaient plus le voir. Ainsi sa liste d'erreurs s'allongeait à nouveau, le rendant responsable de la mort d'un autre être innocent... Le couteau de Bellatrix était parvenu à toucher Dobby, lui arrachant la vie. Si Drago avait pu penser à une autre solution, l'elfe n'aurait pas été présent ce jour-là au Manoir. S'il avait pu désarmer son horrible tante, elle n'aurait pas pu jeter son arme vers eux. S'il s'était mieux comporté avec Dobby lorsqu'il vivait encore au Manoir... Drago ressassait sa culpabilité en retournant vers le château. Il avait apprécié de revoir Abelforth et de rester un peu dans la tranquillité de son pub, il avait même été positivement surpris par la compagnie de Potter et de ses amis, mais cette nouvelle au sujet de Dobby le dévastait à présent et il n'avait désormais plus qu'une envie : se plonger dans les livres pour tenter d'oublier le mal qu'il avait pu causer. Sur son bras gauche, l'ineffaçable Marque le brûlait à nouveau.

Il attrapa le vieux manuel de potions du Prince de Sang Mêlé et se rendit à la bibliothèque pour y passer le reste de la journée. En feuilletant les pages au hasard, il fut interpellé par une formule qu'il ne connaissait que trop bien : « Sectumsempra ». Ainsi le Prince lui aussi connaissait l'existence de ce sortilège. Le souvenir raviva la douleur de sa cicatrice sur la poitrine, et il eut beaucoup de mal à se concentrer à nouveau sur ses lectures après cela. Néanmoins, son après-midi fut tout de même productif car il avait trouvé plusieurs idées de potions qu'il voulait expérimenter, allant toutes dans l'idée d'atténuer la douleur de mauvais souvenirs, ou bien même de permettre leur oubli spécifique. Il avait également quelques pistes d'applications de ces préparations sous forme de baume pour les blessures physiques liées à un traumatisme, et il nota à la hâte les ingrédients dont il aurait besoin pour les tester le lendemain. Drago fut momentanément distrait en pensant à Potter, se demandant si un tel baume serait efficace sur une cicatrise aussi ancienne... Il chassa vivement cette idée de sa tête car il doutait que sa création soit aussi performante, ou même d'oser la suggérer à Potter un jour. Il savait finalement peu de choses le concernant, et n'imaginait pas quelle serait sa réaction à une telle proposition. Peut-être aimait-il la cicatrice en forme d'éclair qui lui barrait le front... Peut-être s'y était-il juste habitué... Peut-être ne connaissait-il pas le sentiment de honte que Drago avait en revoyant les marques qui défiguraient son corps... Drago avait un jour détesté cette marque sur le front de son rival pour toute l'attention qu'elle lui acquérait, mais ne pouvait désormais plus l'imaginer sans. Il fallait néanmoins qu'il arrête de penser à Potter et reste concentré, car retrouver sa vocation de potionniste permettait à Drago d'oublier qu'il avait un jour choisi le rôle de Mangemort.

Il ne parvint pourtant pas à s'endormir ce soir-là, le souvenir des yeux globuleux de Dobby ne quittant pas son esprit. Il décida de reprendre sa vieille habitude d'errer dans les couloirs de nuit, ne craignant désormais plus les conséquences d'une désobéissance au règlement. Après des mois interminables à redouter la torture ou la mort, une retenue devenait tout de suite beaucoup moins intimidante. Drago reprit le chemin vers le septième étage qu'il ne connaissait que trop bien, et se rendit dans la Salle sur Demande. Malgré qu'elle eut souffert du passage du Feudeymon de Crabbe, la porte légèrement calcinée se rouvrit pour lui. La Salle des Objets Cachés était désormais presque vide, mais Drago savait que des générations d'élèves finiraient bien par la remplir à nouveau. S'appuyant contre un bureau noir de suie, il ouvrit le premier bouton de sa chemise, et en sortit le petit flacon qu'il portait attaché autour de son cou depuis son départ du Manoir. Dedans, un liquide argenté tourbillonnait. Il n'avait pas osé prendre avec lui tous les flacons de ses horribles souvenirs, de crainte que quelqu'un ne les voit et ne réalise les atrocités qu'il avait commises. Cependant, Drago désirait ardemment parvenir à faire face à ces trous sombres dans sa mémoire, même si l'expérience se révélait à chaque fois absolument traumatisante... Surtout lorsqu'il s'agissait de ce souvenir précis, qui était de loin de pire à ses yeux...

HARRY

Harry avait passé l'après-midi à retourner dans sa tête le comportement inhabituel du jeune blond ce jour-là. Il n'avait pas autant pensé à lui depuis la sixième année où il se demandait constamment ce que Malefoy mijotait. Par réflexe, il sortit la carte du Maraudeur et chercha du regard le point représentant le Serpentard. Comme la plupart du temps lors de sa dernière année à Poudlard, Malefoy ne se trouvait nulle part sur la carte. Il était retourné dans la Salle sur Demande ?! se demanda Harry plongé dans l'incompréhension. Il n'hésita qu'un instant avant d'enfiler sa cape d'invisibilité et de sortir du dortoir. Une fois devant la tapisserie du septième étage, Harry se tenait devant la porte de la Salle sur Demande, sachant pourtant qu'elle n'était pas si facile à franchir. Cette fois, au lieu de souhaiter quoi que ce soit, Harry fit quelque chose qu'il n'avait jamais tenté par le passé : il toqua.

Au bout de quelques instants, la porte s'ouvrit sur un Malefoy perplexe.
-Euh... Est-ce que je peux entrer ?
Malefoy acquiesça en silence d'un hochement de tête, et s'écarta du passage. Harry pénétra dans la pièce ravagée par les flammes avant de se tourner vers son vieil ennemi, ne sachant pas trop par où commencer.
-Qu'est-ce que tu fiches encore ici ? demanda Harry plus brutalement qu'il ne l'aurait souhaité. Il avait l'air d'interroger Drago, ce que ce dernier n'apprécierait sans doute pas. En effet la réponse cinglante ne tarda pas.
-Et en quoi c'est tes oignons Potter ?! Malefoy lui lançait un regard furieux. Harry n'avait pas voulu le brusquer, mais ils n'avaient jamais fonctionné autrement qu'en s'attaquant mutuellement constamment, et il ne connaissait pas d'autres façons de faire avec lui. Mais après tout, il y avait encore beaucoup de choses qu'il ignorait à son sujet, alors il était peut-être temps d'essayer une autre approche avec Malefoy.
-Pardon, je veux dire, est-ce que ça va ? Pour que tu reviennes ici c'est qu'il t'arrive quelque chose non ? Harry ne savait pas si cette nouvelle technique allait fonctionner, mais ne serait-ce que pour l'air ébahi de Malefoy, ce changement d'attitude en valait la peine. Sans le savoir, il avait posé la question que le Serpentard avait espéré entendre durant toute leur sixième année.
-Je... je ne... non, enfin si.... Malefoy ne trouvait plus ses mots. Harry aperçut le flacon au liquide argenté qu'il tenait à la main et ne put s'empêcher de demander :
-C'est ton souvenir ? mais à nouveau, sa demande fut perçue comme une agression.
-Mêle-toi de ce qui te regarde, O.K. ?!
Harry se retint de répliquer, et prit à nouveau sur lui de revenir en arrière. D'une voix calme, il reprit :
-Désolé je suis trop curieux. Mais si tu m'expliques je promets de ne pas juger.
Malefoy traita son offre avec méfiance, mais lui aussi parut ne pas pouvoir se retenir d'ajouter :
-Mmh oui, c'est l'un des charmants souvenirs que j'ai pu acquérir avec Lord Vol... Le Seign... bref, lui quoi.
Il semblait avoir encore du mal à dire son nom tout en se refusant à l'appeler par le titre honorifique par lequel les Mangemorts avaient l'habitude de le nommer. Harry apprécia cela, et l'encouragea à continuer d'un regard bienveillant.
-Lorsque... lorsque c'était trop... difficile à supporter, je sortais certains souvenirs de mon esprit mais je les ai gardé.
-Pourquoi ? la question s'était glissée hors des lèvres de Harry avant qu'il ne puisse la retenir, mais cette fois Malefoy ne sembla pas se vexer de sa curiosité.
-Parce que... même si je n'avais pas le choix, c'était tout de même moi qui commettait ces actes affreux. Je ne voulais pas juste oublier comme si j'étais innocent. Je voulais... pouvoir revenir dessus plus tard et essayer de les assumer. J'espérais... j'espérais qu'un jour il y aurait une possibilité de me reconstruire.
Harry était touché par ce récit, et impressionné par cette démarche mature de la part de son vieil ennemi. Celui-ci se rembrunit en finissant :
-Mais comme toujours j'avais bien entendu tord.
-Comment ça ? l'innocente question de Harry fit exploser Malefoy.
-TU CROIS QUE C'EST FACILE POUR MOI ? TU NE PEUX PAS COMPRENDRE TOI, TU ES L'ELU, LE SAUVEUR, LE BIENFAITEUR DE L'HUMANITE TOUTE ENTIERE ! JE ME TRAINE LES CONSEQUENCES DE DÉCISIONS QUE JE N'AI QU'A MOITIE PRISES, MAIS JE N'AI PAS LUTTÉ ASSEZ TÔT ET JE LES AI QUAND MÊME FAIT EN PARTIE CES CHOIX ! JE SUIS RESPONSABLE DE TANT DE CHOSES...
La colère dans sa voix mourut, et il ajouta d'un ton désespéré :
-Je ne peux pas me cacher derrière ma jeunesse, ou mon entourage quand je revois quelqu'un comme toi qui a toujours su faire les bons choix, au même âge et sans famille...
Il posa ses yeux gris embués sur les yeux verts d'Harry, et bredouilla encore :
-Je... je regrette tellement de choses, si tu savais.
Puis Drago Malefoy fit ce à quoi Harry s'attendait le moins : il fondit en larmes devant lui.

Dérouté, Harry resta quelques instants sans réagir, écoutant juste les sanglots qui secouaient Malefoy, la gorge serrée devant ce spectacle. Il l'avait déjà vu pleurer et s'écrouler sous le désespoir en sixième année, mais là c'était différent tant les remords de Malefoy étaient palpables. Même parmi ses propres partisans, Voldemort avait fait de sérieux dommages et brisé des vies... Mais Malefoy n'était pas resté dans son camp tout du long, se dit Harry, et cette pensée lui permit de retrouver sa mobilité et de faire un pas vers le Serpentard. Une fois devant lui, il lui prit la main sans réfléchir. La stupeur de Malefoy interrompit momentanément ses pleurs. Il leva ses yeux rouges d'avoir pleurés vers le visage d'Harry qui lui chuchota la première chose qui lui venait en tête pour le réconforter :
-Moi aussi j'ai fait des erreurs, je n'ai pas toujours fait ce que j'aurais pu, j'ai mal jugé des gens... J'ai mis trop longtemps à comprendre la place que Rogue occupait dans tout cela et, bien que ce soit Voldemort qui l'ait assassiné, je me sens encore responsable de sa mort, ainsi que de nombreuses autres.
Drago avait sursauté au nom du mage noir, mais au moins ses larmes ne coulaient plus. De sa main libre, il les essuya d'un geste vif, un peu gêné, sans pour autant retirer son autre main de celle d'Harry. Ce dernier trouvant d'ailleurs que sa peau était glacée, renforça un peu la pression sur la main de Malefoy, comme pour la réchauffer.
-Toi tu as fait comme lui. Tu dis que tu n'as pas vraiment d'excuses mais nos contextes étaient tout de même très différent. Comme Rogue, tu es allé à l'encontre de tout ce qu'on t'avait appris, de tous ceux autour de toi, et tu as su revenir en arrière. Ni les risques, ni les difficultés ne t'ont retenu, et malgré les souffrances que tu regrettes avoir causé, tu as pu en épargner beaucoup d'autres...
-Pas assez... Malefoy avait murmuré sa phrase si bas qu'elle était presque inaudible. Ses jointures avait blanchi tant il serrait fort le flacon dans sa main libre.
-Malef... Drago ? Est-ce que je peux voir ton souvenir s'il te plaît ?
Harry sentait que c'était important. Que ce moment précis du passé de son meilleur ennemi le rongeait suffisamment pour l'empêcher d'aller de l'avant. Personne ne méritait d'être ainsi pris au piège de sa propre mémoire, et surtout pas un adolescent de dix-huit ans. Il n'avait pas envisagé de l'aider en sixième année, plus curieux que concerné par ses agissements, mais Harry ressentait désormais une forte volonté de sortir Drago des tourmentes de sa propre mémoire. Il ne sut pas si c'était son ton presque suppliant, ou le fait qu'il l'avait appelé pour la première fois par son prénom qui l'avait convaincu, mais Drago ouvrit le flacon d'une main tremblante avant de lancer un sortilège informulé qui les fit basculer tous les deux dans son souvenir.

Ils étaient au Manoir. Harry ne l'avait jamais vue en vrai, mais il sut tout de suite qu'ils étaient dans la chambre de Drago. D'ailleurs il aperçut celui-ci profondément endormi dans le lit. Son visage était creusé et blême. Sur la table de chevet un flacon avait été déposé à la hâte, et Harry suspectait Drago d'avoir fait usage d'une potion de sommeil pour dormir aussi bien. Le véritable Drago ne disait rien et observait la scène d'un regard terrifié, sachant ce qui arrivait ensuite. La porte s'ouvrit dans un grand «BANG ! » et Bellatrix se précipita dans la pièce. Harry faillit sortir sa baguette avant de se rappeler que Lestrange était morte et que ce n'était qu'un souvenir. Elle secouait désormais frénétiquement le Drago endormi pour le sortir de son sommeil :
-Drago, Drago, réveille-toi, il est temps pour une nouvelle leçon ! une excitation malsaine débordait dans sa voix.
Le Drago du passé la suivit hors de la pièce, visiblement à contre-coeur, et Harry et Drago leur emboitèrent le pas sans échanger un mot.
-Nous avons capturé toute une bande de traîtres au sang impur ! Je me suis occupée de certains qui sont déjà enfermés à la cave, mais je nous ai gardé deux Nés Moldus. Eux, il ne sera pas nécessaire de les enfermer après, si tu vois ce que je veux dire, dit Bellatrix avant d'éclater d'un rire cruel. Son neveu se raidit visiblement mais parvint à émettre un petit ricanement qui plut à sa tante, bien qu'il sonna faux aux oreilles de Harry.

Une fois dans le grand salon, Harry vit Lord Voldemort, confortablement assis dans un large fauteuil, son serpent enroulé sur ses épaules. A ses pieds, deux grandes silhouettes étaient effondrées au sol. Lorsqu'il les reconnut, Harry se glaça, il connaissait déjà l'issue de cette histoire pour avoir entendu Lee Jordan prononcer ces noms durant son émission de radio, demandant une minute de silence en leur honneur. Ted Tonks et Dirk Cresswell.
-Ah te voilà enfin Drago, lança la voix glacée et moqueuse de Voldemort, tu faisais une petite sieste ? Ne sais-tu donc pas qu'il n'y a jamais de repos tant que la vermine rôde ?
Le Drago du passé parut trouver plus prudent de garder le silence, et Harry se dit qu'il avait bien fait. Le mage noir reprit :
-Ta chère tante t'a gardé un savoureux morceau mon garçon. Pendant qu'elle s'occupe de celui-ci, je veux que tu me montres ce qu'elle t'a enseigné sur celui-là.
Il pointait Ted Tonks du doigt. Drago acquiesça sans regarder l'homme qui se trouvait au sol, et se plaça à côté de sa future victime. Bellatrix rayonnait :
-Tu es prêt Drago ? Allez, ensemble : ENDOLORIS !
Les deux hommes se tordaient de douleur sur le sol. Voldemort leur fit encore répéter l'exercice à deux reprises lorsque Ted Tonks s'immobilisa brutalement, plus aucun son ne sortant de sa bouche.
-Quoi il est déjà mort ? s'étonna-t-il avec colère. Personne ne remarqua le regard de Dirk croiser un instant celui de Drago. Haletant, le Né Moldu prit la parole :
-Son cœur... son... mon ami avait le cœur fragile... il ne...
-SILENCE ! ENDOLORIS ! Bellatrix fit taire l'importun, mais la fureur de Voldemort allait au-delà de la simple torture :
-AVADA KEDAVRA !
La lueur dans le regard de Cresswell s'éteignit, et il s'immobilisa à son tour. Reprenant son calme doucement, Voldemort congédia tout le monde :
-Nous n'avons pas eu le beau spectacle que nous espérions ce soir, mais qu'importe ! Il reste suffisamment de Sang de Bourbe à massacrer pour que nous puissions être satisfaits à un autre moment. Que chacun reprenne ses activités.
-Viens...
Drago avait chuchoté à l'oreille de Harry et lui saisit le bras pour le faire basculer hors du souvenir.