Chapitre 59

Drago et Harry

DRAGO

Lorsqu'ils sortirent ensemble de sa mémoire, Drago n'était pas aussi dévasté par ce souvenir que toutes les autres fois où il avait tenté d'y faire face. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine, mais grâce à la présence de Potter Drago ne trouvait pour une fois pas en hyperventilation par terre. Devant le regard vert interrogateur, il lui parut nécessaire de se justifier :
-Je sais que tu es au courant que Celui-Dont-On-Ne-Devait-Pas-Prononcer-Le-Nom me chargeait de torturer ses victimes à sa place. Ma tante n'était que trop ravie de m'apprendre à le faire, et de telles sessions étaient beaucoup trop fréquentes... Pour autant, elles n'étaient jusque-là jamais poussées jusqu'à la folie ou la mort, comme elle l'avait fait aux Londubat par exemple.
Potter parut surpris qu'il sache pour les Londubat, mais Drago continua car s'il s'interrompait il ne pourrait jamais reprendre son récit.
-Ce jour-là, comprenant que l'on attendait de moi que je torture Ted Tonks jusqu'au point de non-retour, je ne pouvais plus faire ce qu'on me demandait. J'ai lancé un Reducto informulé sur son cœur pour faire croire qu'il avait fait une crise cardiaque. Je crois que Cresswell a compris, car l'histoire qu'il a raconté au sujet de problèmes de cœur devait être inventée de toutes pièces. Quoi qu'il en soit, il a bien fait, car sa session de torture a elle aussi été écourtée, et il m'a évité tout soupçon. Je sais que j'ai fait cela pour abréger les souffrances de Ted Tonks, mais cette nuit-là j'ai mis un terme à la vie de quelqu'un, et c'est pourquoi ce souvenir est si dur pour moi à affronter...
Alors que sa voix commençait à se briser, Potter intervint :
-Ce n'était pas un meurtre Drago. Tu ne pouvais pas le sauver et tu lui as évité de trop souffrir. Je ne pense pas que ton âme ait été déchirée lors de cet acte, même si je comprends à quel point cela a dû être difficile pour toi.
Le soutien que Potter lui témoignait, ainsi que le fait qu'il l'appelle par son prénom donnèrent à Drago la force de continuer.
Il lui raconta tout ce qu'il avait fait pour se sortir de cet enfer. Les potions pour oublier, l'Endolorict, la lettre de Dumbledore, les informations qu'il avait pu transmettre à l'Ordre, le miroir à Double Sens d'Abelforth... Il pu enfin justifier son changement d'intention envers Potter les fois où ils s'étaient revus pendant la guerre, au Manoir, dans la Salle sur Demande...

Potter l'écoutait avec attention, ayant l'air de mieux le comprendre qu'auparavant. De temps en temps, lorsque l'émotion commençait à nouer la voix de Drago, son ancien ennemi lui prenait à nouveau la main et la serrait. Drago aperçut une fine ligne blanche sur le dos de la main de Potter, où l'on pouvait distinctement lire « Je ne dois pas dire de mensonges ». Le cœur de Drago se serra. Ainsi c'était cela les sévices qu'Ombrage lui avait fait subir en retenue ? En cinquième année dans son bureau, il avait vu les plumes blanches tâchées de rouge sombre, et il avait vu que Potter était régulièrement blessé à cet endroit là, mais il avait évité de trop y penser. La vue de cette cicatrice aujourd'hui lui donnait encore plus de remords envers ses actions passées lorsqu'il avait soutenu la Grande Inquisitrice malgré son évidente cruauté. Potter aussi avait beaucoup souffert ces dernières années... Il passa son pouce pâle le long de la trace blanche sur le dos de la main de Potter, qui le regardait avec curiosité. Peut-être que ce dernier lui raconterait aussi un jour ce qu'il avait traversé dans cette guerre... Mais pour l'instant Drago continuait de vider son sac face à cette écoute attentive, et se sentait un peu plus léger à chaque phrase, comme si, à chaque confession, il s'extrayait un peu du poison qui coulait dans ses veines.

Au petit matin, Drago sentait ses paupières devenir lourdes du manque de sommeil et des émotions de la nuit. Il prit congé de Potter pour aller dormir quelques heures, lui disant qu'il souhaitait être en forme pour leur reprise des cours le lendemain. Il vit Potter sourire devant cet excès de zèle, découvrant sans doute pour la première fois le côté studieux de Drago. Lorsqu'ils se séparèrent pour retourner à leurs dortoirs, Potter le remercia de s'être ouvert à lui, même si Drago pensait que c'était plutôt à lui de lui être reconnaissant pour son écoute. Mais il était fatigué d'être si redevable à tant de gens qu'il sut tenir sa langue et simplement apprécier la gratitude de Potter. C'était réconfortant de voir les yeux verts du Survivant le regarder avec gentillesse et pas avec colère. Drago espérait pouvoir recevoir ce regard là plus souvent, et comptait bien agir en ce sens.
Après avoir enfin en partie vidé son sac, Drago dormit mieux qu'il ne l'avait fait depuis longtemps, et ce sans l'aide d'une potion de sommeil.

Drago passa son dimanche tranquille à la bibliothèque. Les circonstances avaient changé entre Potter et lui, mais il n'était pas tout de suite prêt à le revoir après s'être autant dévoilé. Bien que cela l'eut soulagé, Drago n'aimait pas l'idée de se montrer si vulnérable... Dans l'après-midi, il fut rejoint par ses nouveaux amis de Serdaigle qui s'installèrent à sa table et montrèrent un vif intérêt envers ses recherches en potions, challengeant ses idées et en débloquant de nouvelles.

HARRY

La semaine qui suivit fut chargée et ne laissa pas beaucoup de temps à Harry pour réfléchir aux confessions de Drago. Il le croisait en cours, et leurs échanges polis étaient presque cordiaux, à la grande stupéfaction de Ron. Harry ne lui avait rien raconté de sa nuit dans la Salle sur Demande. Il savait que son ami ne comprendrait pas l'évolution de ses interactions avec Drago, et il était lui-même de toute façon un peu perdu. Au pire, il pourrait toujours demander conseil à Hermione, mais pour l'instant, tous deux étaient très préoccupés par ce que le Département de la Justice Magique attendait d'eux. Ils étaient venus à la première réunion avec les meilleures intentions possibles, et furent surpris par la violence de certaines réactions auxquelles ils devaient faire face. Ceux qui demandaient vengeance étaient plus nombreux que Harry ne l'avait réalisé. N'en avaient-ils pas eu déjà assez de cette violence constante ?! se demandait-il, agacé. A ses yeux, leurs envies de punitions étaient futiles car suffisamment de gens avaient déjà souffert pour que l'on cesse d'envisager de telles solutions. Il lui paraissait bien plus productif de réfléchir ensemble à de nouvelles façons de fonctionner pour l'avenir.
Dès la seconde réunion, on leur fit une demande abracadabrante qui fit sortir Harry de ses gonds. Une toute petite sorcière débordant d'une haine à peine contenue par sa taille minuscule, exigea que Drago Malefoy, puisqu'il avait proposé ses services en potions au ministère, et puisqu'il devait encore « se racheter de ses actes en tant que Mangemort », fabrique des potions qui serviraient à faire souffrir les prisonniers autant, voire plus, qu'un sortilège Doloris, puisqu'elle n'avait pas obtenu l'autorisation d'en faire usage sur les captifs. Plusieurs voix s'indignèrent et le débat s'ouvrit, certains défendant cette idée sans la moindre considération pour le jeune sorcier à peine majeur. Harry se leva en serrant les poings, et la fureur qui émanait de lui réduisit l'assemblée au silence. La voix tremblante de colère, Harry prit la défense de Drago :
-Vous n'avez aucune idée de ce que Drago Malefoy a traversé ces dernières années, et vous osez faire une telle demande ? Au delà du fait qu'il a déjà été gracié par cette même justice magique que nous essayons d'optimiser aujourd'hui, et qu'il n'a donc plus à se « racheter » de ses actes, vous exigez de lui exactement la même chose que Lord Voldemort. Vous ne valez pas mieux que lui en appelant ainsi à la violence et à la souffrance... Voldemort a utilisé Drago pendant un an, l'obligeant à torturer des innocents pour lui. Drago a employé tous les subterfuges dont il a été capable pour limiter les souffrances qu'il devait infliger, risquant sa propre vie pour cela. Il n'en est pas sorti indemne et ne sait même pas s'il parviendra à se reconstruire un jour. Pourtant il suit volontairement des cours d'études des Moldus dans le but de s'améliorer et propose spontanément son aide au ministère pour contribuer à la reconstruction. Et vous, vous voulez le tirer un an en arrière et réduire à néant tous ses efforts ?! Vous voulez l'utiliser comme un outil, lui faire répandre et lui causer encore plus de douleur ?!
Il était désormais si énervé que sa main droite le démangeait de lancer un sort à la sorcière minuscule. Se tournant vers Kingsley il ajouta :
-Monsieur le Ministre, je suis conscient qu'une large partie de la population appelle à la violence et que leurs opinions doivent être représentées dans nos réflexions de reconstruction. Mais on m'a demandé d'être présent ici pour éviter les décisions inconsidérées en manquant d'informations. Or c'est exactement ce que cette horrible bonne femme vient de faire en ordonnant quelque chose qu'elle ne comprend même pas et qu'elle ne cherche même pas à appréhender correctement. Je suis ravi d'apporter mon aide au ministère, mais j'aurais aimé que ce soit également le cas des autres membres de cette assemblée, car il me paraît difficile de travailler face à tant de mauvaise volonté.
Sur cette dernière phrase, Harry quitta la pièce sans se retourner.
Lors de la réunion suivante, il n'y avait plus de trace de l'exécrable sorcière minuscule, et les débats furent plus productifs. Les représentants des opinions pro-violence cherchaient toujours à trouver des punitions sévères, mais leurs propos étaient désormais plus interrogatifs qu'exigeants, permettant ainsi que les échanges se fassent plus dans le calme.

Harry ne raconta pas un mot de son débordement au premier concerné lors de leur prochain cours de potions commun. Il écouta Drago lui expliquer calmement pourquoi il avait, encore une fois, raté sa potion, déplorant de devoir l'accompagner dans sa prochaine préparation afin que cette fois il ne « fasse pas n'importe quoi ». Harry sourit, content de lui car l'épanouissement qu'il voyait doucement grandir chez Drago n'aurait jamais pu voir le jour si l'abominable petite sorcière avait eu gain de cause.