Chapitre 47

Les missions de Drago

Les mois qui suivirent furent un véritable enfer pour Drago qui était devenu le larbin de Voldemort, mais surtout son tortionnaire désigné. Comme il l'avait annoncé, le Seigneur des Ténèbres se servait du jeune garçon d'à peine dix-sept ans pour torturer tous ceux qui lui déplaisaient, et ces derniers étaient nombreux. Même ses propres Mangemorts n'étaient pas à l'abri d'une crise de colère s'ils venaient à le décevoir. Le premier d'entre eux à qui Drago dut faire subir le courroux du mage noir était le grand Mangemort blond qui avait participé à l'attaque de Poudlard. Au bout de la baguette tendue de Drago, il hurlait et se tordait par terre. Voldemort s'écria d'une voix aiguë, glacée, impitoyable :
-Tu en veux davantage, Rowle, ou bien on en reste là et on te donne à manger à Nagini ? Lord Voldemort n’est pas sûr de pardonner, cette fois... Tu m’as rappelé pour ça, pour m’annoncer que Harry Potter s’était à nouveau échappé ? Drago, fais sentir encore une fois à Rowle l’intensité de notre déplaisir... Vas-y ou c’est toi qui subiras ma colère !
Une bûche tomba dans la cheminée. Les flammes se dressèrent, projetant leur clarté sur le visage de Rowle crispé par la souffrance. Drago, l'esprit comme vide, se dit qu'il était quand même peu commun d'apprendre le nom de quelqu'un en le torturant... Apparemment, cet inconscient de Potter avait brisé le tabou en prononçant le nom du Seigneur des Ténèbres et s'était fait repérer à Londres. Foutu tête brûlée de Gryffondor... Heureusement, il avait tout de même réussi à filer entre les doigts de Dolohov et Rowle, échappant une nouvelle fois à la capture. La dernière fois qu'il y était parvenu en quittant la maison de ses Moldus, tous les résidents du Manoir en avaient payé le prix. Lorsque Voldemort entrait dans une colère noire, la Marque des Ténèbres se mettait à brûler comme si elle avait pris feu, et tout ceux qui avaient été marqués en souffraient atrocement sans que rien ne puisse venir soulager cette douleur. Il fallait attendre que leur Maître se soit calmé, ce qui pouvait parfois prendre des heures. Mais heureusement, aujourd'hui seul Rowle subirait sa punition en tant que meneur de l'opération qui avait échouée.

Après ce jour là, il y eut d'autres tortures, d'opposants comme de sympathisants, selon l'humeur du mage noir. Progressivement, Drago se mit à lancer ses sortilèges de manière informulée, ne pouvant plus supporter le mot « Endoloris » qui hantait chaque nuit ses cauchemars... Comme le résultat satisfaisait toujours le Seigneur des Ténèbres, il ne se plaignait pas du silence de Drago et le laissa faire ainsi. Cela donna une idée un peu folle à Drago, mais il fut déterminé à l'essayer... Mélangeant le sortilège Doloris au Rictusempra qui provoquait d'incontrôlables fous rires, il inventa un nouveau sort, l'Endolorict. Il le pratiquait sur son propre corps dans sa chambre la nuit, jusqu'à ce qu'il le maîtrise. Drago se détestait désormais suffisamment pour qu'un sort de douleur puisse fonctionner ainsi, même contre lui-même, au détriment de tout instinct de survie. Lorsqu'il fut convaincu que son subterfuge pouvait marcher, il le tenta au milieu d'une énième séance de torture, entre deux véritables sortilèges Doloris. Les hurlements restaient terribles, et la victime finissait aussi pantelante que lors d'un vrai sortilège impardonnable, mais la douleur était moins forte, Drago le vit dans le regard de son cobaye, rendu un peu moins fou que d'ordinaire. L'illusion était parfaite, et Drago causait beaucoup moins de souffrances qu'auparavant. Cette stratégie lui redonna un élan d'énergie et d'espoir. A sa façon, il lui était possible de résister au Seigneur des Ténèbres, qui n'était finalement pas omniscient. Il se sentait de moins en moins démuni ou affaibli, et eut même la force de diminuer sa consommation de potions du sommeil, retrouvant des idées un peu plus claires. Peut-être y avait-il d'autres alternatives comme celle-ci face au contrôle qu'avait pris Lord Voldemort sur sa vie ?

 Il eut rapidement une autre opportunité de se réveiller un peu plus encore. Un jour, Voldemort l'envoya à Poudlard porter un message à Rogue trop crucial pour être porté par hibou, mais tout de même pas suffisamment important pour que le Seigneur des Ténèbres n'ait à s'y rendre en personne. Dès que possible, il préférait envoyer son larbin. Être constamment traité comme un inférieur qui n'était que bon à exécuter les ordres donnait à Drago une nouvelle compréhension, et même une certaine empathie, envers les elfes de maison et la façon dont ils étaient traités par les sorciers. Drago était curieux, mais pas suffisamment stupide pour être tenté de lire le courrier, qui contenait probablement un maléfice contre qui que ce soit qui n'était pas Rogue. Il transplana jusqu'au portail de Poudlard, puis traversa à pied le parc qui était bien plus calme que d'ordinaire. La neige crissait sous ses pas. Drago avait un peu perdu la notion du temps ces derniers mois, mais on devait être proche de Noël, car il apercevait au loin quelques décorations sur le château, bien que celles-ci soient bien moins spectaculaires que celles qu'il avait connu ces six dernières années. En s'approchant de l'entrée, il vit que les diligences pour la gare étaient stationnées devant le château. C'était sans doute déjà le jour de départ en vacances pour les élèves. Cependant, Drago fut surpris de voir que cette fois, les diligences étaient attelées. Des créatures se tenaient entre leurs brancards : elles ressemblaient à des chevaux mais elles avaient aussi quelque chose de reptilien. On aurait dit qu’elles étaient dépourvues de toute chair. Leur pelage noir collait à leur squelette dont on voyait chaque os se dessiner. Leurs têtes rappelaient celles des dragons et leurs yeux blancs sans pupille avaient un regard fixe et vide. Elles étaient également dotées d’une paire d’ailes à la hauteur du garrot - de grandes ailes noires à la surface lisse comme du cuir, qui auraient pu appartenir à des chauves-souris géantes. Immobiles et silencieuses, les créatures paraissaient sinistres, effrayantes. Drago comprit alors qu'il devait s'agir des Sombrals dont Hagrid leur avait parlé en cinquième année, sauf qu'il pouvait désormais également les voir... depuis Dumbledore... Drago avait longtemps éviter de penser à ce nom car son cœur se serrait tant à chaque fois, et il avait énormément de mal à respirer. En faisant un peu moins de mal aux victimes de Voldemort ces derniers temps, il cherchait toujours ainsi à se racheter très légèrement de sa responsabilité dans le meurtre de son directeur, mais il savait qu'il garderait pour toujours en lui la cicatrice de cet acte impardonnable. Il regarda les Sombrals et comprit ce qu'Hagrid avait voulu dire en expliquant qu'ils étaient fascinants. Aussi horrible soit leur apparence extérieure, ils se mouvaient avec grâce et respirait une sereine tranquillité qui fit beaucoup de bien à Drago en ces heures sombres. Il eut du mal à les quitter pour pénétrer dans le château, mais il ne pouvait malheureusement pas faire durer sa mission plus que nécessaire.
Il se dirigea directement vers le bureau directorial, et vit que Rogue l'attendait devant une gargouille de pierre d'une extrême laideur. La gargouille ne bloquait cependant pas le passage, comme si elle avait fait un pas de côté, et derrière elle, le mur était ouvert pour les laisser passer. Rogue n'avait pas dû vouloir que Drago sache quel était son mot de passe... Malgré cette pensée amère, Drago ne put s'empêcher d'être émerveillé : derrière le mur s'élevait un escalier en colimaçon qui tournait lentement sur lui-même. Lorsque Rogue et lui s'avancèrent sur les marches, le mur derrière eux se referma avec un bruit sourd. Ils s'élevèrent sans effort en cercles successifs qui les emmenèrent de plus en plus haut. Enfin, Drago, légèrement étourdi, vit apparaître une porte en chêne aux reflets chatoyants, avec un heurtoir de cuivre en forme de griffon. Il pensa avec ironie que cette entrée ne faisait pas très Serpentard, en dépit du nouveau directeur de l'école... En entrant dans la pièce, il fut surpris de voir de très nombreux tableaux suspendus au dessus du bureau directorial, mais tous étaient vides, comme si d'un commun accord les personnes qu'ils représentaient avait quitté la pièce en même temps. Drago remit sans un mot le courrier que leur Maître réservait à Rogue. La légère fumée qui s'en échappa à l'ouverture lui confirma sa théorie de maléfice de protection. Le Maître des Potions lut la missive rapidement en silence, puis ordonna simplement à Drago :
-Attendez-moi là, et ne touchez à rien.
Drago avait beau avoir vécu des horreurs, être dans la pire période de sa vie, et craindre constamment pour sa survie et celle de ses proches, il n'en restait pas moins un adolescent de dix-sept ans qui n'aimait pas du tout les interdits. Et il avait bien moins peur de Rogue que de Voldemort...

Il se balada dans la pièce, posant son index pâle sur à peu près tout ce qui était à sa portée. Cet acte de rébellion presque infantile lui fit du bien. Il se retrouva vite face à un objet qu'il n'avait pas vu depuis plus d'un an : le Choixpeau magique... Fixant la déchirure qui lui servait de bouche, Drago fut soudain tenté de le porter à nouveau pour voir si ce dernier pouvait répondre à une question qui le taraudait... Drago avait eu beaucoup de temps pour réfléchir ces derniers mois, et le comportement lâche qu'il avait pu avoir à de nombreuses reprises l'écoeurait désormais... Récemment, le sortilège d'Endolorict qu'il avait inventé était peut-être l'une des choses les plus braves qu'il avait jamais faite... Etait-il réellement juste un pleutre, ou y avait-il en lui plus de cette bravoure qu'il ne le pensait ? Et... si oui... y en avait-il suffisamment pour être admis chez les Gryffondor ?
Il contourna le bureau sans faire de bruit et prit délicatement le chapeau qu'il posa doucement sur sa tête. Il lui parut beaucoup plus petit que la première fois qu'il l'avait mis. Drago attendit. Une petite voix lui parla alors à l'oreille.
-Quelque chose qui te trotte dans la tête ? dit la voix.
-Heu... oui, murmura Drago. Désolé de vous déranger... Je voulais savoir...
-Tu te demandes si je t'ai envoyé dans la bonne maison ? dit aussitôt le chapeau. Mais Drago, pour toi le choix a été extrêmement facile... Je maintiens ce que j'ai déjà dit...
Drago sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine. Il avait beau se poser ces questions en boucle dans sa tête, le Choixpeau ne voyait apparemment pas en lui la moindre étoffe d'un Gryffondor...
-Tu as parfaitement ta place chez les Serpentard.
L'estomac de Drago se contracta. Il attrapa le chapeau par la pointe et commença à le soulever. Soudain la petite voix reprit, d'un ton malicieux :
-Cependant... qui a dit que les Serpentard ne pouvaient pas, eux aussi, faire preuve de courage ?!
Estomaqué, Drago reposa le chapeau sur le bureau. Il aurait pu jurer que celui-ci souriait désormais. Il entendit des bruits de pas approcher, et se replaça rapidement à l'endroit de la pièce où il se trouvait lorsque Rogue l'avait laissé. Celui-ci fit irruption dans la salle, pas dupe une seule seconde que Drago ait respecté l'ordre qu'il lui avait donné. Il lui annonça brièvement :
-J'ai prévenu notre Maître que tu as bien accompli la livraison qu'il attendait de toi, et je l'ai prévenu que j'avais également une course à te confier...
Drago perdit un moment le fil de la conversation. Il ne se rappelait plus quand Rogue s'était mis à le tutoyer au lieu du vouvoiement professeur-élève qu'ils avaient employé jusque là. Bien que le Maître des potions s'apprêtait à lui confier une nouvelle besogne sans doute ingrate, il eut à ce moment l'impression d'être traité, ou du moins adressé comme un égal. Il n'aurait pour autant jamais osé lui retourner ce tutoiement...
-...ainsi il est prévenu que tu rentreras un peu plus tard que prévu au Manoir. Mes nouvelles responsabilités ici ne me permettent pas de quitter le château, dès lors tu devras passer en mon nom à la Tête de Sanglier récupérer quelque chose pour moi. J'ai fait mettre de côté trois bouteille de leur meilleur Whisky Pur Feu que je réserve à notre Maître pour le réveillon de Noël. Ce n'est qu'un petit geste, mais j'y tiens beaucoup, tu prendras donc grand soin de ce présent. Nul besoin de le lui remettre en main propre cependant, tu n'auras qu'à le laisser sur la table du grand salon avec ce mot que je lui adresse. Je ne voudrais pas qu'il t'accorde tout le crédit de cette idée qui est la mienne, ajouta Rogue d'un ton dédaigneux.
En réalité, il évitait à Drago de se trouver plus que de nécessaire face à la personne qu'il craignait le plus, et Drago lui en fut reconnaissant. Il accepta cette tâche inhabituelle à voix basse, et salua son ancien professeur avec politesse avant de quitter son bureau.