Chapitre 50
Retour à Poudlard
Le retour de Drago à l'école fut loin d'être triomphant. Quand il avait intégré les Mangemorts l'année précédente, il rêvait de gloire, de restaurer son nom de famille, de susciter l'admiration parmi ses pairs... Finalement, la réalité n'avait pas du tout été aussi prestigieuse qu'il ne l'avait espéré. Drago était ostensiblement craint par les autres élèves présents au château. Tous l'évitaient autant que possible. Même Crabbe et Goyle ne passaient plus autant de temps avec lui qu'auparavant. Goyle était devenu très discret, presque effacé, et Crabbe, qui menait de toute évidence la danse entre eux, était constamment fourré avec les Carrow afin de punir les élèves à leur façon. Il traitait Drago avec un mépris évident, donc ce dernier s'était pleinement replongé dans son apprentissage pour faire abstraction de la façon dont il était désormais perçu à Poudlard. Après l'année qu'il venait de vivre, redevenir l'élève studieux qu'il avait été constituait un immense soulagement. Mais Drago ne s'était pas totalement relâché pour autant, et restait sur le qui-vive. La guerre n'était pas finie et nul ne serait véritablement tranquille tant que Lord Voldemort serait au pouvoir.
Sa vigilance constante n'était pas vaine, car une nuit, il fut brutalement réveillé par une douleur dans son bras gauche. L'un des Mangemorts avait dû appuyer sur la tête de mort et le serpent tatoués sur son avant-bras, ce qui, au vue des instructions actuelles du Seigneur des Ténèbres, ne pouvait signifier qu'une seule chose : Potter avait à nouveau été repéré. Il bondit de son lit et se précipita hors du dortoir. Le château était encore calme mais cela ne tarderait pas à changer. En effet, rapidement les directeurs des maisons voulurent rassembler les élèves dans la Grande Salle et le professeur Slughorn leur ordonna de le suivre. Dans le couloir, ils croisèrent le vieux concierge qui clopinait et criait : -Élèves hors des dortoirs ! Élèves dans les couloirs ! Il fut vite rabroué par McGonagall. -C’est justement ce qu’ils doivent faire, bougre d’idiot ! vociféra-t-elle. Essayez plutôt de vous rendre utile ! Allez chercher Peeves ! -P… Peeves ? bredouilla Rusard, comme si c’était la première fois qu’il entendait ce nom. -Oui, Peeves, imbécile, Peeves ! Il y a bien un quart de siècle que vous vous plaignez de lui, non ? Eh bien, allez le chercher immédiatement ! De toute évidence, Rusard pensait que le professeur McGonagall avait perdu l’esprit mais il s’éloigna en claudiquant, les épaules voûtées, marmonnant dans sa barbe. Drago vit ensuite la directrice des Gryffondor se tourner vers le mur : -Et maintenant… Piertotum locomotor ! s’écria le professeur McGonagall. Tout au long du couloir, les statues et les armures sautèrent aussitôt de leurs piédestals et quand il entendit le fracas qui provenait des autres étages, Drago sut que toutes les statues et armures du château avaient fait de même. -Poudlard est menacé ! hurla le professeur McGonagall. Postez-vous le long des enceintes, protégez-nous, faites votre devoir envers notre école ! Martelant le sol, hurlant, s’entrechoquant, la horde des statues se précipita le long du couloir, en passant devant les élèves : certaines étaient plus petites, d’autres plus grandes que leurs modèles humains. Il y avait aussi des animaux, et les armures qui avançaient dans un cliquetis métallique brandissaient des épées et des masses d’armes. Le château était décidément bien prêt à se défendre !
Le plafond enchanté de la Grande Salle était sombre et parsemé d’étoiles. Au-dessous, les quatre longues tables des maisons de Poudlard étaient entourées d’élèves aux cheveux en bataille, certains vêtus de capes de voyage, d’autres de robes de chambre. Par endroits brillaient les silhouettes nacrées des fantômes de l’école. Tous les regards, ceux des vivants et des morts, étaient fixés sur le professeur McGonagall qui parlait sur l’estrade, à l’extrémité de la salle. Derrière elle se tenaient les enseignants qui étaient restés sur place, y compris le centaure à la robe claire et cuivrée, et les membres de l’Ordre du Phénix, venus se battre. -L’évacuation se fera sous le contrôle de Mr Rusard et de Madame Pomfresh. Vous, les préfets, quand je vous l’indiquerai, vous devrez organiser vos maisons et mener en bon ordre ceux dont vous avez la charge jusqu’au point d’évacuation. De nombreux élèves paraissaient terrifiés, mais Macmillan se leva à la table des Poufsouffle et s’écria bravement : -Et si on veut participer aux combats ? Il y eut quelques applaudissements. -Du moment que vous êtes majeurs, vous pouvez rester, répondit le professeur McGonagall. -Et nos affaires ? lança une fille à la table des Serdaigle. Nos valises, nos hiboux ? -Nous n’avons pas le temps de les prendre, expliqua le professeur McGonagall. L’important, c’est que vous sortiez d’ici en toute sécurité. -Où est le professeur Rogue ? cria une fille à la table des Serpentard. -Quelqu’un parlait de valises, eh bien, lui, pour employer une expression familière, il s’est fait la malle, répliqua le professeur McGonagall. Des acclamations explosèrent aux tables des Gryffondor, des Poufsouffle et des Serdaigle. Tous ces gens ignoraient le véritable rôle que jouait Rogue dans cette histoire, mais Drago le connaissait aurait préféré que ce dernier soit encore présent dans le château. Il était maintenant livré à lui-même. Potter s’avança alors dans la Grande Salle, le long de la table des Gryffondor, et de nombreux visages se tournèrent vers lui, les chuchotements se multipliant sur son passage. Il était ici, de retour au château ! Cela fit tout drôle à Drago de le revoir dans le cadre si familier de l'école, bien que son apparence n'avait plus rien à voir avec celle d'un étudiant. En tenue de Moldu abîmée, le visage marqué par son année de cavale, Potter lui parut bien plus âgé que la dernière fois qu'ils s'étaient vus - sans compter leur brève entrevue au Manoir où son visage était devenu un énorme ballon de baudruche rougeâtre. -Nous avons déjà installé des défenses autour du château, disait le professeur McGonagall, mais elles ne tiendront pas longtemps si nous ne les renforçons pas. Je vais donc vous demander de vous déplacer vite et dans le calme, en obéissant à vos préfets… Mais ses derniers mots se perdirent, submergés par une autre voix très différente qui résonna dans toute la Grande Salle. Elle était aiguë, glacée, tranchante et on ne savait pas d’où elle venait. Elle semblait émaner des murs eux-mêmes. Drago eut du mal à supporter d'entendre à nouveau cette voix tant redoutée qui avait hanté ses cauchemars toute l'année. -Je sais que vous vous préparez à combattre. Des élèves se mirent à hurler, certains s’agrippaient les uns aux autres, jetant des regards terrifiés pour déceler l’origine de la voix. -Vos efforts sont dérisoires. Vous ne pouvez rien contre moi. Je ne désire pas vous tuer. J’ai un grand respect pour les professeurs de Poudlard. Je ne veux pas répandre le sang des sorciers. Un grand silence s’abattit soudain dans la salle, cette sorte de silence qui pèse sur les tympans et semble trop intense pour être contenu à l’intérieur des murs. -Livrez-moi Harry Potter, reprit la voix de Voldemort, et il ne sera fait aucun mal à personne. Livrez-moi Harry Potter et je quitterai l’école en la laissant intacte. Livrez-moi Harry Potter et vous serez récompensés. Vous avez jusqu’à minuit. Le silence les avala à nouveau. Toutes les têtes se tournèrent, tous les regards semblaient s’être posés sur Potter, l’avoir figé comme dans un faisceau lumineux constitué de milliers de rayons invisibles. Puis une silhouette se leva à la table des Serpentard et Drago reconnut Pansy qui tendit un bras tremblant et hurla : -Mais il est là ! Potter est là ! Que quelqu’un l’attrape ! Avant que Potter ait pu ouvrir la bouche, il y eut un mouvement collectif. Devant lui, les Gryffondor s’étaient dressés et faisaient face, non pas à Potter lui-même, mais aux Serpentard. Puis les Poufsouffle se mirent debout à leur tour et, presque au même moment, les Serdaigle les imitèrent, le dos tourné à l’Élu, les yeux fixés sur Pansy. Drago s'était retenu de justesse de les rejoindre, et regarda, impressionné, les baguettes magiques jaillir de partout, sortant de sous les capes ou de l’intérieur des manches. Il n'était pas le seul à protéger Potter aujourd'hui, et face à un tel mouvement de solidarité, sa présence ici lui parut presque dérisoire. Il allait falloir qu'il fasse autre chose qu'assister passivement à la scène. -Merci, Miss Parkinson, dit le professeur McGonagall d’un ton cassant. Vous allez quitter la Grande Salle la première avec Mr Rusard. Il serait souhaitable que les autres élèves de votre maison partent avec vous. Se tournant vers Potter, elle ajouta : -Potter, n’êtes-vous pas censé chercher quelque chose ? -Quoi ? Ah, oui, dit-il, avant de quitter précipitamment la Grande Salle. Drago n'aimait pas trop le voir sortir de son champ de vision, et eut alors une idée.
Alors que les Serpentard allaient se rassembler de l’autre côté de la salle, Drago se faufila derrière les larges silhouettes familières de Crabbe et Goyle. -Suivez-moi, leur chuchota Drago, le Seigneur des Ténèbres veut Potter et je sais comment le lui livrer. Goyle lui emboîta aussitôt le pas, comme par réflexe, mais Crabbe parut plus hésitant. Finalement la perspective de gloire aux yeux du mage noir parut l'emporter sur ses réticences, et il les suivit sans se douter que Drago leur mentait pour parvenir à ses fins. Il n'était pas sûr d'avoir vraiment besoin des gros bras, mais il espérait qu'ils lui soient toujours relativement obéissants. Drago redoutait franchement de traverser le château seul au milieu de combats qui y aurait lieu très prochainement. Ce n'était sans doute pas raisonnable, mais l'envie de retrouver Potter était trop forte pour qu'il ne puisse y résister. Il la justifia comme un besoin de s'assurer qu'il ne lui arriverait rien, puisqu'après tout, Dumbledore avait bien dit qu'il était leur meilleur espoir de sortir de cet enfer. -Les Serdaigle, vous les suivez ! s’écria le professeur McGonagall. Lentement, les quatre tables se vidèrent. Drago et ses acolytes profitèrent du mouvement de foule pour quitter la salle. Il se dirigèrent vers le septième étage. Comme Drago l'avait prévu, Potter se rendit bien dans la Salle sur Demande, en l'habituelle compagnie de Granger et Weasley. Ils parlaient d'y chercher un diadème et passèrent devant Drago, Crabbe et Goyle sans les repérer puisque ceux-ci s'étaient camouflés à l'aide d'un sortilège de Désillusion. Drago eut une sensation étrange en voyant Potter tenir sa propre baguette dans sa main. Il supportait difficilement d'en être privé, et venant de qui que ce soit d'autre il aurait été dans une colère noire à cette vision. Mais c'était Potter qui l'avait entre ses doigts, et en un sens, partager une forme de magie avec lui le dérangeait moins... Pour autant, il voulait tout de même vraiment récupérer sa baguette. Une fois que Potter et ses amis furent entrés dans la Salle, trois Serpentard les suivirent à l'intérieur. Drago s’avançait de plus en plus profondément dans le labyrinthe d’objets si familiers. Devant lui, Potter, désormais seul, s'arrêta en face du placard couvert de cloques où Drago avait trouvé le vieux livre de potions du Prince de Sang Mêlé. Alors que Potter tendait la main vers le placard, il parut opportun à Drago de lui signaler sa présence : -Pas si vite, Potter. Potter s’arrêta net, ses chaussures dérapant sur le sol, et se retourna. Sa maladresse était presque comique. -C’est ma baguette que tu as là, Potter, dit Drago, se glissant entre Crabbe et Goyle qui ricanaient. Ils étaient presque revenus au bon vieux temps. -Ce n’est plus la tienne, répliqua Potter, le souffle court, en resserrant les doigts sur la baguette d’aubépine. Le vainqueur devient possesseur, Malefoy. Qui t’en a prêté une ? -Ma mère, répondit Drago. Potter éclata de rire, bien que la situation n’eût rien de très comique. -Comment se fait-il que vous ne soyez pas avec Voldemort, tous les trois ? s’étonna-t-il. -On aura notre récompense, dit Crabbe. Drago s'étonna de l'entendre parler ainsi, surtout de cette voix étonnamment douce pour quelqu’un d’aussi énorme. Crabbe souriait comme un enfant à qui on a promis un gros paquet de bonbons. -Nous sommes restés en arrière, Potter. Nous avons décidé de ne pas y aller. On voulait te livrer à lui. Du moins, c'était ce que Drago leur avait fait croire. -Bon plan, répondit Potter sur un ton de feinte admiration. Comment avez-vous fait pour entrer ici ? -J’ai pratiquement vécu dans la Salle des Objets Cachés tout au long de l’année dernière, répliqua Drago, la voix crispée au souvenir de cette année effroyable. Je sais comment y pénétrer. -On s’est cachés dans le couloir, dehors, grogna Goyle. Maintenant, on sait faire les sortilèges de Désola... Désalu... Des-lusion ! Et là-dessus - son visage se fendit en un sourire niais - tu es arrivé juste devant nous et tu as dit que tu cherchais un dieu-dame ! C’est quoi, ça, un dieu-dame ? -Harry ? dit soudain la voix de Weasley, de l’autre côté du mur d’objets. Tu parles à quelqu’un ? Avant que Drago n'ait pu l'en empêcher, Crabbe fit un mouvement brusque, semblable à un coup de fouet, et pointa sa baguette sur les vieux meubles, les malles défoncées, les livres usagés, les robes mitées et autre bric-à-brac non identifié qui s’entassaient en une montagne d’une quinzaine de mètres de hauteur. -Descendo ! hurla-t-il. Le mur commença à vaciller puis à s’ébouler dans l’allée voisine où se trouvait Weasley. -Ron ! beugla Potter. Quelque part, hors du champ de vision de Drago, Granger poussa un cri et il entendit d’innombrables objets s’écraser par terre, de l’autre côté du mur chancelant. -Finite ! s’exclama Potter, sa baguette tendue vers le rempart qui se stabilisa aussitôt. -Non ! vociféra Drago en immobilisant le bras de Crabbe au moment où celui-ci s’apprêtait à renouveler son sortilège. Il utilisa la première excuse qui lui vint en tête pour justifier son geste. Si tout s’écroule, le diadème va être enterré sous les décombres ! -Qu’est-ce que ça peut faire ? répliqua Crabbe en dégageant son bras. C’est Potter que veut le Seigneur des Ténèbres. Qui va s’intéresser à un dieu-dame ? -Potter est venu ici pour le prendre, dit Drago sans parvenir à dissimuler l’agacement que lui inspirait la bêtise de ses deux acolytes. Ce qui doit signifier... -Doit signifier ? Crabbe se tourna vers Drago avec une férocité qu’il ne cherchait plus à déguiser. -On s’en fiche de ce que tu penses. Je n’obéis plus à tes ordres, Drago. Toi et ton père, vous êtes finis. -Harry ? s’écria à nouveau Weasley, de l’autre côté du mur de vieilleries. Qu’est-ce qui se passe ? -Harry ? imita Crabbe, moqueur. Qu’est-ce qui se... non, Potter ! Endoloris ! Potter s’était rué sur la tiare. Le sortilège de Crabbe le manqua, mais frappa le buste qui fut projeté en l’air. Le diadème s’envola puis retomba hors de vue, parmi la masse d’objets sur laquelle le buste avait lui-même atterri. Drago réalisa soudain l'ampleur de son erreur. Crabbe n'était pas venu pour lui obéir, ni même pour simplement capturer Potter. Il voulait le faire souffrir, et probablement le tuer... -STOP ! hurla Drago à Crabbe, sa voix résonnant en écho dans l’immense salle. Le Seigneur des Ténèbres le veut vivant... -Et alors ? Je ne l’ai pas tué, non ? s’écria Crabbe, en rejetant le bras de Drago qui essayait à nouveau de le retenir. Mais si je le peux, je le ferai, le Seigneur des Ténèbres veut qu’il meure, de toute façon, quelle diff... Un jet de lumière écarlate passa alors à quelques centimètres de Potter : Granger s’était précipitée derrière lui et avait lancé un sortilège de Stupéfixion en visant la tête de Crabbe. Mais par réflexe, Drago avait poussé celui-ci hors de la trajectoire de l’éclair qui rata sa cible. -C’est cette Sang de Bourbe ! Avada Kedavra ! Granger plongea de côté pour éviter la tentative de meurtre de Crabbe. Potter jeta à son tour un sortilège de Stupéfixion à Crabbe. Ce dernier l’évita d’un bond, bousculant Drago qui, sous le choc, lâcha sa baguette. Elle roula à terre sous une montagne de caisses et de meubles brisés. -Ne le tuez pas ! NE LE TUEZ PAS ! cria Drago à Crabbe et à Goyle qui visaient tous les deux Potter, avec l'énergie du désespoir. Ils hésitèrent une fraction de seconde qui suffit heureusement à Potter. -Expelliarmus ! Dommage que leur Elu ne connaisse qu'un sortilège, pensa ironiquement Drago, mais au moins celui-ci était efficace. La baguette de Goyle lui échappa des mains et disparut dans la muraille d’objets à côté de lui. Il sauta bêtement sur place pour essayer en vain de la récupérer. Drago se rua hors de portée du deuxième sortilège de Stupéfixion que lança Granger, et Weasley, apparaissant soudain au bout de l’allée, jeta à Crabbe un maléfice du Saucisson qui le manqua de peu. Crabbe fit volte-face et hurla à nouveau : -Avada Kedavra ! D’un bond, Weasley échappa au jet de lumière verte. Crabbe était devenu complètement fou... Drago, terrifié et privé de baguette, se réfugia derrière une armoire à trois pieds tandis que Granger fonçait sur eux, lançant au passage un sortilège de Stupéfixion qui frappa Goyle de plein fouet. A ce moment là, Drago redoutait plus son acolyte que ses « ennemis ». -Il est quelque part par là ! cria Potter en montrant la pile d’objets sur laquelle le vieux diadème était tombé. Cherche-le pendant que je vais aider R... -HARRY ! hurla Granger. Derrière lui, un grondement qui enflait rapidement l’avertit de justesse. Il pivota sur ses talons et vit Weasley et Crabbe courir vers eux à toutes jambes, le long de l’allée. -Tu aimes la chaleur, crapule ? rugit Crabbe sans cesser de courir. Mais il semblait incapable de maîtriser ce qu’il avait déclenché. Des flammes d’une taille anormale les poursuivaient et léchaient au passage les amas d’objets qui s’effritaient en se couvrant de suie à leur contact. -Aguamenti ! hurla Potter. Mais le jet d’eau qui jaillit de sa baguette s’évapora dans l’air. -COURS !
Drago attrapa Goyle, rendu inerte par la stupéfixion, et le traîna avec lui. Il ne pouvait pas le laisser là et n'avait plus de baguette pour le faire léviter. Crabbe les devançait tous, l’air terrifié, à présent. Potter, Weasley et Granger s’étaient précipités sur ses talons, poursuivis par le feu. Drago ne pouvait pas aller aussi vite qu'eux, ployant sous le poids de Goyle. Il n'arriverait jamais à sortir de la salle avant que les flammes ne le rattrapent. Ce n’était pas un feu normal. Crabbe avait lancé un sortilège de Feudeymon. Les flammes se comportaient comme si elles étaient vivantes, dotées de sens, décidées à les tuer. Le feu, maintenant, se métamorphosait, se transformant en une gigantesque horde de bêtes féroces : serpents enflammés, chimères et dragons se dressaient dans les airs, fondaient en piqué puis s’élevaient à nouveau. Les détritus séculaires dont ils se nourrissaient étaient catapultés dans leurs gueules hérissées de dents, projetés très haut sur leurs pattes griffues avant d’être consumés par la fournaise. Drago fit le choix de bifurquer. Il ne se dirigeait plus vers la sortie de la pièce mais vers une pile de bureau. Avec beaucoup de difficulté, il hissa progressivement le corps inanimé sur la pile, l'agrippant, de peur qu'il ne bascule dans les flammes. Les monstres enflammés les avaient encerclés, se rapprochant de plus en plus. Ils donnaient des coups de griffes, de corne, de queue, et la chaleur se solidifiait comme un mur autour d’eux. La fumée et la chaleur commençaient à les submerger. Au-dessous d’eux, le feu maléfique consumait les objets cachés de générations d’élèves pourchassés, les résultats inavouables de milliers d’expérimentations interdites, les secrets des âmes innombrables qui avaient cherché refuge dans cette salle. Drago ne se voyait plus jamais en sortir... Quelle horrible façon de mourir... Jamais il n’avait voulu une chose pareille... Perché sur la pile fragile de bureaux carbonisés, Drago entourait de ses bras Goyle inconscient, et laissa filer tout espoir de survivre à cette journée. Au moins, avec son changement de camp ces derniers mois, Drago mourrait avec moins de regrets... Soudain, de nulle part, une vision si irréaliste qu'il crut d'abord qu'il l'avait rêvée apparut aux yeux de Drago. Potter sur un balai plongeait vers lui. Dans un état d'hébétude et trop sans savoir si tout cela était bien réel, Drago leva une main, mais lorsque Potter la saisit, Drago sut tout de suite qu’il ne parviendrait pas à les soulever : Goyle était trop lourd, et la main de Drago, couverte de sueur, glissa aussitôt de celle de Potter... -SI ON MEURT À CAUSE D’EUX, JE TE TUERAI, HARRY ! rugit la voix de Weasley. Et au moment où une immense chimère de flammes fondait sur eux, Granger et lui hissèrent Goyle sur leur propre balai puis s’élevèrent à nouveau, roulant et tanguant dans les airs, pendant que Drago grimpait derrière Potter. -La porte, va vers la porte, la porte ! cria Drago à l’oreille de Potter qui fonçait derrière Wesley, Granger et Goyle à travers le tourbillon de fumée noire, parvenant à peine à respirer. Autour d’eux, les derniers objets qui n’avaient pas encore été brûlés par la voracité des flammes volaient en tous sens, jetés en l’air, en manière de célébration, par les créatures nées du feu ensorcelé : des coupes, des boucliers, un collier étincelant et une vieille tiare aux couleurs délavées... D'un coup, Potter prit un virage en épingle à cheveux et descendit en piqué. -Qu’est-ce que tu fais, qu’est-ce que tu fais ? La porte est par là ! hurla Drago. Son regard d'attrapeur repéra immédiatement ce que Potter visait. Le diadème qu'il était venu chercher dans la pièce semblait tomber au ralenti, tournoyant et scintillant dans sa chute vers la gueule béante d’un serpent, mais Potter l’attrapa, le fit glisser autour de son poignet... Potter vira à nouveau alors que le serpent se ruait sur eux. Il remonta en flèche et fonça directement vers l’endroit où se trouvait la porte. Drago priait pour qu’elle soit restée ouverte. Les trois autres avaient disparu, et Drago hurlait, cramponné étroitement à Potter. Enfin, à travers la fumée, il distingua un rectangle qui se découpait sur le mur et bifurqua dans cette direction. Quelques instants plus tard, il sentit de l’air frais pénétrer dans ses poumons, puis Potter et lui s’écrasèrent contre le mur du couloir, à l’extérieur de la salle. Drago tomba du balai et resta étendu, face contre terre, haletant, toussant, secoué de haut-le-cœur. Potter roula sur lui-même et se redressa en position assise. La porte de la Salle sur Demande s’était effacée et Weasley et Granger étaient assis sur le sol, pantelants, à côté de Goyle, toujours inconscient. -Cr... Crabbe, balbutia Drago dès qu’il put à nouveau parler. Cr... Crabbe... Il n'avait pas souhaité cela en les amenant à la Salle du Demande... Rien de tout cela n'aurait dû arriver... -Il est mort, répondit sèchement Weasley.
Il y eut un silence. Pendant quelques instants, on n’entendit plus que les quintes de toux et les halètements. Puis une série de détonations assourdissantes secouèrent le château et des silhouettes transparentes montées à cheval filèrent au galop, leurs têtes, qu’elles tenaient sous le bras, poussant des cris sanguinaires. Potter se releva, vacillant sur ses pieds et regarda de tous côtés : la bataille continuait de faire rage autour d'eux. Il parut saisit de panique. -Où est Ginny ? lança-t-il brusquement. Elle était ici. Elle devait revenir dans la Salle sur Demande. Forcément, le Sauveur s'inquiétait pour sa rouquine... -Tu crois que la salle fonctionnera encore après l’incendie ? demanda Weasley. Lui aussi se remit debout. Il se massa la poitrine et regarda à droite et à gauche. -Tu veux qu’on se sépare et qu’on aille voir... -Non, trancha Granger qui se relevait à son tour, et tous trois partirent ensemble dans les profondeurs du château. Seul Potter eut un regard en arrière, et ses yeux verts vifs croisèrent ceux gris pâle de Drago, s'y accrochant un instant avant de s'en détourner. Drago et Goyle étaient restés étalés par terre, impuissants. Ils n’avaient plus de baguette, ni l’un, ni l’autre. Drago n'avait plus la force de traîner Goyle où que ce soit, mais il ne pouvait pas le laisser là tant qu'il n'aurait pas repris connaissance. Il se sentait déjà suffisamment responsable pour Crabbe. Au bout d'un moment, Goyle cligna des yeux et les rouvrit avec un regard profondément surpris. Il regarda autour de lui, et parut comprendre étonnamment vite ce que signifiait l'absence de Crabbe, avant d'afficher un air peiné. Il était presque surprenant de voir quelqu'un de si costaud avec une expression aussi vulnérable. Lorsqu'il se fut un peu remis du choc, Goyle se releva presque d'un bond, faisant sursauter Drago. Ils se regardèrent fixement un instant. Malgré toutes leurs années ensemble et leurs expériences partagées, il leur semblait désormais difficile de rester en la compagnie de l'autre, maintenant que le trio avait été brisé. Goyle, qui n'avait jamais été très loquace, grommela simplement « Au revoir Drago. » avant se partir en courant dans le couloir. Allait-il rejoindre les Mangemorts et livrer combat à ceux qui leur résistait comme son père, ou bien fuyait-il juste comme un adolescent de dix-sept ans dépassé par les événements ?... Drago le regarda s'éloigner et, bien qu'il ne put plus l'entendre, il lui répondit en murmurant : « Au revoir Goyle... ».
Au bout d'un moment qui lui parut durer une éternité, Drago finit par retrouver le courage de se relever. Sa poitrine lui faisait mal à cause de toute la fumée qu'il avait respiré, et la tête lui tournait lorsqu'il fut debout. Les bruits de bagarre se rapprochaient et se retrouver seul, aussi faible et sans baguette au milieu d'un conflit pareil n'était pas une excellente perspective. En effet, il ne parvint même pas à sortir du château, et se fit attaquer en haut des marches de l’escalier de marbre qui menait dans le hall d’entrée par un Mangemort masqué qu'il n'avait sans doute jamais rencontré. Cette brute lui lança un sortilège Doloris sans même poser la moindre question, et dès qu'il retrouva son souffle, Drago essaya de s'en sortir de la seule manière qu'il pouvait : -Je suis Drago Malefoy, c’est moi, Drago, je suis dans votre camp ! Si seulement l'autre le laissait remonter sa manche gauche... l'horrible Marque qui défigurait sa peau pâle aurait enfin une utilité... Alors qu'il le suppliait de l’épargner, le Mangemort s'écroula, visiblement stupéfixié. Drago, soudain rayonnant, regarda autour de lui, cherchant son sauveur, mais reçut soudain un coup de poing qui parut arriver de nulle part. Drago tomba en arrière sur le Mangemort inconscient, la bouche ensanglantée, proprement stupéfait. -C’est la deuxième fois qu’on te sauve la vie, ce soir, abominable faux-jeton ! lança la voix tout à fait reconnaissable de Weasley. Ils devaient être cachés sous leur cape d'invisibilité. Mais même avec le goût âpre du sang dans la bouche, Drago ne parvint pas à s'énerver tant il leur était reconnaissant. Effectivement Weasley, se dit-il avec un sourire, merci pour cette fois, mais c'est grâce à moi que vous avez pu vous sauver du Manoir, alors nous sommes presque quittes. Drago prit alors conscience du chaos qui l'entourait dans le hall au moment où le sablier des Serpentard qui comptabilisait les points de leur maison se brisa et déversa ses émeraudes un peu partout. Plusieurs personnes surprises en pleine course glissèrent et chancelèrent dangereusement. Drago aperçut Greyback se précipiter à quatre pattes à travers le hall pour planter ses dents dans le corps d'une jeune fille. Une détonation assourdissante retentit, et Fenrir Greyback fut rejeté en arrière, heurtant de plein fouet la rampe de marbre de l’escalier. Alors qu'il se débattait pour se remettre debout, dans un éclair blanc aveuglant et un craquement sonore, une boule de cristal lui tomba sur la tête et il s’effondra sur le sol, inerte. -J’en ai d’autres ! s’écria le professeur Trelawney par-dessus la balustrade. Il suffit de demander ! Tenez… Avec un geste semblable à celui d’un joueur de tennis au service, elle sortit de son sac une énorme sphère de cristal, agita sa baguette en l’air et envoya la boule fracasser une fenêtre de l’autre côté du hall. Au même moment, les lourdes portes de bois de l’entrée s’ouvrirent à la volée et d’autres araignées gigantesques pénétrèrent de force dans le hall. Des cris de terreur s’élevèrent de toutes parts : les combattants se dispersèrent, les Mangemorts tout comme les élèves de Poudlard, et des jets de lumière rouge et verte volèrent vers les nouveaux monstres qui frémirent de toutes leurs pattes et se cabrèrent, plus effrayants que jamais. Drago, qui se trouvait toujours en haut de l'escalier, fit volte-face devant ce grouillement répugnant, et détala dans les profondeurs du château. Il lui fallait soit trouver une baguette, soit une cachette, mais un sorcier n'ayant jamais connu de monde sans magie ne pouvait vraiment pas aborder une situation aussi abominable sans la présence rassurante d'une baguette magique dans sa main. Il se précipita vers l'endroit qui lui paraissait le plus familier et le plus rassurant : les cachots. Les Serpentard ayant presque tous été évacués, leur salle commune était vide, et Drago s'y réfugia. Si quelqu'un entrait il était pris au piège, mais pour l'instant cette pièce lui ferait office de refuge en attendant qu'il ait une meilleure idée... Ou bien qu'un miracle se produise et qu'il se réveille enfin de ce cauchemar...
Drago, glacé par l'effroi, entendait des cris et des bruits de lutte en tout genre retentir au dessus de lui. Une sorte de calme revint lorsque la voix froide et aiguë de Voldemort se mit à nouveau à résonner contre les murs et le plancher. -Vous avez combattu vaillamment. Lord Voldemort sait reconnaître la bravoure. Mais vous avez aussi subi de lourdes pertes. Si vous continuez à me résister, vous allez tous mourir, un par un. Je ne le souhaite pas. Chaque goutte versée d’un sang de sorcier est une perte et un gâchis. Lord Voldemort est miséricordieux. J’ordonne à mes forces de se retirer immédiatement. Vous avez une heure. Occupez-vous de vos morts avec dignité. Soignez vos blessés. Maintenant, je m’adresse à toi, Harry Potter. Tu as laissé tes amis mourir à ta place au lieu de m’affronter directement. J’attendrai une heure dans la Forêt interdite. Si, lorsque cette heure sera écoulée, tu n’es pas venu à moi, si tu ne t’es pas rendu, alors la bataille recommencera. Cette fois, je participerai moi-même au combat, Harry Potter, je te trouverai et je châtierai jusqu’au dernier homme, jusqu’à la dernière femme, jusqu’au dernier enfant qui aura essayé de te cacher à mes yeux. Une heure. Le Seigneur des Ténèbres savait ce qu'il faisait : après une telle annonce, la stupide bravoure héroïque de Potter ne le laisserait pas en paix tant qu'il ne se serait pas rendu. Potter ne supportait pas que d'autres souffrent, et encore moins par sa propre faute, et Voldemort s'était déjà servi de cela contre lui avec son parrain. Drago se sentit pétrifié par la pensée qui lui vint alors : cet imbécile allait certainement faire exactement ce que le mage noir espérait !
Drago ne supportait plus de rester là sans rien faire. Il ne pourrait toujours pas sortir du château sans risque, mais il ne pouvait pas rester isolé ainsi, il fallait qu'il trouve Potter et qu'il le retienne, de gré ou de force, pour l'empêcher de se jeter droit dans ce piège. |