Chapitre 48
Courrier d'outre-tombe
Drago passa entre les deux grands piliers de pierre surmontés de sangliers ailés à l'entrée du parc avant de tourner à gauche sur la route du village, le vent rabattant ses cheveux sur son visage. Il avançait le long de la grand-rue, passant devant toutes les joyeuses boutiques qu'il avait connues, qui paraissaient désormais vides ou abandonnées. Enfin, il s’engagea dans une rue latérale au bout de laquelle se trouvait une petite auberge. Une vieille enseigne en bois, suspendue à une potence de fer rouillée, montrait la tête tranchée d’un sanglier qui imbibait de sang le linge blanc sur lequel elle était posée. À mesure qu’il approchait, il entendait l’enseigne grincer dans le vent. Une fois à l'intérieur, Drago se dit que le décor n’avait vraiment rien à voir avec celui des Trois Balais dont la vaste salle aux lueurs chaleureuses donnait une impression de propreté et de confort. Celle de La Tête de Sanglier était petite, miteuse, crasseuse et imprégnée d’une forte odeur qui faisait penser à des chèvres. Les fenêtres en saillie étaient tellement incrustées de saleté que la lumière du jour avait du mal à les traverser. Le seul éclairage provenait de bouts de chandelles posés sur les tables en bois brut. À première vue, le sol semblait en terre battue mais, en posant le pied dessus, Drago s’aperçut qu’il y avait de la pierre sous les couches de salissures qui paraissaient s’être accumulées depuis des siècles. Le bar était totalement vide. Le barman sortit d’une arrière-salle et s’approcha de lui en marchant en crabe. C’était un vieil homme à l’air revêche avec une imposante barbe grise et de longs cheveux de la même couleur. Il était grand et mince et Drago eut la vague impression de l’avoir déjà vu. -Quoi ? grogna-t-il. -Je viens chercher quelque chose pour Severus Rogue. Le barman le regarda des pieds à la tête en silence. Ses yeux bleus donnèrent à Drago l'impression d'être littéralement transperçé par ce regard, et des cheveux se dressèrent dans sa nuque. Le barman marmonna : -Drago Malefoy, hein... un instant je reviens. Il s'éloigna à nouveau dans l'arrière salle, mais revint vite avec les trois bouteilles emballées sur lesquels était accroché un morceau de parchemin, le mot de Rogue pour le Seigneur des Ténèbres sans doute, mais le barman tenait également... une lettre. Il posa les bouteilles sur le bar et tendit à Drago la lettre sans un mot. Perplexe, Drago la saisit, et l'ouvrit. Le parchemin était couvert d'une écriture fine et penchée :
Cher Drago,
Au risque d'avoir l'air démesurément dramatique, je pense que lorsque tu liras ceci je serai déjà mort. Cependant, contrairement à ce qui est attendu de toi, je ne pense pas que je mourrai réellement de ta main. Tu n'es pas un tueur Drago. Je comprends la position dans laquelle tu te trouves, et je ne souhaite pas t'attirer de plus gros ennuis en intervenant, mais si tu savais comme il me peine de te voir chaque jour plus épuisé et effrayé... Je ne peux qu'imaginer à quel point tu dois te sentir seul en ce moment... Je ne sais pas quand tu recevras cette lettre, et si même tu la liras un jour, mais j'aimerais que tu saches que tu n'as jamais été seul, pas réellement. De mon côté, j'ai envisagé de nombreuses solutions possibles pour vous protéger, toi et ta famille, et un abri protégé par Fidelitas existe déjà pour vous. Malheureusement, étant seul gardien du secret, j'ai bien peur d'avoir tout bêtement rendu une demeure définitivement inaccessible si jamais tu n'acceptais pas mon offre de protection ! Mais je ne suis pas le seul à vouloir te venir en aide, Severus a également tes intérêts à cœur, et pas seulement parce qu'il a accompli le Serment Inviolable avec ta mère durant l'été. Il a du respect pour l'élève studieux qu'il a suivi pendant cinq ans, et je pense également qu'il a beaucoup d'affection pour toi. Bien entendu ta mère, et même tes deux parents t'ont déjà placé au centre de leurs priorités depuis longtemps. Narcissa était désespérée lors qu'elle est venue voir Severus. Elle serait prête à tout pour te protéger. Et malgré la rivalité qui existe entre vous, je pense que même Harry n'est pas indifférent à ton sort. Il te suspecte de beaucoup de choses en ce moment, et comme plus d'une sont vraies, je pense qu'il doit t'observer de près. Certes il y a là de la curiosité alimentée par votre mésentente mutuelle, mais je le trouve bien trop persistant pour être juste investigateur et non pas également préoccupé par ce qu'il t'arrive. Je pense qu'il n'est pas le seul à être inquiet, tes camarades de Serpentard doivent également se faire du soucis pour toi. Si je dis tout cela, c'est parce que, malgré le sentiment de solitude qui t’oppresse constamment, tu es quand même entouré Drago, et même aimé.
Je ne connais pas les détails de tes manigances cette année, mais je te sais extrêmement intelligent et rusé. Face à cela, même un esprit comme le mien ne peut prédire avec exactitude l'issue de cette situation. Le Seigneur des Ténèbres ne s’attend pas à ce que tu réussisses. Il s’agit d’un simple châtiment destiné à punir les récents insuccès de Lucius, une torture lente pour que tes parents te voient échouer et en payent le prix. Mais même Lord Voldemort peut se tromper, et selon moi il fait une terrible erreur en te sous-estimant. Pour ma part, deux choses me paraissent néanmoins certaines : ni Severus, ni moi ne laisserons le châtiment qu'il te réserve avoir lieu. Quand bien même je t'aurais mal jugé, et que tu trouverais en toi la résolution de me tuer, je veux que tu saches que tu n'aurais fait qu'accélérer l'inévitable, car je suis déjà mourant. Cet été, j’ai été stupide et terriblement tenté par un objet malheureusement protégé par de la magie noire. Tu as sans doute pu voir ma main blessée : il me paraît important que tu saches que le maléfice qui s'y trouve contenu ne me laisse de toute façon qu'à peine une année de plus à vivre. Quoi qu'il arrive, la mort vient à moi aussi sûrement que les Canons de Chudley arriveront derniers du championnat cette année. Ne souhaitant pas que ton âme soit ravagée à cause de moi, j'avais chargé Severus de mettre un terme à ma vie à ta place. S'il m'a fait cette grande et unique faveur, c'était car je préférais une sortie rapide et indolore plutôt que longue et répugnante comme j'aurais pu avoir si d'autres Mangemorts s'en était mêlés. Je lui ai demandé d’aider un vieil homme à échapper à la douleur et à l’humiliation. Au moment où Lord Voldemort t'as ordonné de me tuer, ma vie avait déjà pris fin, et ce presque selon mes propres termes. Tu dois désormais savoir que tout le monde n'a pas cette chance. Plus que tout, j'espère avoir réussi à préserver ton âme, Drago.
Tu es un sorcier exceptionnel et je serai très attristé que les circonstances actuelles viennent gâcher tout ton potentiel. Tu n'as pas toujours reçu les enseignements les plus ouverts d'esprit, ou bien même juste eu l'entourage que tu espérais, mais tu as sans doute désormais suffisamment mûri pour faire des choix et décider de qui tu as envie de devenir. Rappelle-toi ce que je t'avais dit au sujet des choix Drago, du moins si tu veux clarifier ton reflet dans le miroir, et être enfin heureux.
Si je t'écris tout ceci aujourd'hui, c'est parce que j'aimerais que tu aies confiance, en toi, en tes capacités, en l'avenir... Autant que moi j'ai confiance en toi. J'aurais pu protéger cette lettre d'un sortilège de Fidelitas, car son existence même met en danger la vie de mon cher ami Severus. Je ne l'ai pas fait dans l'espoir de te prouver ma confiance en toi Drago. Je pense que tu as longtemps été déchiré entre une soif de gloire, et l'envie d'être aimé, confondant parfois les deux. Apporter cette information à ton Maître t'assurerais une place de choix dans son cercle proche, mais je ne crois pas que tu le feras. Pas après ce qu'il a exigé de toi et ce qu'il t'a fait traverser. Tu n'as pas pu le faire plus tôt, mais j'ai bon espoir que tu rejoignes désormais le bon camp, notre camp. Harry Potter est le meilleur espoir que nous ayons tous. Fais-lui confiance.
Albus Dumbledore.
PS : Pour moi il n'y a rien à pardonner, mais pensant te connaître, je sais que tu seras tu seras soulagé de lire que je te pardonne Drago.
Drago avait été profondément chamboulé tout au long de cette lecture mais cette dernière phrase le fit craquer. Il n'avait pas réalisé à quel point il avait eu besoin du pardon de Dumbledore. C'était comme si un énorme poids avait été retiré de ses épaules, et que sa poitrine désormais moins comprimée le laissait enfin respirer. Il avait tant redouté que ses actions soient absolument impardonnables... Drago fondit en larmes.
Il lui sembla qu'une éternité avait eu le temps de passer avant qu'il arrive enfin à se maîtriser un peu. Le barman, n'ayant pas fait un geste vers lui, le fixait toujours. Drago le dévisagea, essayant de distinguer ses traits à travers sa barbe et ses cheveux, longs, filandreux, d’un gris de fil de fer. Derrière ses lunettes aux verres sales, ses yeux étaient d’un bleu perçant, brillant, et si familier... -Vous êtes... vous êtes... articula péniblement Drago, toujours secoué de sanglots. -Son frère. Abelforth. Cette information calma légèrement Drago, qui renifla. -Et ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion de rencontrer en personne l'assassin d'un membre de sa famille mon garçon. Drago sentit de nouvelles larmes lui brûler les yeux. -Je n'ai pas... je ne voulais pas... je suis désolé... s'excuser à voix haute lui fit étonnamment beaucoup de bien et l'apaisa enfin. -Je sais bien, mon cher petit Mangemort, reprit Abelforth avec un soupçon de plaisanterie dans la voix, bien que Drago ne voyait pas ce qui pouvait être source d'humour dans cette situation. -Nous avions nos différents mais mon frère était un grand homme, et quelqu'un de bien. Je n'ai pas lu sa lettre, mais je sais qu'il ne t'aurait pas écrit s'il n'avait pas eu confiance en toi. D'après ce que Rogue m'a dit, tu t'es retrouvé dans tout cela plus ou moins malgré toi et tu as pu faire des erreurs. Il est désormais temps de choisir Drago. Es-tu prêt à agir pour épargner des vies innocentes, ou bien mon frère aussi s'était-il trompé en croyant en toi ? Drago n'eut pas à peser le pour ou le contre. La situation comportait des dangers plus qu'évidents, mais il n'avait plus la force de vivre dans le déni derrière son masque. La réponse lui vint facilement. Non, Dumbledore n'avait pas eu tord de croire en lui, il ferait ce qu'il pourrait à sa manière pour ne pas trahir sa mémoire.
Lorsque Drago rentra enfin au Manoir, il n'y avait plus aucune trace de son émoi sur son visage. Il avait remis son masque, mais cette fois il ne s'en servait plus pour dissimuler ses doutes ou ses crainte. Il cachait désormais tout autre chose : sa détermination. La décision qu'il avait prise ce jour-là de résister à Lord Voldemort l'emplissait d'une force soudaine. Ainsi c'était donc cela le courage, se dit-il, avec l'impression que son cœur était à présent protégé par sa nouvelle résolution. Les actes de cruauté de Voldemort l'affectaient moins maintenant qu'il faisait quelque chose pour lutter contre. Comme s'il avait d'avance su quelle serait la réponse de Drago, dans sa note accompagnant le présent du Seigneur des Ténèbres, Rogue avait demandé à ce que l'adolescent lui soit plus régulièrement envoyé au château, justifiant que pour de nombreuses informations il s'agissait là d'un moyen de communication bien plus sûr. Indifférent au sort du jeune garçon, Voldemort avait accepté. Drago était moins souvent au Manoir à torturer les nombreux ennemis du Seigneur des Ténèbres et plus actif qu'avant, ce qui lui donnait une énergie nouvelle. Le fait d'enfin agir avait créé une flamme qu’il sentait brûler en lui comme un talisman qui le protégeait du mage noir. Comme son professeur, il servait désormais d'agent double et d'intermédiaire entre les deux camps. Rogue aurait fini par être suspecté s'il avait trop souvent quitté le château, et il aurait été trop dangereux pour lui de communiquer via hibou. De toute façon, l'Ordre du Phénix n'avait désormais plus confiance en le Maître des potions. Il confiait alors ses informations à Drago, qui les reportait à Albeforth sur le chemin du retour afin que celui transmette tout ce qu'il pouvait à l'Ordre. Même si son nouveau rôle lui mettait du baume au cœur, ses nombreuses visites à Poudlard l'attristaient, car l'école n'était vraiment plus la même qu'auparavant. Il comprit vite à l'atmosphère de terreur qui régnait que les Carrow menaient la vie dure aux élèves, notamment aux trois maisons qui ne portaient pas la couleur verte dans leur bannière. Les couloirs étaient généralement déserts, et le château inhabituellement silencieux. Un jour, Drago croisa Crabbe et Goyle. Ce dernier le salua d'un signe de tête, mais Vincent eut un éclat farouche dans le regard, et le traita avec un air hautain qu'il n'aurait jamais osé arborer avec Drago par le passé. Le nom Malefoy n'inspirait plus autant de respect qu'avant parmi les partisans du Seigneur des Ténèbres se dit Drago en se dirigeant vers la Tête de Sanglier, et cette pensée l'attrista moins qu'elle n'aurait pu le faire par le passé.
Abelforth lui réservait une surprise ce jour-là, il lui tendit un petit miroir carré. Alors que Drago le regardait, perplexe, le vieil homme expliqua : -Ceci est un Miroir à Double Sens. J’en possède un autre exactement semblable. Si tu as besoin de me parler, prononce mon nom en le regardant. Tu apparaîtras alors dans mon propre miroir et moi, je te parlerai dans le tien. J'ai eu beaucoup de mal à m'en procurer un, mais en vérité c'est Potter qui m'a donné l'idée. Il pointa du doigt un objet posé sur le manteau de la cheminée : un autre petit miroir rectangulaire appuyé contre le mur, juste sous une grande peinture à l’huile représentant une fillette blonde qui contemplait la pièce avec une sorte de douceur absente. -Apparemment Potter et son parrain en possédaient un chacun pour communiquer. Albus m’a expliqué ce que c’était et je l’ai acheté il y a environ un an à une sorte d'escroc qui l'avait volé. J'essaye de garder un œil sur Potter avec. Drago resta bouche bée. Tout le monde recherchait celui qui était désormais qualifié d'Indésirable n°1, et depuis tout ce vieil homme avait eu un moyen de le surveiller. Abelforth répondit vite à son air estomaqué : -Détrompe-toi mon garçon, ce n'est pas du tout aussi facile que cela en a l'air. Déjà, Potter ne sort que rarement son miroir, le reste du temps je ne vois rien. Ensuite, ce maladroit a dû briser le sien, il ne lui en reste qu'un fragment. Les informations que j'arrive à percevoir dans le mien sont donc troubles, et tout son est haché à la limite de l'inaudible. C'est pourquoi je voulais en trouver un intact pour que tu puisses plus aisément communiquer avec moi. C'est plus discret que tes incessants détours par mon pub, tu ne pues pas assez l'alcool en rentrant pour être crédible comme alcoolique. Or je ne voudrais pas que les autres se mettent à se douter de quelque chose. Alors ne le casse pas toi aussi ! Drago fut ému, car à sa façon bourrue, Abelforth cherchait également à le protéger. En rentrant au Manoir, il serrait fort dans sa main le miroir avant de le dissimuler soigneusement dans sa chambre. |