Chapitre 44

Sectumsempra

Le jour de l'examen de transplanage, ils n'étaient que trois en cours de potions : Drago, Potter et Macmillan.
-Vous êtes trop jeunes pour transplaner? dit Slughorn d'une voix cordiale.Vous n'avez pas encore dix-sept ans ?
Ils hochèrent la tête en signe de dénégation.
-Eh bien, reprit Slughorn, l'air joyeux, puisque nous sommes si peu nombreux, essayons de faire quelque chose de divertissant. Vous allez tous les trois me concocter une potion amusante !
-C'est une très bonne idée, monsieur, approuva Macmillan d'un ton flagorneur, en se frottant les mains, mais Drago resta de marbre. Plus grand chose ne l'amusait en ce moment...
-Qu'est-ce que vous entendez par « une potion amusante » ? demanda-t-il, irrité.
-Surprenez-moi, répondit Slughorn avec légèreté.
La mine maussade, Drago ouvrit son exemplaire du Manuel avancé de préparation des potions. Ce cours était une véritable perte de temps, il aurait largement préféré passer ce moment dans la Salle sur Demande.

Drago ne se sentait pas très bien. Il avait perdu du poids avec le stress et l'épuisement, et il était de plus en plus pâle à force de ne pas souvent voir la lumière du jour, ces temps-ci. Il n'y avait plus chez lui aucune attitude de suffisance, d'excitation ou de mépris. La forfanterie qu'il avait manifestée devant ses camarades de Serpentard dans le Poudlard Express, lorsqu'il s'était vanté de la tâche que lui avait confiée Voldemort, lui paraissait bien loin... Sa mission était loin de se dérouler selon ses prévisions. Et comme d'habitude, être entouré de personnes chantant les louanges de Potter n'aidait pas à améliorer son humeur.
-Voilà une vraie merveille ! s'exclama Slughorn en regardant le contenu d'un jaune éclatant du chaudron de Harry. Elixir d'Euphorie, j'imagine ? Et ce parfum ? Mmmm... Vous y avez ajouté une pincée de menthe, n'est-ce pas ? Pas très orthodoxe mais quelle inspiration, Harry ! Bien sûr, cela permet d'atténuer les éventuels effets secondaires qui donnent un peu trop envie de chanter ou de tordre le nez d'autrui... Je ne sais vraiment pas où vous allez chercher toutes ces idées, mon garçon... A moins que ce soit simplement les gènes de votre mère qui resurgissent en vous !
Drago rangeait déjà ses affaires, la mine grincheuse, il était vexé que Slughorn ait qualifié sa décoction Hoqueteuse de simplement passable.

Lorsque la cloche retentit, Drago et Macmillan partirent aussitôt, mais Potter sembla vouloir traîner en arrière, sans doute pour continuer à s'attirer les bonnes faveurs de leur enseignant. Drago se vit alors à sa place quelques années plus tôt, faisant de même vis-à-vis de Rogue et rétrospectivement il trouva alors cette attitude détestable.
Jugeant qu'il avait assez perdu de temps pour cette journée, il fila vers la Salle sur Demande en prenant d'abord soin de trouver Goyle afin qu'il monte la garde sous l'apparence de la petite fille à la balance de cuivre. Alors qu'il était concentré sur sa tâche, il entendit Goyle pousser un cri de fillette de terreur suraigu, puis le fracas de la balance écrasée par terre résonna le long du couloir. Il se figea sur place, sachant qu'un intrus se trouvait là, n'osant pas se montrer. Une demi-heure plus tard, Drago faillit sortir vérifier si le champ était libre lorsque :
« AÏE! » Un grand cri de douleur lâché par une voix familière résonna devant le mur de la Salle. Cela ressemblait trop à Potter pour que Drago ose mettre le nez dehors, et pendant quelques heures encore, il eut trop peur pour sortir. Le soir même, il eut indirectement la confirmation que c'était bien Potter lorsque Goyle, pas encore tout à fait remis de ses émotions, lui dit en tremblant qu'un fantôme invisible lui avait chuchoté à l'oreille qu'il était « très jolie ». Ainsi donc Potter, caché sous sa foutue cape, s'intéressait de près à ce qu'il faisait et commençait déjà à en savoir un peu trop au sujet des allers et venues de Drago. La perspective que l'Elu se mêle de tout cela n'avait rien de bien rassurant... 

Un jour, Drago fut persuadé d'avoir réussi : il avait vu un éclat de lumière au fond de l'armoire qui lui laissa penser que le passage était bel et bien réouvert. Fou de joie, il se précipita en avant pour regarder cela de plus près, mais l'étincelle de couleur disparut aussi vite qu'elle était arrivée, et même au bout d'une nouvelle heure de tentatives en tout genre, Drago n'était pas parvenu à la faire revenir... Sous le choc, Drago tituba hors de la Salle sans même vérifier s'il était suivi et se traîna jusqu'aux toilettes du deuxième étage où il laissa enfin éclater sa détresse. De violents sanglots le secouaient, il se fichait désormais totalement d'être discret. Il se cramponnait des deux mains au lavabo comme si sa vie en dépendait, sa tête aux cheveux d'un blond presque blanc penchée en avant, ses larmes coulaient de son visage blême dans le lavabo malpropre. Mimi ne tarda effectivement pas à l'entendre et fut vite à ses côtés pour tenter de le réconforter.
-Non, calme-toi, dit-elle. Calme- toi... Dis-moi ce qui ne va pas... Je peux t'aider...
-Personne ne peut m'aider, répondit Drago, le corps tremblant. Je n'y arrive pas... C'est impossible... Ça ne marchera pas... Et si je n'y parviens pas bientôt... Il a dit qu'il me tuerait...
Drago sanglota, renifla puis, parcouru d'un grand frisson, regarda dans le miroir craquelé et vit par-dessus son épaule Potter qui le regardait. Terrifié par ce que celui-ci aurait pu avoir entendu, dérouté par sa présence inattendue, et mortifié d'avoir été vu dans une telle position de vulnérabilité, Drago fit aussitôt volte-face en sortant sa baguette. Le sortilège de Drago manqua Potter de quelques centimètres, fracassant la lampe accrochée au mur, tout près de lui. Drago était dans un tel état qu'il n'aurait même pas pu dire exactement quel sort il avait jeté. Il se sentit soudain tiré par la cheville mais il bloqua le maléfice et leva la main pour en envoyer un nouveau...
-Non ! Non ! Arrêtez ! s'écria Mimi Geignarde, l'écho de sa voix résonnant avec force sur le carrelage. Arrêtez ! ARRÊTEZ!
Il y eut un bang ! retentissant et la corbeille à papiers derrière Potter explosa. Celui-ci répondit par un sortilège qui ricocha sur le mur, derrière l'oreille de Drago, et fit voler en éclats le réservoir de la chasse d'eau, juste au-dessous de Mimi Geignarde. L'eau déferla de tous côtés. Potter glissa et perdit l'équilibre. Drago avait perdu tout contrôle. TU N'AVAIS RIEN A FAIRE ICI, TU N'AURAIS RIEN DÛ VOIR DE TOUT CELA, avait-il envie de hurler. Son visage déformé par la haine, Drago commença à prononcer son second Sortilège Impardonnable...
-Endolo...
-SECTUMSEMPRA ! hurla alors Potter tombé à terre, en agitant frénétiquement sa baguette.
Drago n'avait jamais ressenti de telle douleur. C'était comme si une épée invisible l'avait tailladé, lui coupant le souffle. Son visage et sa poitrine lui parurent être en feu et il vit du sang jaillir des profondes coupures qui y étaient apparues. Il vacilla et s'effondra sur le sol inondé d'eau dans un grand bruit d'éclaboussures, sa baguette tombant de sa main inerte. Mais il n'avait pas perdu conscience pour autant, et continuait de souffrir le martyre sans pouvoir dire un mot, ou même juste reprendre sa respiration.
-Non..., s'étrangla Potter.
Glissant, chancelant, il se releva et se précipita sur Drago dont le visage était maintenant d'un rouge luisant, ses mains blanches crispées sur sa poitrine ensanglantée.
-Non... Je ne voulais...
Potter se laissa tomber à genoux à côté de Drago qui tremblait de tout son corps dans une mare de sang et Mimi Geignarde poussa soudain un hurlement assourdissant.
-AU MEURTRE ! MEURTRE DANS LES TOILETTES ! AU MEURTRE !

L'esprit de Drago se sentait soudain un peu déconnecté de son corps, comme si la chaleur qui émanait de Potter à côté de lui avait un peu atténué la douleur. Une pensée folle le traversa : Mimi serait en réalité ravi qu'il meure, dans l'espoir qu'il revienne hanter ces toilettes avec elle. Mais il était un Malefoy, et s'il hantait quoi que ce soit, ce ne serait certainement pas des toilettes, il se voyait plutôt dans une grande et noble demeure, avec une immense bibliothèque... Mourir serait en effet un soulagement... Il se sentit lâcher un peu prise... Mais s'il n'était plus là, qui viendrait en aide à ses parents ? Il leur devait de tenir bon...

La porte s'ouvrit à la volée, le tirant de toutes ces réflexions sans queue ni tête qui se chamboulaient dans son cerveau. Rogue venait de surgir, le visage livide. Il écarta brutalement Potter, et Drago ressentit à nouveau un grand froid l'envahir, comme si Potter avait jusque là joué un merveilleux rôle de feu de cheminée. Sans lui tout redevenait sombre et glacé. Rogue s'agenouilla au-dessus de Drago, sortit sa baguette et la passa le long des profondes blessures que le maléfice avait causées, marmonnant une incantation qui ressemblait presque à une chanson. Le flot de sang parut s'assécher. Rogue essuya celui qui maculait le visage de Drago et répéta son enchantement. Les blessures se refermaient à présent. La douleur s'estompait réellement et Drago arrivait à nouveau à prendre de petites inspirations.
Mimi Geignarde sanglotait, gémissait, au-dessus de leur tête. Lorsque Rogue eut exécuté pour la troisième fois son contre-maléfice, Drago put enfin respirer correctement, même si cela n'était pas sans douleur. Rogue le souleva à moitié pour le remettre debout.
-Vous devez aller à l'infirmerie. Il restera peut-être des cicatrices mais, si vous prenez tout de suite du dictame, on peut l'éviter... venez...
Il soutint Drago pour l'aider à traverser les toilettes puis, arrivé devant la porte, lança avec une colère froide :
-Vous, Potter, vous m'attendez ici.
Peut-être qu'il avait enfin réussi à causer quelques ennuis au Survivant cette fois, pensa Drago en plein délire.

Son passage à l'infirmerie lui parut flou. Une fois que Rogue l'eut déposé dans un lit, il le vit expliquer la situation à grands gestes à Madame Pomfresh qui s'agita alors dans tous les sens autour de Drago. Elle appliqua un onguent sur sa poitrine et son visage, et le soulagement qu'il ressentit mélangé à l'odeur de menthe poivrée ambiante lui firent lâcher prise. Cette odeur lui rappelait tant sa mère... Drago se sentait enfin suffisamment apaisé pour s'endormir. Il se réveilla au milieu de la nuit, soudainement submergé par une pluie d'émotions, comme s'il prenait enfin conscience du choc de tout ce qui venait de se dérouler. Il était dérouté par la réaction de Potter qui l'avait immédiatement mutilé sans lui poser la moindre question. Ce geste était plus brutal et cruel que la façon dont Potter agissait habituellement envers lui, et il trouva que ce dernier était allé trop loin. Puis il se souvint que quelques instants avant, lui-même avait voulu faire usage du sortilège Doloris sur Potter et se sentit rougir de la tête aux pieds. Il était profondément honteux d'avoir voulu lui faire autant de mal, qu'est-ce qui avait bien pu lui passer par la tête ?! Certes leurs interactions étaient toujours assez explosives, mais cela allait désormais bien trop loin ! Se sentant à la fois embarrassé et blessé, Drago se dit qu'il serait mieux qu'il parvienne à éviter totalement Potter jusqu'à ce qu'il soit venu à bout de sa mission. Et comme de toute façon s'il réussissait, Potter ne lui adresserait très certainement plus jamais la parole, il pourrait alors l'éviter pour de bon, pensa-t-il avec tristesse.

Le matin, il demanda un miroir pour voir de ses propres yeux les dégâts que le maléfice de Potter avaient occasionnés sur son corps. Pomfresh, comme toujours, avait fait des miracles, et les séquelles avaient été minimisées. Une fine ligne blanche traversait le haut de son nez en diagonale, de sa pommette jusqu'au début de son sourcil droit, mais elle ne se voyait que de près, et c'était la seule cicatrice visible sur son visage. Sur le torse par contre, les coupures avaient été plus profondes. Deux longs traits légèrement violacés se croisaient juste au dessus de son cœur, et un troisième, presque vertical, descendait le long de son plexus solaire. Le reste des plaies avaient été si bien refermées que la peau était à peine rouge et ces traces s'effaceraient sans doute très prochainement. Madame Pomfresh fut étonnée de le voir si vite rétabli, et bien qu'elle argumenta sans relâche qu'il devait rester se reposer, Drago parvint à la convaincre de le libérer le matin-même. Il pensa avec nostalgie que les choses avaient bien changées depuis sa blessure au bras en troisième année où, au contraire, il avait été ravi de faire durer son hospitalisation en longueur. En réalité, il fallait qu'il se remette au plus vite au travail, et il se doutait aussi que Rogue n'allait pas tarder à venir le voir. Or il désirait éviter ses questions aussi longtemps que possible. D'autant plus qu'en réfléchissant à son face-à-face avec Potter de la veille à tête reposée, il avait lui-même du mal à comprendre la violence de leur attaque l'un envers l'autre, et aurait eu encore plus de difficulté à expliquer au directeur de sa maison pourquoi les choses avaient si vite dégénérées. Drago se rendit dans le seul endroit où il ne serait pas dérangé et qui, à force, était devenu son sanctuaire, la Salle sur Demande.
A force d'y passer autant de temps, Drago n'avait aucun mal à remarquer le moindre changement dans la pièce, et il vit tout de suite que certaines choses avaient bougées. Le buste en pierre habituellement posé sur la caisse s'était déplacé et se trouvait en haut du placard, désormais étrangement coiffé d'une perruque mitée et d'un diadème terni. Perplexe, Drago ouvrit le placard et vit immédiatement ce qui, jusqu'à la veille, ne s'y trouvait pas. Il s'agissait d'un exemplaire très abîmé du Manuel avancé de préparation des potions de Libatius Borage qu'ils utilisaient pour les cours de Slughorn. Il le feuilleta pour découvrir que quelqu'un avait griffonné sur toutes les pages, si bien que les marges étaient aussi noires d'encre que la partie imprimée. Même sur les listes des ingrédients, certaines choses étaient rayées ou ajoutées, et les instructions manuscrites différaient souvent de celles de Borage. Ces indications lui parurent immédiatement incroyablement ingénieuses, et parfaitement logiques. Pendant quelques minutes, Drago oublia la douleur sur son torse, la peur de ces derniers mois, Voldemort, Potter, et tout le reste. Il était comme un enfant aux anges d'avoir reçu le plus merveilleux des cadeaux. Pour un passionné des potions, cet ouvrage était une véritable mine d'or. Quelques mots étaient griffonnés au bas de la dernière page de couverture, de la même petite écriture en pattes de mouche que le reste des instructions : « Ce livre appartient au Prince de Sang-Mêlé ».

Se promettant de tout lire de bout en bout plus tard, Drago se tourna vers l'armoire et sa joie soudaine disparut tout à coup, se dégonflant comme un ballon. Mais il eut alors une idée, et regarda le manuel qu'il tenait entre les mains. Et si... et si... Il n'avait que tenté des sortilèges pour l'instant, mais peut-être qu'une potion était la solution... Or si c'était bien le cas, il n'aurait aucune difficulté à la réaliser, aucune préparation ne lui résistait ! Il tourna fébrilement les pages du livre et, comme par miracle, tomba exactement sur ce dont il avait besoin. Un texte avait été annoté sur le bas d'une page vide à la fin de l'ouvrage, qui expliquait pourquoi il n'avait rien trouvé de tel à ce sujet à la bibliothèque.
« Potion de Reconstruction :
Lorsque certains objets, principalement les objets magiques, se retrouvent endommagés, parfois la magie seule ne peut parvenir à bout de leurs dégâts. En effet, lorsque l'objet est trop fortement brisé, sa structure ne dispose plus de l'intégrité suffisante à sa reconstruction par sortilège. Ces cas étant extrêmement rares, seuls peu de mages se sont penchés sur cette question de solutions alternatives pour leurs réparations et, aux dernières nouvelles, aucun article n'avait été publié à ce sujet. Pourtant, le noble art des potions permet d'accomplir des choses allant bien au delà des possibilités offertes par les sortilèges. Ainsi, la potion qui suit, permet de rendre à un objet magique fortement endommagé son intégrité physique, afin de pouvoir accomplir sa réparation. Elle doit être utilisée comme un enduit sur les fissures et les cassures, et, une fois sèche, même les sorts les plus simples tels que Reparo peuvent alors fonctionner, leur efficacité étant largement décuplée par les effets de la potion. »

La recette de la potion suivait alors et, bien que difficile, celle-ci était tout à fait dans les cordes d'un potionniste tel que Drago. Des larmes de soulagement et de joie coulaient sur ses joues. Il faillit écrire de ce pas à ses parents, mais ne préférant pas faire monter leur espoir pour rien dans le cas où il échouerait, il décida de garder sa découverte pour lui, et de prestement se mettre en quête de tous les ingrédients dont il avait besoin. Si tout se passait bien, dans quelques semaines, la potion serait prête, et l'Armoire à Disparaître réparée...