Chapitre 3

Le maître des Potions

Le matin, Drago émergea au son des grognements de Crabbe. Il lui fallut quelques instants pour se rappeler où il était. Jusque là, il s’était toujours réveillé seul dans son immense chambre du Manoir et n'avait pas l'habitude de tant d'agitation aux alentours. Ce bruit de marmonnements, même minime, avait donc suffi à le tirer du sommeil. Il avait choisi le lit au fond du dortoir, collé contre un mur. A sa droite, Goyle dormait profondément. A côté de Goyle se trouvait le lit de Crabbe, à l'origine de ce léger raffut. Tous deux auraient aimé placer Drago dans le lit du milieu, déjà habitués à l'encadrer de part et d'autre, mais celui-ci avait refusé tout net, préférant le fond qui lui conférerait un peu plus d’intimité. Lorsque la veille on les avait menés aux sous-sol pour rejoindre leur salle commune, Drago n'avait prêté qu'une attention vague aux autres élèves de première année avec qui il partageait son dortoir. Il connaissait déjà Nott de nom, mais ce Blaise au nom ridicule lui était parfaitement inconnu. Zamboni ? Zabari ? Peu importait de toute manière, Nott avait l'air stupide et Blaise extrêmement renfermé, il ne voyait ni en l'un ni en l'autre le potentiel d'un ami proche. S'il ne pouvait faire d'eux des confidents, Drago était néanmoins décidé à s'en faire des admirateurs. Il obtiendrait le respect de ses pairs en un temps moindre et restaurerait le nom Malefoy au sein de ce prestigieux château. Drago comptait bien devenir une figure influente rapidement, au moins au sein des Serpentard, et il était prêt à beaucoup de choses pour y parvenir.
Les autres Serpentard s'agitaient de plus en plus et leur sommeil se faisait plus léger. Lorsqu'il eurent tous l'air d'avoir suffisamment émergé, Drago se leva d'un bond, repoussant d'un geste vif les rideaux de son lit à baldaquins. Il prenait d'office les choses en main en annonçant :
-Allez tout le monde debout, nous devons fièrement représenter notre maison dès le premier cours de potions !
Crabbe et Goyle, obéissant comme toujours, se levèrent illico. Nott grogna par principe mais s'activa également. Seul Blaise semblait peu amène à suivre l'injonction de Drago, semblant traîner au lit par pur défi. Néanmoins, il fut très vite habillé et suivit les autres de près lorsqu'ils quittèrent la salle commune.

Durant le petit déjeuner, Drago s’établit d’emblée comme le meneur de la bande, narrant sans interruption des histoires qui le mettaient particulièrement en valeur. La plupart de ces récits sortaient tout droit de son imagination débordante, mais cela, nul n'avait besoin de le savoir. Il n'en fallut pas plus pour lui attirer immédiatement l’intérêt le plus total d'une jeune sorcière qui se présenta sous le nom de Pansy Parkinson. Faisant abstraction de son visage aux traits canins, Drago tira une immense satisfaction d’être si tôt en bonne voie d'atteindre l'objectif de popularité qu'il s’était fixé. Il serait vite le plus réputé des Serpentard.
Une fois le petit déjeuner achevé, ils furent les premiers à s'installer au cours de potions qui avait lieu dans l'un des cachots. Il y faisait plus froid que dans le reste du château et les animaux qui flottaient dans des bocaux de formol alignés le long des murs rendaient l'endroit presque effrayant. Le professeur Rogue, déjà installé à leur bureau, n'accorda pas encore un seul regards aux Serpentard, restant profondément plongés dans sa lecture. Drago choisit une place au premier rang autour de laquelle Crabbe et Goyle vinrent bien entendu s'installer. Pansy, elle non plus, ne restait pas très loin. Malgré cette arrivée en avance, Drago avait la ferme intention de se donner une image cool et détachée de celui qui n'accorde que peu d'importance à ses résultats scolaires, bien qu'en réalité il attendait beaucoup de son enseignement à Poudlard. Tout comme il aurait pu avoir des affinités pour Serdaigle dans un autre contexte, Drago nourrissait secrètement une passion pour l'apprentissage. Les livres étaient souvent venus à son secours lors de ses onze premières années solitaires, et il s’était fixé un autre objectif indépendant de celui vers lequel son père l'avait orienté. Il tenait beaucoup à devenir le major de sa promotion. Au delà de l'accomplissement personnel que cela représentait pour lui, il espérait sincèrement que cette réussite lui vaudrait les félicitations de Lucius. Car Drago aurait tout fait pour entendre son père le complimenter. S'il paraissait sûr de lui, sa confiance en lui-même était pourtant bien fragile et dépendait en grande partie des retours parentaux qu'il recevait. Or pour l'instant il avait plutôt eu l'impression de ne souvent pas être à la hauteur du nom Malefoy, mais il comptait bien le devenir.
Certains cours étant partagés, et Drago eut la mauvaise surprise de découvrir que cette matière, qu'il attendait avec le plus d'impatience, serait malheureusement commune avec les Gryffondor. Justement, des éclats de voix retentirent dans le couloir, signalant l’arrivée de ces rouge et or toujours si bruyants. Quel manque de classe, se dit à nouveau Drago, n'osant imaginer les réactions de ses parents si lui-même se comportait ainsi.
Une fois les Gryffondor installés, le professeur Rogue commença par faire l'appel. Lorsqu'il fut arrivé au nom Harry Potter, il marqua une pause.
-Ah oui, dit-il. Harry Potter. Notre nouvelle... célébrité.
Drago, Crabbe et Goyle ricanèrent en se cachant derrière leurs mains. Rogue acheva de faire l'appel et releva la tête.
-Vous êtes ici pour apprendre la science subtile et l'art rigoureux de la préparation des potions, dit-il.
Sa voix était à peine plus élevée qu'un murmure, mais on entendait distinctement chaque mot. Tout comme le professeur McGonagall, Rogue avait le don de maintenir sans effort le silence dans une classe.
-Ici, on ne s'amuse pas à agiter des baguettes magiques, je m'attends donc à ce que vous ne compreniez pas grand-chose à la beauté d'un chaudron qui bouillonne doucement en laissant échapper des volutes scintillantes, ni à la délicatesse d'un liquide qui s'insinue dans les veines d'un homme pour ensorceler peu à peu son esprit et lui emprisonner les sens... Je pourrais vous apprendre à mettre la gloire en bouteille, à distiller la grandeur, et même à enfermer la mort dans un flacon si vous étiez autre chose qu'une de ces bandes de cornichons à qui je dispense habituellement mes cours.
Cette entrée en matière fut suivie d'un long silence. Drago buvait les mots de leur professeur mais remarqua tout de même qu'il n'était pas le seul. La fille de Gryffondor à l'importante tignasse était assise tout au bord de sa chaise, ayant visiblement hâte de prouver qu'elle n'avait rien d'un cornichon.
-Potter ! dit soudain Rogue. Qu'est-ce que j'obtiens quand j'ajoute de la racine d'asphodèle en poudre à une infusion d'armoise ?
Drago vit Potter jeter un coup d'œil à Weasley qui parut aussi décontenancé que lui. La main de Miss Tignasse s'était levée à la vitesse d'un boulet de canon.
-Je ne sais pas, Monsieur, répondit Potter. Rogue eut un rictus méprisant. De sa place, Drago ne put s'empêcher de prendre la même expression tant cette première question lui avait semblé d'une facilité déconcertante. Drago était en effet bien loin d'être un cornichon lorsqu'il s'agissait de potions.
-Apparemment, la célébrité n'est pas tout dans la vie, dit Rogue sans prêter la moindre attention à la main levée de la jeune sorcière. Drago se demanda un instant s'il devait également prouver qu'il détenait lui aussi les réponses en levant la main, mais oublia vite cette idée face au mépris dont Rogue avait fait preuve envers cette première main levée.
-Essayons encore une fois, Potter, reprit Rogue. Où iriez-vous si je vous demandais de me rapporter un bézoard ?
Gryffontouffe-de-cheveux leva à nouveau la main comme si elle essayait de toucher le plafond, mais Rogue ne faisait toujours pas attention à sa main frémissante. Potter restait toujours silencieux, évitant les regards des Serpentard. Drago, Crabbe et Goyle étaient secoués d'un fou rire, bien que Drago avait la conviction que ses acolytes riaient par imitation, sans trop savoir pourquoi ils étaient sensés rire.
-Je ne sais pas, Monsieur, dit finalement Potter.
-Vous n'alliez quand même pas vous donner la peine d'ouvrir un de vos livres avant d'arriver ici, n'est-ce pas, Potter ?
Drago vit une lueur de défi dans le regard vert perçant de Potter. Il se dit encore une fois que ce garçon devait vraiment être un imbécile. Lui-même avait feuilleté tous ses livres de cours et prit le temps de lire attentivement le manuel intitulé Mille herbes et champignons magiques. Mais après tout, il n'avait de toute façon pas eu grand chose d'autre à faire de la fin de ses vacances.
-Potter, reprit le professeur, quelle est la différence entre le napel et le tue-loup ? Cette fois, la Gryffondor se leva, la main toujours tendue au-dessus de sa tête. Ridicule, souffla Drago entre ses dents.
-Je ne sais pas, répondit Potter avec calme. Mais je crois qu'Hermione le sait. Vous aurez peut-être plus de chance avec elle. Ainsi donc cette masse de cheveux avait un nom, se dit Drago. « Hermione »... Pas un prénom très courant... En tout cas pas parmi les sorciers du moins...
Il y eut quelques rires. Rogue, en revanche, n'avait pas l'air content.
-Asseyez-vous ! lança-t-il à cette Hermione. Pour votre information, Potter, sachez que le mélange d'asphodèle et d'armoise donne un somnifère si puissant qu'on l'appelle la Goutte du Mort vivant. Un bézoard est une pierre qu'on trouve dans l'estomac des chèvres et qui constitue un antidote à la plupart des poisons. Quant au napel et au tue-loup, il s'agit de la même plante que l'on connaît aussi sous le nom d'aconit. Alors ? Qu'est-ce que vous attendez pour prendre note ?
Il y eut un soudain bruissement de plumes et de parchemins.
-Et votre impertinence coûtera un point à Gryffondor, Potter, ajouta Rogue.
Il répartit alors les élèves deux par deux et leur fit préparer une potion destinée à soigner les furoncles. Il passait et repassait parmi les élèves, sa longue cape noire flottant derrière lui, en les regardant peser des orties séchées et écraser des crochets de serpent. Pour Drago, ce premier cours se révélait plus passionnant que ce qu'il en avait espéré, et il appliquait avec une attention méthodique toutes les instructions de leur professeur. Ainsi, chacun eut droit à de sévères critiques, sauf Drago pour qui Rogue semblait éprouver de la sympathie. Impressionné par la prestance de Rogue et appréciant d'être distingué du reste de la classe, Malefoy prit alors la résolution de s'attirer dès que possible les faveurs du directeur de sa maison.